LIBYE
LA REVANCHE DE L’ARMEE
Hélène Bravin (*)
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L’apparition des milices et l’absence d’une armée sont les éléments majeurs de la déstabilisation du pays, tant sur le plan sécuritaire que politique. Un acteur a surgi, le Maréchal Khalifa Belqassim Haftar, qui tente de reconstituer une armée et de libérer Tripoli « des groupes terroristes et des milices ». Son initiative de marcher sur la capitale a été vivement condamnée par les politiques de Tripoli mis en place par la Communauté internationale. Et a entraîné la réaction des milices armées qui s’opposent au Maréchal Haftar, dont l’offensive, commencée en avril, ne laisse apparaitre jusqu’à présent aucun vainqueur.
Mais comment en est-on en arrivé là ? Il faut remonter à trois dates clefs : la chute de Tripoli en 2011, la restructuration de l’armée en 2012, et la purge des militaires en 2013.
Si le premier ministre libyen, Mahmoud Jibril, avait ambitionné dès la chute de Tripoli, en août 2011, de démanteler les Brigades révolutionnaires qui avaient combattu Mouammar Kadhafi durant la Révolution, l’évolution des évènements ne lui en a guère laissé l’occasion. Car dès la chute de la capitale, les Brigades révolutionnaires, de leur propre initiative, donc sans l’accord des politiques, ont instauré des Conseils militaires dans les villes où avaient eu lieu les combats. Le rôle de ces Conseils ? Chapeauter l’ensemble des brigades révolutionnaires, empêcher les anciens du régime kadhafiste de revenir dans les villes, coordonner des opérations à l’extérieur des villes, mais aussi éviter que les brigades n’entrent mutuellement en conflit. Leur création devait enfin concourir au rétablissement de l’ordre dans les rues, en l’absence de toute police et de véritable armée.
L’emprise des milices
La première ville à initier la mise en place de ces Conseils militaires est la capitale, Tripoli, où le Conseil ainsi crée est dirigé par un ex-djihadiste Abdelhakim Bel Haj. Son but est alors de remplacer les organes de sécurité disparus, mais aussi de mettre l’ensemble des Brigades révolutionnaires sous ses ordres. Cette initiative amènera une contestation virulente de la part des autres brigades révolutionnaires qui se sont installées dans la capitale, comme cela fut le cas des brigades de Misrata et de Zentan. Dès lors, Tripoli, aux mains des brigades devenues milices, deviendra l’objet de combats territoriaux avec en toile de fond la paternité de la chute du régime.
La mise en place de ces conseils militaires a évidemment miné l’autorité des institutions politiques créées lors des élections législatives de 2012, confirmant de ce fait une première fracture entre le politique et les milices.
Un autre facteur va aggraver la situation. Afin de restructurer l’armée, réduite à la portion congrue au lendemain de la Révolution, une structure militaire régionale (Nord, Sud, Est, Ouest) appelée Bouclier National de la Libye (BNL) a été créée en 2012. À sa tête, des ex-djihadistes de l’ex-Groupe Islamique pour le Combat en Libye (GICL- considéré comme organisation terroriste par la Communauté internationale). Ayant combattu Kadhafi durant son règne et pendant la révolution de 2011, ils sont considérés comme révolutionnaires méritants. Certains auront sous leurs ordres des militaires qui ont fait défection en 2011. La structure ne tiendra pas le choc.
Les ex-djihadistes et leurs milices commettront des tueries envers la population. Et le système sera contesté par les militaires, notamment par le Général Haftar. En fin de compte, cette structure militaire sera dissoute annihilant de ce fait tout espoir de reconstituer une véritable armée. « La création de cette force a été une catastrophe majeure pour l’armée libyenne et pour la patrie. Nous payons toujours le prix de cette erreur fatale à ce jour », m’a déclaré le Maréchal Haftar en mars 2018.
Purges dans l’armée
Autre erreur des politiques : en 2013, une purge importante de militaires a lieu. Fait surprenant, elle ne vise pas seulement, comme celle de 2012, les pro-kadhafistes mais des militaires qui ont combattu Kadhafi, dont le général Haftar. Cette purge est d’autant plus dommageable qu’une grande insécurité règne alors et que des djihadistes réactivés font la loi dans certaines villes, à Benghazi, à Derna, mais aussi dans le sud. Cette seconde purge, validée par le premier ministre Ali Zeidane, marquera à jamais une fracture entre le politique et l’armée, du moins celle qui sous l’égide du Maréchal Haftar s’est reconstituée à l’Est de la Libye dès 2014.
C’est aussi à cette date qu’apparaît une autre fracture : elle est institutionnelle. À la suite des élections législatives, le Congrès national général (CGN), le Parlement basé à Tripoli, ne reconnait pas le résultat de ces dernières élections et conteste la légitimité du nouveau Parlement sorti des urnes, lequel se réfugie dans l’Est, à Tobrouk. La Libye s’est donc retrouvée non seulement avec deux Parlements, le CGN qui s’est réactivé mais est considéré comme illégitime par la communauté internationale et « Le Parlement » installé à Tobrouk, m Mais aussi avec deux gouvernements, celui de Tripoli considéré comme illégitime et celui de Al Beida, à l’Est légitimé. In fine, afin de résoudre la crise, l’Onu a dissous le CGN et mis en place un nouveau gouvernement dirigé par Fayez Al Sarraj à Tripoli mais qui lui ne sera jamais reconnu par le Parlement légitime de Tobrouk.
L’impossible dialogue
Face à l’antagonisme guerrier qui a fini par surgir entre les acteurs Est-Ouest, aux intérêts divergents liés au pétrole, la France a proposé une solution politique comme sortie de crise. À savoir la mise en place d’élections présidentielles et législatives permettant ainsi au peuple libyen de choisir ses propres dirigeants. Lors de différentes réunions, elle a ainsi renvoyé dos à dos les acteurs principaux de la crise : Fayez Al Sarraj et le Maréchal Haftar. Malgré les fractures, cette solution pouvait permettre de sortir de la crise tout en stoppant la velléité du Maréchal Haftar d’attaquer Tripoli.
Cependant, las des entrevues avec le premier ministre Fayez Al Sarraj impuissant face aux milices, et en l’absence de plan onusien pour véritablement les dissoudre, le Maréchal a décidé en avril de marcher sur Tripoli, privilégiant une solution militaire pour mettre fin au chaos des milices et instaurer un autre pouvoir. Si l’Onu espère toujours une relance du dialogue politique, la dimension régionale prise par le conflit empêche de s’acheminer sur cette voie. Les milices et le pouvoir de Tripoli d’un côté sont en effet soutenus par la Turquie et le Qatar, tandis que le Maréchal Haftar l’est par l’Égypte, la Jordanie, les EAU et l’Arabie Saoudite. Ces forces régionales qui mènent une guerre par procuration empêchent ainsi pour l’instant toute entremise pacifique.
********************************(*) Hélène Bravin
Hélène Bravin est chercheuse et consultante internationale indépendante. Elle a été journaliste durant de nombreuses années sur le Maghreb pour la presse nationale et internationale. Elle est l’auteure de deux livres sur la Libye : une biographie de Kadhafi : « Vie et mort d’un dictateur » (Editions François Bourin, 2012) et « Libye. Des révolutionnaires aux rebelles » (Editions Erick Bonnier, 2018). Ses travaux sur la Libye ont été repris par le Sénat et sont cités par des centres de recherche. Elle écrit pour la Revue de Défense Nationale et intervient régulièrement dans les médias français et internationaux sur la Libye.
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