Iran :
entre résilience et autoritarisme renforcé

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Pascal Le Pautremat (*)
Rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF

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Depuis 1979, avec la prise du pouvoir par les Mollahs et l’instauration d’une République islamique, l’Iran a tourné le dos à l’Occident. En retour, les Etats-Unis l’ont ostracisé et soumis à un embargo qui perdure. Aujourd’hui, Téhéran ne cache pas de nouvelles dynamiques malgré une grande fragilité socio-économique.

A Jérusalem comme à Washington, il n’est pas question de baisser la garde et d’adopter une politique de dégel diplomatique. Surtout que l’Iran n’a clairement pas renoncé à sa politique de soutien aux actions anti-israéliennes, ni à la relance de sa politique nucléaire. Ce sont les sources de frictions depuis le mandat de Donald Trump, et qui se poursuivent sous la présidence de Joe Biden.

Le dossier nucléaire 
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En mai 2019, sur décision de Donal Trump, les Etats-Unis se sont retiré de l’Accord sur le nucléaire de Vienne, signé en 2015, fruit de 12 années de négociations. Le locataire de la Maison blanche estimait que l’Iran ne respectait pas ses engagements. Or, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) assurait l’inverse, et précisait que l’Iran avait toujours respecté les clauses du traité de Vienne, à savoir : limiter son stock d’eau lourde à 130 tonnes maximum, et ses réserves d’uranium enrichi (UF6) à 300 kg, tout en renonçant au processus de son enrichissement au-delà de 3,67%.

Face à la décision froide de Donald Trump, Téhéran décidait donc, au cours du second semestre 2019, de ne plus respecter le traité de Vienne. Depuis, l’Iran subit un nouvel embargo. En dépit de dérogations possibles depuis févier 2022, les Etats-Unis menacent toujours de rétorsions financières toutes les entreprises et banques étrangères qui ne se plieraient pas à leur décision unilatérale, visant à fragiliser toujours un peu plus le régime islamique. Mais celui-ci résiste et témoigne d’une certaine résilience.

Conscients de l’impasse dans laquelle se trouvent les négociations sur le nucléaire, les Etats-Unis ont finalement accepté d’accorder des dérogations pour le programme nucléaire civil, qui devraient ainsi permettre aux Iraniens de conserver leur réacteur à eau lourde d’Arak, ainsi que celui de Téhéran, dédié à la Recherche, sous contrôle de la communauté internationale. L’idée étant d’empêcher toute production de plutonium, à savoir de l’uranium enrichi à des fins militaires.

Mohsen Fakhrizadeh Mahabadi, à la fois professeur de physique à l’université Imam Hossein de Téhéran, et général de brigade chez les gardiens de la Révolution, assassiné par le Mossad le 27 novembre 2020 sur la route d’Absard. Photo DR.

Cette nouvelle posture diplomatique ne ravit pas les Israéliens qui sont focalisés sur la menace nucléaire de l’Iran depuis des décennies. Entre 2010 et 2020, ils ont assassinés pas moins de 5 scientifiques iraniens qui travaillaient sur le nucléaire : le physicien Massoud Ali Mohammadi, en janvier 2020, et Majid Shahriari en novembre 2010, Darioush Rezaeinejad en 2011, Mostafa Ahmadi Roshan en 2012 et Mohsen Fakhrizadeh-Mahabadi, chef du département recherche et innovation du ministère iranien de la défense en novembre 2020. Sans compter ceux qui ont été blessés, lors d’attentats perpétrés à leur encontre.

L’aide de pays partenaires
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L’Iran, à la surprise de nombreux observateurs, témoignent d’une résilience assez impressionnante, quoique les difficultés économiques et sociales soient devenues un problème majeur dans le pays.

Il est vrai que sur la scène internationale, l’Iran est loin d’être isolé. Divers pays, qui relèvent de cette troisième voie que l’on résume sous l’acronyme de BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), se mobilisent pour l’Iran. Ainsi, afin que l’Etat persan puisse recouvrer son droit de vote à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU), la Corée du Sud a débloqué, en janvier 2022 une partie des fonds iraniens gelés que possèdent les banques sud-coréennes. Quelque 18 millions de dollars, sur les quelque 7 milliards de dollars de fonds, ont permis à Téhéran de régler ses cotisations à l’ONU, récupérant ainsi son droit de vote.

Face au poids de l’embargo, notamment énergétique, l’Iran a accepté un compromis à propos du commerce international de gaz avec les pays riverains de le mer Caspienne, à savoir le Turkménistan et l’Azerbaïdjan, au point de ne plus s’opposer au projet américano-azéro-turkmène d’un gazoduc sous-marin à destination de l’Europe du sud. En contrepartie, l’Iran va disposer de livraisons conséquentes, dès cette année, de gaz turkmène à hauteur de près de 2 milliards de m3 par an. Cela profitera principalement aux besoins de consommation de la population du nord du pays.

Durant l’année 2021, l’Iran est même parvenu à contourner les contraintes imposées par l’embargo. Si bien que, selon la banque centrale iranienne, les ventes de pétrole entre mars 2021 et septembre 2021 ont augmenté de 118 %. Elles sont ainsi passées de 8,5 Md$ à 18,6 Md$.

