.
ALGERIE :
QUE FAIRE MAINTENANT ?
.
ESPRITSURCOUF complète son dossier – “L’Algérie après Bouteflika : le Hirak et le Maghreb” par l’ étude publiée par LA VIGIE dans sa livraison du n° 119. Les deux rédacteurs habituels de La Vigie se sont associés la compétence et l’autorité du professeur Kader Abderrahim.
Dans ce numéro 113, ESPRITSURCOUF a sélectionné des extraits de ce texte à trois voix qui parle surtout de l’avenir de l’Algérie, mais aussi du Maghreb et de la France. La semaine dernière nous avions présenté l’analyse de la situation.
Découvrez le Focus Algérie du n°112
Les manifestations algériennes ont marqué les esprits
par leur ampleur mais aussi par leurs résultats rapides. Notons au passage
qu’il est bon qu’on les désigne par le mot local de Hirak qui vaut bien mieux
que le soi-disant « printemps arabe » de 2011, expression trouvée alors par les
journalistes occidentaux dans une opération de communication qui contrastait
avec ce qui se passait réellement sur le terrain. Dans le cas présent, ce mot
qui désigne le mouvement est venu de la base, ce qui est significatif d’un
changement d’approche – mais aussi de la grande prudence des Occidentaux en
général, des Français en particulier, à son égard. Or, cette grande prudence
cache mal un désarroi voire l’absence de projet politique approprié. Pourtant,
il y a beaucoup à dire et à proposer.
Un système plus fragile qu’il n’y paraissait
Ainsi, la rapidité avec laquelle le président Bouteflika a lâché prise est
impressionnante : la première manifestation importante date du 22 février mais
c’est celle du 1er mars (jusqu’à trois millions de personnes dans les rues) qui
déclenche vraiment le processus : il n’aura fallu que douze jours pour que le
président Bouteflika annonce dès le 11 mars qu’il renonce à briguer un
cinquième mandat. Cela illustre une réalité qui a été peu soulignée : la
fragilité du Système qu’on nous disait tellement opaque et enchevêtré qu’on ne
pouvait plus rien faire contre lui. Au fond, la cinquième candidature n’était
qu’une solution d’attente de l’effacement d’un président empêché : un
attentisme biologique plus qu’un projet politique réel. Le Système incapable de
se mettre d’accord sur les modalités d’une reprise de ses actifs calculait
qu’il ne servait de rien de précipiter les choses et que de toute façon, le
changement se ferait.
Il se fit (il est toujours en train de
se faire) ce qui explique finalement la vitesse avec laquelle le Système a cédé
à la rue et relevé le défi. Mais en cédant sur le président Bouteflika et en
sacrifiant quelques têtes emblématiques, il ouvrait la boîte de Pandore, celle
des purges successives des entourages, des affairistes et des généraux supposés
influents. Toutefois, l’écheveau des corruptions est assez profond pour que
cela ne suffise pas. Nous sommes donc face à un processus qui est loin de
s’achever. Cependant, le système s’est surtout concentré sur son cœur
alchimique : l’armée.
L’armée et ses apanages divers devrait-on dire d’ailleurs tant on y discerne
plusieurs clans. Le CEMA, le général Gaid Salah, n’est finalement qu’une clef
de voûte qui tient l’édifice sous tension, comme au sommet d’une arche
gothique. Il diffère en cela d’autres généraux ou maréchaux au pouvoir dans la
région. S’il a longtemps soutenu Abdelaziz Bouteflika à qui il a dû son
ascension et son poste, il l’a abandonné sans hésitation. Mais s’il est encore
un point d’équilibre, il est plus fragile qu’il n’y paraît. L’armée paraît
moins monolithique qu’on le dit et la relève est probablement prête. Elle
gardera, selon la tradition algérienne, sa formule collégiale. Cette fragilité
n’est pas celle du Système, c’est celle de toute l’Algérie.
Une fragilité plus générale
Constatons ainsi que si le Système est fragile, la rébellion l’est également.
Certes, par prudence, elle fait bien attention à ne pas désigner de leader, de
crainte que celui-ci ne soit la cible du pouvoir en place ou qu’un individu ne
réussisse pas à trouver l’assentiment de tous les manifestants. Mais du coup,
cela entrave la construction sociopolitique d’une alternative. On est ainsi
frappé par l’absence non seulement de propositions, mais aussi de débat
intérieur permettant de construire des solutions. Au fond, le dégagisme est
tellement fort qu’il affecte préventivement la foule et la stérilise. C’est
extrêmement malsain et finalement fort peu démocratique, malgré les apparences
unanimistes des manifestations.
Il y a en effet trois types de transition. Elles peuvent d’abord êtes violentes
: c’est la forme la plus habituelle et la décennie noire a montré que cela ne
fonctionnait pas bien. Elles peuvent être octroyées : les quatre mandats d’A.
Bouteflika ont démontré que c’était en fait une impasse, sans cohérence ni
pérennité. Elles peuvent être négociées ce qui est préférable mais il faut
alors que le mouvement s’organise pour porter les vraies revendications
collectives et soit ensuite capable de transiger lors des négociations
inéluctables pour parvenir à un nouvel équilibre. Or, le Hirak ne donne pas
l’impression d’avancer dans cette direction-là : c’est sa limite actuelle.
Au fond, la défiance et la suspicion sont devenues les sentiments les plus
partagés. Mais on ne construit pas là-dessus une société de progrès qui exige
la confiance. Cela entravera la reconstruction d’un nouvel équilibre que ce
soit aux plans politique ou économique : tout le monde sera systématiquement suspecté,
il y aura toujours un puriste pour déceler un complot, une corruption ou une
manigance, et l’apaisement des esprits sera long à installer. C’est une
trajectoire délétère.
