La Lituanie
Au secours de Belarus
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Dominique Dubarry (*)
Expert en Géostratégie

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La foule de migrants poussés par la dictature Biélorusse contre les barbelés de la frontière polonaise a défrayé la chronique le mois dernier. Mais la même chose s’est produite à la frontière du Bélarus et de la Lituanie, sans émouvoir la presse internationale. L’auteur a voulu briser ce silence.

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a sixième élection présidentielle en Belarus (9 août 2020) a été suivie d’un coup de tonnerre pour son président, Alexandre Loukachenko, en place depuis 27 ans. Il avait su garder le pouvoir par son autoritarisme, sa mégalomanie galopante et sa garde prétorienne de policiers bien casqués. Il pensait que ça continuerait. Mais voilà que les manipulations et tricheries évidentes du scrutin ont fait sortir dans la rue une nouvelle majorité, opposée à sa dictature.

Le soulèvement démocratique contre cette élection présidentielle truquée s’est heurté à une répression policière de plus en plus violente. Il a conduit la Lituanie à renforcer son aide à son voisin, compte tenu des liens historiques et séculaires entre les deux pays. Ayant souffert elle-même pendant plus d’un demi-siècle sous le régime autoritaire soviétique, elle tend à aider ses frères du Belarus dans la lutte pour leur propre liberté. Le 23 août 2020, 50 000 participants et leur président Gitanas Nauséda ont voulu rappeler le succès mondial de la Voix Balte (23 août 1989) en participant à une impressionnante chaîne de solidarité reliant le centre de Vilnius à la frontière du Belarus, située à une trentaine de kilomètres.

En septembre, le gouvernement lituanien a approuvé un plan de soutien à la société civile, aux victimes des répressions, aux médias indépendants et autres types d’assistance. La Lituanie a voulu simplifier les procédures de délivrance des visas, permis de résidence et d’accès à l’emploi et elle a aussi pris en charge les frais de scolarité des écoliers, facilitant ainsi l’intégration sociale des Biélorusses décidés à s’installer en Lituanie. Ceux qui ne viennent que temporairement pour fuir les persécutions peuvent y rester avec des visas nationaux de long séjour délivrés pour raisons humanitaires, ou des visas Schengen. La Lituanie favorise l’intégration des Biélorusses, la barrière linguistique n’existant pas. Une école à Vilnius propose un cursus complet dès la primaire en langue biélorusse.

L’Université européenne des sciences humaines (EHU), créée par Anatoli Mikhailov, s’installe à Vilnius en 2005. Elle compte 900 étudiants, dont 95% de Biélorusses. Sur les  3200 diplômés de l’EHU, 2 124 l’ont été à Vilnius. Chaque année depuis 2006, la Lituanie subventionne l’Université et délivre des visas gratuits aux étudiants et professeurs. En coopération avec l’EHU, une ONG lituanienne, le « Centre d’études de l’Europe de l’Est », établit un fonds d’aide d’urgence en faveur des victimes des répressions, des médias, besoins d’assistance juridique…

La colline des croix, en Lituanie, qui existe depuis 1831  suite à une répression tsariste, a été rasée plusieurs fois, en vain, à l’époque soviétique. Elle est le symbole de la résistance populaire. Des réfugiés Biélorusses  sont venus y planter leurs croix.
Photo Pixabay.

Les manifestations spontanées ont été réprimées avec une telle férocité que la peur s’est étendue sur la ville de Minsk et en province. Il est à craindre que le pays s’enfonce dans l’oubli au niveau européen. Et pourtant, le satrape de Minsk accumule les provocations. Le détournement d’un avion de Ryan Air afin d’arrêter un opposant a soulevé une protestation quasi unanime.

Dans un communiqué conjoint, les chefs d’Etat des trois pays baltes et de la Pologne annoncent qu’une nouvelle « guerre hybride orchestrée politiquement par le régime d’Alexandre Loukachenko » est déclarée, et dénoncent un chantage migratoire. Des migrants traversent illégalement les limites territoriales avec la complicité évidente des garde-frontières biélorusses. Durant l’été 2021, plus de 4.000 d’entre eux ont été arrêtés, la majorité provenant d’Irak et d’Afrique subsaharienne, soit 50 fois plus qu’en 2020. « Une attaque contre l’UE » a déclaré la première ministre de Lituanie Ingrida Simonyte, qui s’est empressée de faire construire un mur, avec des barbelés, sur les 680 km de la frontière commune, avec l’aide du Danemark et l’appui de Bruxelles.

