JUSQU’OÙ IRONT
LES NATIONALISMES CHINOIS ET AMÉRICAINS ?
Par François Danjou
Expert sur l’Asie
A son dernier passage à Pékin, Mike Pompeo, le Secrétaire d’État aux affaires étrangères de Donald Trump, que Xi Jinping, choqué par les attaques du vice-président américain Mike Pence a refusé de recevoir, a essuyé les plâtres de ce nouveau mode de relations sino-américaines, articulé à des ressentiments qui ne sont pas nouveaux, mais dont l’aigreur était jusqu’à présent noyée dans la ouate feutrée des précautions diplomatiques.
A Diaoyutai, résidence des visiteurs étrangers de marque au nord-ouest de la capitale chinoise et ancien domicile de Mao et de ses proches durant la révolution culturelle, Mike Pompeo a, dès les toasts d’accueil, essuyé une charge brutale de WangYi , ministre des affaires chinois.
Répondant au déferlement d’accusations du vice-président Mike Pence, le 4 octobre, Wang Yi a, devant la presse – chose inhabituelle en Chine -, accusé Washington de ne cesser d’attiser les tensions et de dégrader à dessein la confiance réciproque.
Au-delà de la guerre commerciale dont les coups sont de plus en plus brutaux, touchant désormais plus de 50% des exportations chinoises vers l’Amérique, assortie d’une chute régulière des bourses chinoises (+ de 20% depuis janvier), l’angoisse de Pékin s’alimente de la crainte que l’administration Trump pourrait remettre en cause la reconnaissance par Washington de la « politique d’une seule Chine », fondement même de la relation depuis le rapprochement opéré par Nixon dans les années 70.
La question de Taïwan au cœur des craintes chinoises.
Au cours d’une autre réunion, Wang Yi a exhorté Pompeo à respecter les « Trois communiqués » (1972, 1979, 1982), déclarations d’intention de la Maison Blanche acceptant le principe de l’unité de la Chine qui accompagna l’établissement des relations officielles entre Pékin et Washington (1979.
Tout comme la sècheresse de l’accueil à Diaoyutai répondait à l’agression tous azimuts de Mike Pence, la fébrilité chinoise à propos de Taïwan exprimée par Wang Yi ripostait aux raidissements de l’Amérique décidée à protéger Tsai Ing-wen des harcèlements diplomatiques dont elle est l’objet depuis son accession à la présidence.
Pékin, dit Wang Yi, attend de la Maison Blanche, qu’elle cesse d’interférer dans la politique chinoise de séductions financières destinée à détacher l’Île de ses appuis diplomatiques et qu’elle « prenne des mesures concrètes » pour freiner les dérives indépendantistes de Tsai Ing-wen, conditions de la stabilité des relations sino-américaines.
Réponses acerbes au discours de Mike Pence.
Le Quotidien du Peuple, adoptant un ton ulcéré et nationaliste, affirmant que la Chine ne cèderait jamais aux pressions, publiait une synthèse des réactions de la jeunesse chinoise aux attaques de Mike Pence, jugées arrogantes et biaisées.
Les jeunes chinois s’alignent sans nuance sur le discours officiel, en soutenant contre le droit international que les îlots bétonnés et militarisés de la mer de Chine du sud génèrent des eaux territoriales, parties d’un espace maritime grand comme la Méditerranée dont ils ne doutent pas qu’il est « entièrement chinois. »
Retour à la grande image du long terme.
Après ces réfutations pied à pied des controverses de l’instant dont certaines sont exactes tandis que d’autres sont mal argumentées ou de mauvaise foi, resurgissent les arrière-pensées du long terme. Capables de concessions tactiques immédiates pour un bénéfice stratégique ultérieur, elles se projettent à l’horizon 2049, centième anniversaire de l’investiture du Parti à la tête de la Chine.
Reprise le même jour par le Global Times (1), l’idée s’impose d’un apaisement ultérieur inéluctable, fond de tableau de la pensée complexe chinoise. Au passage, les auteurs placent la Chine dans la position moralement vertueuse de l’offensé refrénant ses pulsions de riposte.
« Nous sommes heureux que l’Amérique redeviennent puissante, mais la grandeur ne peut se fonder sur les pressions exercées contre les autres visant à les éclipser. Si au lieu de réagir avec grandeur et dignité la Chine ripostaient aux provocations de Washington, les relations sino-américaines seraient déjà effondrées au détriment du reste du monde ».
A l’espoir d’un apaisement raisonnable formulé par le Quotidien du Peuple, le Global Times ajoute le réalisme. S’il est vrai que la Chine est aujourd’hui loin d’avoir les moyens de subjuguer la puissance de l’Amérique dont les atouts technologiques et la capacité à mobiliser des alliances dépassent largement celles de Pékin, l’histoire a montré qu’elle recèle une plus forte capacité de résilience confortée par sa dissuasion nucléaire.
En attendant, à court et très court terme, la Direction chinoise doit résoudre le défi très concret posé par la Maison Blanche qui, en lui imposant de revoir sa manière biaisée de commercer, menace l’ampleur de ses réserves de change, dont la masse est aujourd’hui de 3000 Mds de $ – en baisse de 2,5% depuis janvier 2018 -. Construites sur ses surplus d’exportation, elles constituent l’assurance du régime contre une brutale crise financière dont les implications socio-politiques seraient catastrophiques.
Pour bien mesurer l’ampleur des malentendus et la difficulté d’une conciliation, on gardera à l’esprit que, pour beaucoup d’élites chinoises, le déséquilibre commercial – une des racines de la croissance -, est un juste retour des choses après les humiliations subies au cours du XIXe siècle. Elles justifient les captations illégales de technologies et les libertés que prend la Chine avec les dogmes du marché dont l’application stricte constitue, de son point de vue comme une menace pour sa stabilité interne et la pérennité du Parti.
En Chine, le sentiment du temps long projetant les échéances du rêve chinois jusqu’en 2049 produit un recul et une intuition d’avenir qui submergent les péripéties du présent et favorisent les accommodements tactiques à des fins ultérieures plus vastes.
- Le Global Times est un tabloïdparaissant quotidiennement en République populaire de Chine. Il est publié en chinois et en anglais. Le journal suit la ligne éditoriale du Quotidien du Peuple, le journal officiel du Parti communiste chinois, et de l’agence Chine nouvelle, tout en se spécialisant dans l’actualité internationale.
NDLR : Les extraits, la mise en page et les notes sont de la Rédaction d’ESPRITSURCOUF
Vous pouvez vous reportez aux 2 FOCUS parus dans le n° 67 d’ESPRITSURCOUF :
– Chine – Amérique : les trois fronts de la guerre économique voulue par Trump
– Chine – Etats-Unis : guerre des taxes, guerre totale ou apaisement ?
L’ Article complet est paru dans Question Chine: https://www.questionchine.net/
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