DEBAT : RUSSIE ET BREXIT

entre Jean-Pierre Arrignon(*)
Professeur des Universités
et Pierre Mabire(*)

Journaliste et photographe de presse

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;;;;;;;;;;Vladimir Poutine a plusieurs fois déclaré qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat présidentiel. La Constitution interdit d’ailleurs plus de deux mandats consécutifs. Et dans la foulée, le président russe a fait adopter par la Douma une réforme constitutionnelle, qui doit être validée par référendum le 22 avril prochain. Mais voilà que par une péripétie parlementaire savamment orchestrée, un député a fait adopter un amendement estimant que la réforme constitutionnelle devait « remettre à zéro » le nombre de mandats exercés par les anciens présidents. Du coup, Poutine (67 ans) pourrait se représenter deux fois. C’est au sujet de cette réforme, et du Brexit, que Jean-Pierre Arrignon et Pierre Mabire ont opposé leurs arguments.

LE POINT de vue
de Jean Pierre ARRIGNON(*)

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Deux événements récents n’ont pas été traités de façon identique par les médias. Le premier est la démission du gouvernement russe de Dimitri Medvedev le 15 janvier 2020, remplacé par le patron du fisc russe, Mikhaïl Michoustine. Le second événement, survenu le 31 janvier 2020 est la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne.


La Russie


Le premier événement mérite de retenir toute notre attention. Le Président Vladimir Poutine, dont le mandat s’achève en 2024, a annoncé dans une importante déclaration (précédant la démission du Gouvernement de Dimitri Medvedev) une réforme de la Constitution du pays afin de modifier l’équilibre des pouvoirs et faire avancer la Russie vers la démocratie. Ainsi les trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) seront séparés.

Désormais la Douma va pleinement jouer son rôle en désignant le premier ministre, que le président sera obligé d’investir. De même que la Douma jouira d’une pleine initiative législative. Le pouvoir exécutif passe sous le contrôle du Parlement, alors que le pouvoir judiciaire ne dépend plus du pouvoir exécutif et devient totalement indépendant. La réforme constitutionnelle annoncée reprend ainsi la séparation des pouvoirs, si chère à Montesquieu.

Par cette réforme constitutionnelle, la Russie, perçue à l’étranger comme un État non démocratique alimentant le Russian bashing, peut désormais changer son image en avançant vers la démocratie sur la base de la séparation des pouvoirs. Il est particulièrement regrettable que cette réforme annoncée n’ait pas retenu l’attention des politiques et des médias. L’Union européenne, une fois de plus, n’a pas accompagné cette démarche d’évolution. Dans une telle situation, l’Union rappelle étrangement son incapacité à refuser les sanctions unilatérales imposées à la Russie comme à l’Iran par les Etats-Unis. Malgré tout, le président russe compte sur la France et ses institutions pour l’aider à faire grandir la démocratie en Russie et changer l’image dictatoriale de ce pays.

Le Kremlin peut-il changer de visage ? photo DR

Le Brexit 


Le second événement s’est produit le 31 janvier 2020, lorsque le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne. Politiques et médias se sont mobilisés pour analyser ce départ. Il n’est pas question pour moi d’analyser ce départ mais l’occasion d’attirer votre attention sur deux points particuliers. Participer à une union politique, économique, culturelle et sociale impose l’adhésion à un Projet capable de fédérer tous les peuples qui composent l’Union. Cela ne peut être qu’un projet rassembleur, délibérément tourné vers l’avenir et seul capable de les fédérer dans un avenir commun. Ce Projet doit reposer sur une part de rêve, partagée en commun. L’absence de ce rêve a eu pour effet de diviser les peuples qui composent l’Union et a abouti à la perception de l’Union comme une seule « super structure » dominée par des fonctionnaires irresponsables qui imposent des règles sans tenir compte des moindres spécificités des populations.

C’est dans ce contexte que dans toute l’Europe, de l’Italie à la Pologne, sont apparus des mouvements dits « populistes » qui relaient l’aspiration des peuples et rejettent la suffisance et l’arrogance de la structure de l’Union européenne et de ceux qui la soutiennent, l’intelligentsia. C’est ainsi que l’Europe se fracture.

Une des premières missions qui devraient s’imposer à l’Union Européenne est donc de penser un véritable Projet européen, capable de rassembler les populations à travers la perspective d’un avenir partagé. C’est ce que le président Macron a tenté de porter autour de la construction de la démocratie et de la prise en charge de la protection de la nature. Deux valeurs capables de réunifier populisme et intelligentsia, à condition toutefois qu’on permette de les développer. Or ce beau Projet, qui vise à fédérer les peuples autour d’un avenir commun, implique aussi des ruptures ; notamment avec l’OTAN et les Etats-Unis et suppose l’affirmation d’une Europe ambitieuse, porteuse d’espérance.