Les droits de l’homme étant bafoués et violés, les membres de la Maison des Journalistes de Paris ont exposé des photos explicatives : depuis un an, il y a eu 210 250 biélorusses exilés, 649 prisonniers politiques, 33 000 opposants incarcérés, 50 ONG fermées.

Le ministre lituanien des Affaires étrangères, Gabriel Landsbergis, est en place depuis 2020, petit fils du Père fondateur de l’indépendance lituanienne qui avait osé déclarer la prééminence des lois lituaniennes sur les lois soviétiques (mai 1989). Il a repris le flambeau de la lutte contre les régimes autoritaires en accueillant les opposants au régime de Poutine, comme les Tartares après l’occupation de la Crimée ou les Biélorusses exilés après l’élection confisquée par Loukachenko. Le Petit poucet de la diplomatie européenne ne s’arrête pas là puisqu’il quitte le format 17 + 1 UE /Chine des routes de la soie institué par Pékin, son utilité pour l’Europe lui semblant discutable. Dans la foulée, il facilite l’ouverture d’un bureau de Taiwan à Vilnius déclenchant l’ire de la Chine. Ce porte-étendard des valeurs démocratiques d’un petit pays pourrait-il influencer la diplomatie bruxelloise ? Son grand-père avait eu le culot de dire non à l’URSS, elle disparut en décembre 1991 !

L’annonce de manœuvres conjointes entre les armées russe et biélorusse prévues en février 2022 n’est pas surprenante, elle fait suite aux exercices Zapad de 2016, les soldats russes retrouvent leur logistique lourde restée sur place autour de Grodno ! De plus, ces manœuvres militaires à répétition ont de quoi inquiéter la Lituanie car sa capitale Vilnius est située à 40 km de la frontière avec le Belarus Ces inquiétudes réciproques sont partagées avec l’ Ukraine, elles incitent la Lituanie à lui livrer des missiles antiaériens Stinger. Terreur des pilotes d’hélicoptères russes, ils avaient précipité l’évacuation soviétique d’Afghanistan en 1989.

La volonté forcenée de Moscou d’agrandir ses limites dans l’espace post-soviétique est bien dévoilée dans la deuxième édition révisée du livre « D’une mer l’autre, de la Baltique à la Mer Noire : confluence de deux mondes » présenté ci-après dans sa biographie

Que peut faire l’opposition ? Svetlana Tsikhanovskaïa, auréolée du prix Sakharov et réfugiée à Vilnius, anime un Conseil de coordination de l’opposition biélorusse pour l’indépendance, avec des appuis diplomatiques européens. Malgré l’ombre toujours pesante de Moscou, elle lance son défi, un référendum sous médiation internationale suivi d’une réforme institutionnelle.

Autant l’opposition peut compter sur ses voisins proches, les trois Baltes et la Pologne, autant les autres pays européens n’en parlent guère. Ils oublient que le Belarus est situé au centre de l’Europe, et que de son futur dépendra notre propre futur.

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(*) Dominique Dubarry est spécialiste de la commercialisation de produits de défense et de sécurité en Amérique du Nord, dans le nord de l’Europe et spécialement dans les trois pays baltes, Lituanie, Lettonie, Estonie. Auditeur de l’I.H.E.D.N.  et du Centre des Hautes études de l’Armement, il est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes français de l’Ukraine et des pays baltes. Il a publié de nombreux ouvrages, dont « Les Rencontres Franco-Baltes » en 2006, et« France-Pays Baltes » en 2010, traduit en lituanien. Il est l’auteur « D’une mer l’autre, de la Baltique à la Mer Noire: la confluence de deux mondes », livre présenté dans la rubrique LIVRES d’ESPRITSURCOUF du n° 92 du 28 janvier 2019.dont il vient de publier une 2ème édition avec la mise à jour de plusieurs chapitres(6 ,8, 10 et 11)

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