NOUS SOUFFRONS D’ÊTRE
ORPHELINS DE LA FRANCE
Pierre Pascallon (*)
Professeur Agrégé de Faculté (honoraire)
Ancien Parlementaire
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C’est un fait : la France n’occupe plus dans le monde la place qu’elle occupait jadis. Bien des candidats ou aspirants candidats à l’élection présidentielle surfent sur ce constat de manière tonitruante. L’auteur, qui fut un homme politique plutôt conservateur, veut dire plus sobrement qu’il vit mal cette situation. Bien évidemment, ses propos n’engagent que lui-même.
a France est une longue volonté dans l’Histoire. Il n’était certes pas écrit que des Bretons et des Corses, des Alsaciens et des Basques, se retrouvent un jour à vivre ensemble au sein d’une même entité, l’hexagone géographiquement presque parfait que l’on sait. Face à notre extrême diversité : continentale, atlantique, méditerranéenne, il a fallu l’effort centralisateur séculaire de la Royauté Capétienne, relayée par la République, pour nous « donner » la France.
La France ? C’est-à-dire un État-nation. Mieux : une nation forgée par un Etat, puisque telle est bien « l’exceptionnalité française ».
La France, l’État-nation français, a été au XIXe siècle au centre et au cœur de l’Histoire du Monde, l’Histoire d’un Monde avant tout européen, puisqu’en fait, du XV° au XIX° siècle, on a eu un véritable « monopole » de l’Europe sur l’Histoire du Monde. Le XIXe siècle a été à plein le siècle de l’Europe, et plus spécialement, dominant ce temps, le siècle de la Grande Bretagne victorienne (ère victorienne 1850-1875). XIXe siècle, l’apogée de l’ascension européenne où la supériorité du Royaume-Uni devient suprématie !
Mais la France, avec l’Allemagne, est dans le sillage, sur les talons ou presque, tenant son rang, la jouant belle et puissante, même si déjà en retard par rapport à son voisin d’outre-Manche (On sait le sujet « classique » d’examen : Pourquoi le retard français ?)
L’histoire ne s’arrête pas au XIXe siècle.
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De nouveaux rivaux des Européens apparaissent sur l’échiquier mondial. Des puissances, dans le dernier quart du XIXe siècle, contestent la supériorité mondiale européenne. On voit de nouveaux venus s’inviter au « bal » de la puissance, avec l’émergence du Japon et surtout des États-Unis, dont le « surgissement » en tant que puissance mondiale va être l’élément déterminant du XXe siècle.
On assiste, au changement de siècle et au début du XX°, alors que le 1er conflit mondial (1914-1918) vient fracasser le Vieux Continent, à un affaiblissement relatif de l’Europe, au profit des États-Unis principalement. Qui vont encore sortir renforcés de la Deuxième Guerre mondiale et commencer leur insolente progression.
La France bien sûr n’échappe pas au déclin relatif de l’Europe, amplifié au XX° siècle, même si notre vieille nation va s’essayer à quelques sursauts (on pense à la période de l’État gaullo-pompidolien industrialiste).
Mais, et nous voilà à la fin du XXe siècle-début du XXIe siècle, cet affaiblissement de notre pays va se conjuguer désormais plus avant, avec un mouvement de délitement de notre État-nation, entrainé par la grande mondialisation des trois dernières décennies.
Il est sûr que la nation, entrainée dans le tourbillon de cette mondialisation libérale, va subir un « arasement », un risque, si ce n’est déjà une réalité dans nos années 1990-2000, de se voir dépecée et dépassée, entrainant chez nous (et ailleurs) une crise dont il faudra chercher les raisons au plus profond, dans l’effondrement, l’effritement du sentiment d’appartenance à une communauté de destins.
Oui, il est certain pour nous que le sentiment d’une perte d’identité nationale est bien au cœur de notre mal être. Nous souffrons, avec cette grande globalisation qui a engendré une crise d’identité nationale. Nous souffrons d’être désormais orphelins de la nation, orphelins de la France.
Cette mondialisation libérale va être, on reprend le qualificatif de BAUMAN, un processus « d’allègement » de l’échelon national. Plus, peut-être, un processus de dissolution, de désintégration, de « dé-faisance » de l’État-nation, laissant les individus dans une situation d’isolement d’un espace de présent suractivé, un présent existentiellement flottant.
Nous avons eu, après les changements géostratégiques de 1989-1991 (Chute du Mur de Berlin, dislocation de l’URSS, disparition du Pacte de Varsovie), une vaste et puissante « mondialisation ». Nous allons vers un « seul et unique monde », le village global qui n’a plus de frontières, affiché en théorie (il y aura loin entre la théorie… et la réalité) comme facteur de Paix et de Progrès. Nous avons connu, dans la décennie 1990 et les suivantes, une grande mondialisation financière. C’est le capitalisme financier qui occupe toute la scène avec des actionnaires à la recherche à tous prix du plus grand profit. Nous avons vécu cette mondialisation, ce capitalisme financier mondialisé sous la domination économique, monétaire, culturelle et militaire de l’« hyper puissance américaine » (selon le terme juste d’Hubert VÉDRINE).
Des preuves
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Faudrait-il des preuves à ces affirmations ?
Nous les tenons. Les symptômes de cette crise d’identité nationale sont bien là, très visibles, très présents : le peuple l’exprime à chaque occasion, à chaque moment de sa colère. Pour en rester à nos dernières années, on peut, on doit faire figurer ici, comme illustration de ce désarroi, le mouvement hier des Gilets Jaunes. Voilà en effet des « rebelles » (Paul THIBAUD) qui s’enveloppent de drapeaux tricolores, qui chantent la Marseillaise en quête des valeurs républicaines : liberté, égalité, fraternité. Mais c’est aussi, par certains aspects, le sens des manifestations contre le pass sanitaire en 2021.
On comprend dans ce contexte « l’ardente obligation » (on fait bien sûr écho à la formule du Général DE GAULLE par rapport à la planification française des années 1960) de retrouver notre âme collective, et ce mythe nécessaire qui est en train de se dissoudre : la Nation. Oui, « l’ardente obligation » de retrouver la Nation comme communauté, comme une ambition collective permettant de construire l’avenir ; la Nation, cette « donnée invincible et mystérieuse » selon les mots définitifs d’André MALRAUX, qui nous aide à devenir des hommes, qui est messagère d’enracinement, d’identité, de dignité, de libération ; la Nation qui est – comme le rappelait Jean Jaurès – le « seul bien des pauvres ».
Les candidats déclarés ou potentiels à la prochaine élection présidentielle d’avril 2022 semblent vouloir retrouver le chemin de la fierté et de l’identité de la Nation française. On ne peut que s’en réjouir.
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(*) Pierre Pascallon, Professeur Agrégé de Faculté (sciences économiques et sociales), a enseigné à l’Université de Clermont-Ferrand (dont il a été le vice-président), mais aussi à Paris, au Maghreb, en Afrique noire, au Québec. Il a publié quelque soixante-dix ouvrages, plus particulièrement sur les questions de défense et les problèmes géostratégiques, et plus de cent cinquante articles dans les revues et journaux français (le Monde, Le Figaro, …) et étrangers (Républica, …). Son parcours politique est marqué par deux mandats de Député (1986-1988 et 1993-1998). Il a été conseiller général du canton d’Issoire, conseiller régional d’Auvergne, élu cinq fois conseiller municipal d’Issoire, et a été trois fois Maire (1989-2008) de la cité de Saint-Austremoine. |
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