 

Plate-forme pétrolière iranienne dans les eaux du golfe arabo-persique .Photo blogspot.com

Enfin, en janvier 2022, un accord de coopération stratégique et commerciale de vingt-cinq ans a été officiellement lancé avec la Chine.

Depuis le printemps 2022, sur fond de guerre en Ukraine, les ressources énergétiques iraniennes suscitent l’intérêt, notamment en Europe, et même aux Etats-Unis, qui ne sont plus à un paradoxe près  pourvu que leurs besoins soient satisfaits.

Poursuite de la politique de Défense
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Conjointement, l’Iran semble maintenir sa politique de dotation en nouveaux systèmes d’armes.

Il peut ainsi compter sur les partenariats stratégiques et de défense avec des pays tels que la Chine et la Russie. Fin 2021, Téhéran faisait ainsi savoir que le régime iranien se félicitait de la coopération « bilatérale, régionale et nationale » pluridisciplinaire avec la Russie. On sait combien le partenariat irano-russe, en Syrie, a compté pour la préservation du régime de Bachar al-Assad.

Il est aussi prévu qu’en 2022, l’Iran signe une commande en systèmes d’armes russes, pour un montant de près de 10 milliards de dollars. Cette commande porterait sur l’acquisition d’un satellite militaire, de systèmes de défense aérienne S-400, et d’avions de combat Su-35 Flanker E. Cet achat de nouveaux appareils vise à renouveler partiellement une flotte aérienne de combat iranienne qui remonte à plus de 30 ans, et souffre désormais d’obsolescence.

En matière de politique spatiale, là aussi, la constante semble de mise. La politique spatial de l’Iran connaît certes des échecs et déconvenues. Mais, depuis le printemps 2020, le Corps des Pasdarans, Gardiens de la Révolution, a mis en orbite son propre satellite militaire. En décembre 2021, l’unité spatiale du ministère de la défense iranien annonçait qu’une fusée porteuse d’un Satellite Simorgh avait été envoyée dans l’espace extra-atmosphérique. Une dynamique qui préoccupe les services de renseignements américains. Selon eux, les progrès du programme spatial iranien facilitent aussi la mise au point de missiles balistiques intercontinentaux, dans la mesure où les lanceurs requis sont quasi semblables à ceux utilisés dans la recherche spatiale. Et bien évidemment, Américains et Israéliens craignent que de tels missiles puissent être dotés de charges nucléaires…

Persistance de la grogne
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Sur le plan politico-social, la situation demeure très tendue. Le président iranien, Ebrahim Raïssi, en poste depuis août 2021, représente la branche la plus conservatrice du régime. Il a durci la répression contre toute forme de contestation. Les emprisonnements et les peines capitales se multiplient à l’encontre des condamnés, y compris lorsqu’ils sont mineurs. Les aveux sont souvent obtenus après des semaines, voire des mois de tortures et de mises à l’isolement. Ebrahim Raïssi est connu pour avoir été l’un des bras du système judiciaire des chiites radicaux lors de leur prise du pouvoir.

Manifestation dite « nocturne », parce qu’elle se déroule en fin de journée, après la journée de travail. Photo CNRI

Depuis l’étranger, les Iraniens expatriés ne cessent de dénoncer la dimension arbitraire et inhumaine du régime des Mollahs. Preuve de cette ligne autoritariste et répressive, le nombre de condamnations à des peines de prison prononcées à l’encontre de militantes féministes, d’étudiants et de salariés aurait augmenté de plus de 50 % en 2021, selon le rapport annuel de l’organisation Droits de l’homme d’Iran. Les violations caractérisées des droits de l’homme valent à Raïssi d’être inscrit sur la liste noire des dirigeants iraniens établie par Washington, dirigeants sur lesquels pèsent des sanctions.

La grogne populaire résulte aussi de l’inflation galopante qui sévit dans le pays depuis plus de 2 ans, Sans compter la sécheresse, la pire sécheresse depuis un demi-siècle dans le pays,  qui a fait chuter de près de 60 % les rendements agricoles entre 2020 et 2021.

Les manifestations qui dénoncent les hausses de prix des carburants et des denrées alimentaires et se succèdent à travers tout le pays, dans plus d’une centaine de villes. Si, en 2019, la répression avait été une réponse lapidaire du régime, la donne a changé en 2022. L’inflation augmente de 40% par an. Et les prix ont été multipliés par 5. Près de 80% de la population serait, aujourd’hui, en situation de précarité. Longtemps mal gérée par un régime présenté comme corrompu, la crise sanitaire, à cause de la COVID-19, n’a fait qu’aggraver la situation globale.

Nombre de « cerveaux », en quelques années, sont parvenus à quitter le pays, à destination de l’Europe, des Etats-Unis ou du Canada.

Le régime ne peut aller à l’affrontement, trop de catégories socio-professionnelles, y compris du secteur tertiaire supérieur, descendent désormais dans la rue. Le pire mal que craint Téhéran est une révolte généralisée de la population qui, poussée dans ses extrémités, pourrait décider de ne plus rien avoir à perdre… C’est assurément cette option qui retient l’attention de Washington…

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(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Conférencier et chargé de cours dans l’Enseignement Supérieur, il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Il intervient aussi dans les sociétés et les structures publiques en matière d’analyses géopolitiques et géo-économies. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF.
Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : « L’or Bleu” «  est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF du 30 novembre 2020

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