Séoul-Washington
L’avenir de l’alliance
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Tom Dash (*)
Étudiant en Sciences Politiques
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Yoon Suk-Yeol, président de la République de Corée, nom officiel de la Corée du Sud, s’est rendu en visite officielle à Washington et Boston du 24 au 29 avril derniers. C’est l’occasion de radiographier les relations entre Séoul et les Etats-Unis, deux parties de cet espace Indopacifique qui prend de plus en plus d’importance.
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Une petite piqûre de rappel ne peut être inutile. Après la Seconde Guerre mondiale, la péninsule coréenne est divisée en deux le long du 38e parallèle. Au nord, avec le soutien de l’Union soviétique, s’établit un régime communiste : la République populaire démocratique de Corée, ou Corée du Nord. Au sud, avec le soutien des États-Unis, naît la République de Corée, ou Corée du Sud.
En juin 1950, les forces nord-coréennes envahissent la Corée du Sud. Dans la foulée, le Conseil de sécurité des Nations Unies met sur pied une coalition armée, dont le commandement est confié aux États-Unis. L’objectif est d’aider la Corée du Sud à repousser les forces nord-coréennes, elles-mêmes appuyées par les forces chinoises à partir d’octobre 1950.
Cette guerre de Corée est très meurtrière et dure trois ans. Elle se conclue par un armistice, et non un traité de paix, qui met fin aux hostilités actives le 27 juillet 1953. La péninsule coréenne est alors divisée le long d’une zone démilitarisée. Le traité de paix n’est toujours pas signé.
Des relations ambivalentes
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Depuis 1953, la République de Corée semble avoir troqué un alignement sur les Etats-Unis contre des garanties de sécurité formelles. C’est du moins ce que l’on pourrait croire à travers une lecture, parfois simplifiée, de la relation entre Séoul et Washington. Celle-ci est pourtant par nature ambivalente, avec d’une part une admiration d’un modèle d’excellence éducative, une satisfaction d’un partenariat économique, technologique et de défense. Et d’autre part le rejet d’un pays qui stationne 30 000 hommes de façon permanente au sud du 38e parallèle pour un coût annuel d’un milliard de dollars, à la charge de la Corée du Sud.
Ainsi cette relation qualifiée « d’amour-haine » par la coréanologue Juliette Morillot dans son dernier ouvrage La Corée du Sud, n’a-t-elle pas été exempte de fluctuations et a été émaillée de phases de tensions voire d’épisodes d’anti-américanisme virulents au cours des trente dernières années. Ces pics d’hostilité à l’encontre des Etats-Unis coïncidaient le plus souvent avec des faits divers, des tensions géopolitiques sur la péninsule impliquant la Chine et la Corée du Nord ou encore la signature d’accords de libre-échange (ALE) jugés par l’opinion peu favorables à Séoul, ou résultant de concessions difficiles au cours des négociations.
Pour ne citer que quelques-uns de ces épisodes, le meurtre d’une prostituée en 1992, puis l’acquittement de deux soldats américains accusés d’avoir tué deux lycéennes dans un accident automobile en 2002, soulevèrent un émoi national. La signature de l’Accord de libre échange « KORUS » en 2007 fut vivement reproché au président de l’époque, Lee Myung-bak, accusé d’avoir cédé aux pressions américaines. Dans le contexte de la maladie de « la vache folle », Séoul avait imposé un embargo sur le bœuf américain. Washington en posait la levée comme préalable à la reprise des négociations.
Le déploiement du système antibalistique de Lockheed-Martin, THAAD, en 2017, fut quant à lui et de façon emblématique générateur d’hostilité envers Washington pour une partie de l’opinion coréenne. En effet, le déploiement de THAAD, en pleine crise des missiles avec la Corée du Nord, entraîna des frictions importantes avec la Chine, soutient de Pyongyang mais aussi premier partenaire économique de la Corée du Sud. Cet épisode mêlant la Chine, les Etats-Unis et la Corée du Sud représente bien l’ambiguïté dans laquelle se trouvait encore il y a peu la Corée du Sud désireuse de ne froisser aucun de ses partenaires.
Entre Washington et Pékin
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Un proverbe coréen dit que « lorsque les baleines se battent, le dos des crevettes se brise ». Cette métaphore résume bien le sort de la péninsule toujours convoitée par ses puissants voisins, la Chine, le Japon, la Russie. Colonie chinoise entre 109 avant JC et 313 de notre ère, avant d’en devenir vassale, colonie japonaise entre 1910 et 1945, occupée militairement et scindée en deux à l’aube de la guerre froide, la Corée ne peut qu’entretenir des rapports complexes à son environnement géopolitique direct.
S’il est impossible de nier aujourd’hui que les garanties de sécurité offertes par Washington à Séoul sont un élément clé de la géopolitique sud-coréenne, elles sont pour autant loin de la régir. C’est historiquement un jeu d’équilibres diplomatiques, plus complexe chaque jour, que Séoul s’efforce de maintenir, et qui implique parfois plus de distance que par le passé avec les Etats-Unis. La Chine est en effet depuis 2004 le premier partenaire économique de la Corée du Sud, loin devant les Etats-Unis et le Japon cumulés. De surcroît, si Pékin soutient Pyongyang, elle a aussi le pouvoir de stabiliser la Corée du Nord et est de facto, et même volens nolens pour Washington, un acteur incontournable de la sécurité sur la péninsule.
