DU CONFINEMENT
AU PASS-SANTÉ
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Curtis Vaïsse (*)
Juriste.
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L’invention d’un vaccin en moins d’une année constitue un tour de force scientifique, inconcevable il y a encore un an, sans pour autant balayer les oppositions. D’autres innovations soulèvent aussi des craintes, comme le certificat sanitaire. Dès lors qu’en mars 2020 les Français ont subi la mesure restrictive de liberté la plus attentatoire depuis la seconde guerre mondiale, ces craintes, légitimes, nourrissent un débat démocratique. Ce débat est toujours d’actualité, en tenant compte des mesures de déconfinement définies fin avril par le Président de la République. Un débat qui doit conduire à la mise en œuvre de moyens modernes face aux périls contemporains et permettre à la raison de l’emporter.
Le troisième confinement français, imposé depuis Pâques, aura certes été moins pénible que le confinement de mars 2020, les français étant dispensés de présenter une attestation pour chaque sortie de leur domicile. Mais un peu plus d’une année après le début de la crise sanitaire, force est de constater que, dans l’affaire, les innovations françaises ne sont pas légions.
Des moyens financiers importants ont pourtant été investis, des fleurons de l’industrie informatique française ont été impliqués, mais sans résultat probant. De « Stop Covid » à « Tous anti-covid », sa version bêta (une version beta est en langage informatique la version modernisée d’une application), l’activité inventive n’est pas fulgurante.
Il faut saluer le ferme refus du Gouvernement de confier cette application d’identification des cas contacts aux GAFA (Google, Facebook, Amazon et Apple), qui se sont jetés sur cette occasion de mettre la main sur une nouvelle source de données précieuses dans d’autres pays de l’Union Européenne, Allemagne en tête. Ce refus de principe aurait été d’autant plus louable s’il avait favorisé la mise en œuvre rapide d’innovations technologiques pour sortir d’une crise qui parait interminable.
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Un outil controversé à multiples facettes
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Passeport santé, certificat vaccinal, pass sanitaire… de nombreuses expressions ont été utilisées pour qualifier le document attestant du statut virologique d’une personne. Historiquement, c’est l’Organisation Mondiale de la Santé qui a créé, en 1969 un certificat de vaccination nécessaire pour entrer dans 21 pays d’Afrique noire. Aujourd’hui il ne subsiste que pour la fièvre jaune.
Mis en place en Israël dès le début 2021, ce qu’on a appelé le passeport vert a été étendu aux personnes ayant guéri du Covid-19, et pouvant justifier à ce titre d’un statut immunitaire vérifié. Il est délivré exclusivement par le ministère de la Santé et valable pour une durée de 6 mois. La capacité de vaccination de l’État hébreu a indéniablement permis de mettre en œuvre rapidement cet outil de contrôle sanitaire (de même que l’approche des vacances estivales a pu en accélérer l’acceptabilité auprès de populations à priori rétives). Il est aussi probable que la taille du pays, sa culture, ses capacités logistiques et de mobilisation ainsi qu’une implication gouvernementale très précoce dans l’acquisition de vaccins ont créé des conditions favorables au passeport vert.
La stratégie israélienne a fait des émules, notamment dans une Union européenne dont les membres se sont montrés divisés et sceptiques. Certains États européens ont saisi cette occasion pour pousser la Commission Européenne à se mêler de l’affaire. Les chefs de gouvernements portugais et grecs, inquiets de constater la recrudescence de l’épidémie et l’incapacité à la juguler en février dernier, ce qui menaçait la prochaine saison touristique, ont publiquement appelé la Présidente de la Commission Européenne à se saisir de la question.
Ainsi, le 17 mars dernier, une proposition de Règlement « relatif à un cadre pour la délivrance, la vérification et l’acceptation de certificats interopérables de vaccination, de test et de rétablissement afin de faciliter la libre circulation pendant la pandémie de COVID-19 » était publié par la Commission Européenne.
Cette attestation a donc pour objet d’indiquer si une personne a été vaccinée contre le Covid-19, si elle a effectué un test prouvant qu’elle n’est pas porteuse du virus, ou si elle dispose des anticorps, après avoir guéri de la maladie.
Ce certificat vert numérique évite ainsi le risque de discrimination des personnes qui ne peuvent ou ne souhaitent être vaccinées, en l’ouvrant également aux tests antigéniques, PCR ou aux personnes immunisées, pour une durée qui devra donc être adaptée. Cette ouverture se montre essentielle non seulement en raison des craintes de certains individus à l’égard de la vaccination, mais également compte tenu de la lenteur de la politique vaccinale en UE.
En France, il est désormais possible d’enregistrer son certificat de vaccination ou son test PCR dans l’application TousAntiCovid d’un téléphone portable, ou sur un imprimé, alors même qu’une minorité de la population française est vaccinée. D’ici l’été, le Parlement décidera des modalités d’application de ce document (pour entrer dans certains lieux publics fermés par exemple), car c’est un outil qui touche aux libertés fondamentales. La Commission Nationale Informatique et Libertés a validé cette nouvelle fonctionnalité, pour autant que son utilisation soit basée sur le volontariat et qu’elle ne permette pas la création de base de données centralisées de données de santé.
La Commission Européenne se montre également soucieuse d’assurer un fonctionnement international du certificat vaccinal, insistant sur la nécessaire interopérabilité des technologies, quelle qu’en soient les modalités technologiques.