Le Brexit d’une part et la réforme constitutionnelle russe de l’autre, offrent à l’Union européenne une extraordinaire opportunité de relancer la construction d’un vaste espace démocratique, capable d’assumer le projet écologique. Cela suppose certes de la volonté, du courage mais aussi la participation de tous et notamment des plus jeunes générations. C’est là tout le rôle de Greta Thunberg. Puisse l’Europe être à la tête de ce vaste projet.
Quant aux accords économiques et juridiques qui doivent régler les nouveaux rapports entre le Royaume Uni, libre, et l’Union européenne ; ils ne peuvent remplacer ce Projet d’avenir et ces futures négociations ne seront pas suffisantes pour rassembler populisme et élite autour d’une perspective de réconciliation. Tant que l’Europe n’aura pas porté ce projet ambitieux et rassembleur, il sera impossible de réunir les populismes avec leurs élites et d’offrir à la jeunesse européenne la possibilité de s‘investir dans son vaste projet de lutte contre le réchauffement climatique.

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LE POINT de vue
de Pierre MABIRE (*)

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Pour avoir longtemps tenu la plume dans la presse écrite française, je livre un point de vue très personnel sur la tiédeur des médias de notre pays à l’égard de la réforme constitutionnelle de la Russie.

La Russie


Selon ce que je peux lire dans les journaux bien informés de l’Hexagone, le président Poutine a une vue différente du principe de séparation des pouvoirs de celle nous concevons chez nous.

Exemple : la séparation du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Avec la nouvelle constitution russe, le président a le pouvoir de ne pas promulguer (ou ratifier) une loi nouvellement votée, y compris aux 2/3 de la Douma.

La séparation entre le judiciaire et le pouvoir politique central ne semble pas aussi clair que cela. Le président aura la possibilité de déchoir les présidents des plus hautes juridictions : Cour Suprême et Conseil Constitutionnel. Ce qui met évidemment la pression sur ces institutions pour qu’elles statuent favorablement aux injonctions et réquisitions du Kremlin via ses procureurs.

Comme la plupart de mes confrères, je m’inquiète du sort des journalistes indépendants russes, emprisonnés arbitrairement ou placés en résidence surveillée, voire pour certain(e)s éliminé(e)s physiquement. Les avancées démocratiques se mesureront véritablement avec l’usage qui sera fait de la réforme constitutionnelle. Attendons de voir…

Le Brexit 


Concernant l’Union européenne, je confesse être plutôt satisfait du départ de l’UK. Nos amis britanniques sont entrés à reculons dans cette union et sont toujours restés sur leurs quant-à-soi sur les diverses politiques communautaires. Donc, les voilà partis…

Le temps n’est pas aux regrets, mais à la prospective. La France ayant repris le leadership sur l’Union, avec un président désireux de donner à l’Europe un rôle de premier plan sur la scène internationale, il va devenir possible de mutualiser des politiques dans de nombreux secteurs : défense, diplomatie, fiscalité, droits sociaux et du travail, etc. Et ce dans le respect absolu des cultures régionales et locales.


J’espère surtout voir l’Union européenne devenir une grande démocratie alors qu’elle n’est, pour l’heure, qu’une administration technocratique sans mandat des populations gouvernées.
Je pense que le temps n’est pas loin où des ponts très élargis seront établis entre l’UE et la Russie, tant l’allié américain s’affiche de moins en moins sûr, et voit dans une Europe devenue État fédéral un nouvel adversaire potentiel.

Malgré l’éloignement géographique, il serait bon de rapprocher les deux peuples, de Russie et de France, par la multiplication des jumelages comme il y en eut entre la France et l’Allemagne afin de bâtir une paix durable basée sur l’amitié, l’échange et le métissage des cultures. Je sais que vous y travaillez beaucoup.


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Publié le 23 mars 2020

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(*) Jean-Pierre Arrignon est professeur agrégé et docteur en Histoire. Il a enseigné à l’Université d’Artois et à l’Université de Poitiers, dont il a été doyen de la faculté des Sciences Humaines. En tant qu’historien, il est spécialiste du monde médiéval et de la Russie. Ses recherches portent sur le monde slave médiéval, mais son intérêt s’étend également à l’histoire de la Russie contemporaine. Il est docteur Honoris Causa de l’Université de Yaroslavl, en Russie.

Vous pouvez suivre son blog GEOPOLITIKA
https://blogjparrignon.net/asc2i/author/jparrignon/

(*) Pierre Mabire
Journaliste et photographe de presse intéressé par la Géopolitique





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