Le système actuel a incontestablement affaibli l’Algérie, ce pays qui a des frontières
fermées avec presque tous ses voisins, qui a une situation économique
déplorable qui décourage l’initiative, qui ne survit que grâce à une manne
pétrolière qui s’épuise et qui a une jeunesse nombreuse et sans perspectives…
Or, la future transition sera longue et elle affaiblira tout le monde si on n’y
prend garde : l’Algérie, bien sûr, mais aussi tout le Maghreb, toute la
Méditerranée occidentale et donc la France également.
Parlons de nos intérêts communs et
construisons un projet ambitieux
Chacun des voisins de l’Algérie retient aujourd’hui son souffle et se tait. Or,
il convient d’aborder les choses de façon dépassionnée et de parler des
intérêts. Ceux de l’Algérie, bien sûr, mais aussi ceux de ses voisins.
L’intérêt de tous, mais d’abord des Algériens, c’est maintenant de raisonner au
niveau maghrébin. C’est aussi l’intérêt de la France que d’y contribuer.
La France doit aider le Maghreb à se constituer et donc l’Algérie à y voir sa
priorité non pas à cause d’une histoire passée – elle compte certes mais au
fond, elle n’est pas la raison essentielle – mais à cause de nos intérêts
communs. Car la crise algérienne intervient à un moment clef, y compris en
France, au moment d’élections européennes peu motivantes. Un bref retour à
l’histoire s’impose. En effet, la France a fait le choix de l’Europe après
avoir soldé son empire colonial, à la suite des indépendances successives de
1954, 1960 et 1962. Le traité de Rome fut signé en 1957, celui de l‘Elysée en
1963 pour ouvrir une ère de coopération régionale d’un mode nouveau conduisant
à une véritable communauté de destin et d’intérêt. La France remplaçait un
centre d’intérêt impérial par un autre régional et civilisationnel. Elle
compensait une déception et une péremption par un espoir et une construction.
Il se trouve que cet espoir européen est aujourd’hui à son tour déçu. Non qu’il
faille envisager une rupture, mais l’Europe a atteint son plafond d’intégration
communautaire et les peuples européens le manifestent les uns après les autres
aux technostructures supranationales européennes.
La France en délicatesse avec son Est continental voudrait se rééquilibrer par
son Sud maritime et, dans le cas présent, privilégier le voisinage
méditerranéen et proposer de mieux intégrer une Méditerranée occidentale de
trois cents millions d’habitants.
La France qui comme tous les riverains de la Méditerranée occidentale a besoin
de stabilité et de développement, peut aider à corréler les passions et les
intérêts. Il faut tous faire ensemble du Maghreb, et de l’Algérie en son
centre, le moteur du développement euro-africain. C’est près d’un milliard
d’Africains qui en bénéficiera ; le marché global de la modernité est immense.
La stabilité de l’Algérie ne pourra passer que par la stabilité du Maghreb, et
celle-ci aura besoin de la prospérité de la Méditerranée Occidentale mais aussi
du développement sécurisé du Sahel. Au cœur du Maghreb, l’Algérie constitue un
objet neuf qui peut se projeter ainsi dans l’avenir de façon positive et
ambitieuse. La France comme ses voisines latines ont un grand intérêt à l’y
aider.
À son rythme et à sa façon fière et
méthodique, l’Algérie pourra accéder à un mode de gouvernance rénovée d’un État
maghrébin modernisé, avec tous les outils de l’État de droit dans un pays
arabo-musulman. Cela inclut notamment une sécurité juridique et financière qui
fait encore défaut ; un code de la famille compatible avec ceux des sociétés
européennes de culture latine avec lesquelles elle a des familles partagées ;
un système fiscal transparent et universel ; des partis de plein exercice
entrant dans un jeu démocratique apaisé ; des libertés économiques qui donnent
de l’espoir à une population jeune qui veut construire son avenir. La France et
ses voisins espagnols, portugais et italiens sera heureuse de proposer sa
technologie, ses biens, ses ingénieurs, sens entrepreneurs, ses experts, ses
solutions dans des échanges dynamiques et paritaires.
Il nous faut désormais parier sur la jeunesse algérienne et maghrébine qui se
manifeste semaine après semaine. Elle est connectée et beaucoup plus homogène
et unifiée que les systèmes politiques actuels ne le laissent voir. Elle a le
goût des échanges et partage l’aspiration à un monde qui lui laisse toute sa
place et utilise toute son énergie. Il faut répondre à cette attente en
proposant un projet ambitieux et dynamique. Il ne s’agit pas seulement de
défaire le monde ancien, mais désormais il faut construire un monde nouveau
dans ce petit coin assez homogène de la Méditerranée. Et sans doute le
constituer en un laboratoire régional de la mondialisation qui profite d’abord
aux voisins régionaux.
Il est temps désormais pour tous de sortir du bois. Cette responsabilité est
commune à toutes les parties en présence : les responsables en place qui
doivent désormais ménager la transition ; les turbulents qui doivent désormais
consolider leurs revendications ; les voisins qui doivent proposer et aider.
C’est à un réajustement général de la région qu’il faut procéder grâce au Hirak
algérien.
C’est notre intérêt commun. Il est temps de le mettre en œuvre. Car au fond de
la boîte, Pandore trouve l’espérance.
L’étude complète est accessible
https://www.lettrevigie.com/blog/2019/05/30/dossier-n-11-lalgerie-le-hirak-et-la-france-gratuit/
VOUS RETROUVEREZ CE DOSSIER ET D’AUTRES INFORMATIONS
SUR LE SITE « LA VIGIE »
https://www.lettrevigie.com/
Laisser un commentaire