Dès lors, bien qu’un récent sondage ait mis en lumière que 75% des Sud-coréens avaient une image négative de la Chine et que 89% avaient une vision positive des Etats-Unis, la Corée du Sud ne peut se permettre de soutenir inconditionnellement son allié Américain. Sur le plan économique, la signature du RCEP, un Accord de libre-échange, regroupant quinze états de la région, représentant 30% du PIB mondial et de la population sur terre, comprenant la Chine et le Japon, a permis à la Maison Bleue (la Présidence de la République de Corée) de signifier son indépendance vis-à-vis des Etats-Unis. Il en va de même pour l’intégration en 1915 de la Corée du Sud dans la Banque Asiatique pour les Investissements dans les Infrastructures, une banque chinoise des nouvelles routes de la soie, tout en restant membre de la Banque Asiatique de Développement dont elle est un membre fondateur et dont le siège est à Manille.
C’est ainsi une réelle divergence d’approche qui s’est fait jour entre Séoul et Washington quant à la situation régionale. Les Etats-Unis, concentrés sur leur lutte contre l’expansion des ambitions chinoises, ont cherché à intégrer la Corée du Sud dans des formats d’alliances ou de partenariats géostratégiques formels, comme le Quad qui rassemble déjà Tokyo, Canberra et Delhi aux côtés de Washington. A l’inverse, la Corée du Sud n’entretient pas de rivalité stratégique avec la Chine, mais a en revanche des contentieux historiques très vif avec son ancien colonisateur japonais.
Toutefois, cette situation est en train de changer. Comme l’avaient signifié an 1922 l’équipe de transition du président Yoon à ses collègues du CSIS, un think tank basé à Washington, la nouvelle administration est désireuse de se rapprocher de Washington mais aussi de Tokyo, l’ancien colonisateur.
Les lignes bougent
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Les divergences de vues entre Corée du Sud et Etats-Unis tendent à se réduire considérablement depuis l’arrivée au pouvoir en 2022 du conservateur et partisan de la ligne dure face à Pyongyang, Yoon Suk-Yeol. Le voyage officiel du Président Sud-coréen à Washington et Boston du 24 au 29 avril 2023 a marqué la cinquième rencontre entre les présidents Yoon et Biden et s’inscrit dans un contexte plus large de rapprochement couplé à une politique d’apaisement marqué avec le Japon.
Cette cinquième rencontre fut l’occasion pour les deux alliés de célébrer les 70 ans de l’alliance de 1953, approfondie une première fois en 1991 en plaçant la Corée du Sud sous le parapluie nucléaire américain, puis à nouveau cette année à travers la « Déclaration de Washington » ayant suivi la visite d’Etat.
Parmi les mesures incluses dans cette déclaration, un nouveau format de discussion bilatéral en matière de dissuasion nucléaire, et le stationnement d’un sous-marin doté de missiles balistiques sur les côtes sud-coréennes. Ces deux évolutions notables du partenariat de défense entre les deux Etats se comprend dans le prolongement de déclarations du président Yoon en janvier, lorsqu’il avait évoqué la possibilité pour la Corée du Sud de se doter d’armes nucléaires, Cela aurait été une violation des obligations de son pays en matière de non-prolifération, et c’est un sujet qui n’avait pas été soulevé en Corée du Sud depuis une décennie.
S’il semble que les deux chefs d’Etats ne se sont pas appesantis sur les questions d’ordre économique et commercial, ils ont tous deux réitéré les déclarations habituelles d’attachement à la démocratie, à la paix et aux droits de l’Homme. Ils ont également affirmé l’importance que revêtait à leurs yeux la préservation de la paix dans le détroit de Taïwan, s’opposant selon la formule connue à « toute tentative unilatérale de changer le statu quo dans la région ».
Se pose alors une question centrale : à peine trente ans après le rétablissement de relations normales entre Séoul et Pékin (1992-2022), le président Yoon est-il en train de faire opérer un tournant géopolitique d’ampleur à son pays, en se rapprochant du Japon et des Etats-Unis d’une part et en montrant bien plus de défiance envers la Chine et la Corée du Nord que par le passé d’autre part ? Il semble en effet que l’administration Yoon emprunte ce chemin en dépit du coût politique que cela pourrait avoir pour elle, compte-tenu de la faible popularité du président Yoon dans son pays (sous le seuil des 30%) et de l’accueil frais réservé à la déclaration de Washington dans la presse généraliste coréenne.
Il est néanmoins impossible d’ignorer aujourd’hui que Séoul n’a pas été aussi proche de Washington depuis longtemps. Une proximité se manifestant par un soutien à l’Ukraine alors que Pyongyang soutient la Russie, et que l’ambassade sud-coréenne en Chine a exigé un droit de réponse au journal nationaliste chinois Global Times après une couverture hostile à cette visite d’Etat. Ultime illustration de ce rapprochement, Séoul prévoit l’achat de nouveaux systèmes THAAD, les mêmes qui avaient par le passé suscité la colère de la Chine.
(*) Tom Dash, journaliste stagiaire chez Espritsurcouf, est étudiant en relations internationales à l’ILERI Paris (Institut Libre d’Etudes des Relations Internationales et des Sciences politiques). Ses points d’intérêt sont fixés sur les questions stratégiques, politiques et économiques en Asie du Nord-est (essentiellement la Chine et son environnement stratégique). Il étudie également l’espace post-soviétique (évolutions politiques, questions sécuritaires et énergétiques). |
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