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Une sécurisation nécessaire
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Si Israël a fait office de pionner en matière de certificat vaccinal, son passeport vert a rapidement connu des déboires, en raison de son défaut de sécurisation. De nombreuses fausses attestations étaient disponibles au marché noir, à tel point que moins d’un mois après son lancement près de 100 000 utilisateurs avaient rejoint un groupe de la messagerie cryptée Telegram proposant de faux certificats de vaccination. Cette situation a poussé le gouvernement israélien à organiser un marché public pour sélectionner une technologie de protection du passeport vert.
En France, mais aussi aux Pays-Bas, en Espagne, en Irlande et au Royaume-Uni, dès que les premières compagnies aériennes ont exigé un test ou une preuve de vaccination, des fraudes ont été constatées, ce qui a justifié la publication d’une alerte par EUROPOL en février dernier. La coordination des polices européennes s’y inquiétait des capacités des organisations criminelles à utiliser toutes sortes de moyens technologiques pour copier, contrefaire ou réaliser des faux certificats de tests.
Il est donc impératif que la sécurisation la plus aboutie des certificats sanitaires se trouve au cœur d’une stratégie de long terme de lutte contre la Covid-19. Une sécurisation contre les fraudes bien sûr, mais aussi contre l’utilisation commerciale abusive de données personnelles.
Il y a près de deux ans, le groupe suisse SICPA a conçu une technologie de sécurisation des documents officiels, tels que des diplômes, des attestations, des documents notariés… La multinationale, spécialiste de l’authentification et de la traçabilité sécurisée, a combiné une technologie de blockchain avec ses processus de sécurisation et d’intégrité des données. Par l’émission d’un code QR, disponible sur un smartphone ou imprimable sur tout support, la vérification de l’authenticité de l’émetteur, du titulaire et de l’information pertinente (en l’occurrence le statut virologique d’un individu), est rendue possible. Ce certificat, délivré par un organisme accrédité sur la base d’une liste établie par les autorités, est infalsifiable et universellement vérifiable, même sans connexion internet.
La technologie blockchain sous-jacente est la première à avoir reçu une certification selon la norme eIDAS de l’Union Européenne. Cette technologie est déjà utilisée dans le monde pour sécuriser les tests de sportifs et de personnels de compagnies aériennes. Totalement interopérable, le statut lié à la personne et à l’émetteur peut à tous moments être mis à jour, pour mettre fin au statut, le renouveler, le compléter. Originellement conçue pour protéger les diplômes, cette technologie a d’ailleurs été mise à disposition du Gouvernement français dans le cadre d’une expérimentation lancée par le ministère des Armées en avril 2020.
Elle a été sélectionnée en avril dernier par l’office fédéral de la santé publique pour sécuriser les certificats sanitaires qui seront émis en Suisse.
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Technologies et vie privée, un subtil équilibre
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Il est évidemment capital que ces moyens technologiques s’inscrivent dans le respect du Règlement Général de Protection des Données. Non seulement en raison de la sensibilité des données relatives à l’identité des personnes et de leur santé, mais également pour se prémunir contre l’utilisation commerciale de données à des fins commerciales publicitaires, de manipulation ou de piratage.
Si l’Europe ne doit pas tergiverser avec les principes démocratiques, notamment en matière de protection de la vie privée, cette haute considération pour les droits individuels ne doit pas l’empêcher d’utiliser les nouvelles technologies de manière conforme à ses principes fondamentaux.
C’est d’ailleurs en trouvant le juste équilibre entre l’utilisation des technologies les plus performantes et le respect des droits individuels que l’Union Européenne peut imprimer sa marque et promouvoir un modèle alternatif alliant modernités technologique et humaine.
Au Danemark, les terrasses sont rouvertes depuis un mois, puis en ce début mai, ce seront les restaurants, les musées, les théâtres et les cinémas qui accueilleront les danois grâce au coronapass. Bien sûr, sa mise en place ne se fait pas sans levée des boucliers, notamment chez certains commerçants qui considèrent que ce n’est pas leur rôle de contrôler les consommateurs. Mais dans un pays où le taux de vaccination est semblable à la France, pour une population 10 fois moins importante, la vie culturelle va reprendre son cours normalement.
Alors que la vaccination bat son plein en France, le Président français a présenté à la presse son plan de déconfinement en 4 étapes. Après de longues tergiversations, le certificat sanitaire numérique est donc maintenant intégré à l’application TousAnti-Covid et en test sur certains vols entre la France métropolitaine et la Corse.
Si gouverner c’est prévoir, dans un monde vulnérable, incertain, complexe et ambigu, une telle crise doit être l’occasion d’une remise en question salutaire. L’UE semble être sur cette voie, comme certains de ses États membres, en ce qui concerne deux aspects indispensables de la souveraineté : les politiques industrielle et digitale. C’est en conciliant avec subtilité modernité technologique et protection des libertés individuelles que l’idéal européen continuera d’inspirer confiance.
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(*) Curtis Vaïsse est « Responsable juridique et affaires publiques » d’un groupe international concevant et mettant en œuvre des systèmes de traçabilité sécurisée et d’authentification pour lutter contre les trafics illicites. Il est titulaire d’un doctorat en droit de l’Université Paris V – René Descartes : « Essai d’une nouvelle problématique de lutte contre la contrefaçon contemporaine – Approche globale des techniques préventives et répressives des trafics de produits contrefaisants » |
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