LA CHINE
DE TOUS LES POSSIBLES
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Interview de Denise Flouzat (*)
Économiste
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Denise Flouzat
Diplômée de l’IEP de Paris, Docteur ès sciences économiques, Denise Flouzat a enseigné dans de nombreuses universités avant d’être nommée Recteur de l’académie d’Orléans-Tours. Elle a été Directeur du Centre d’enseignement et de recherche sur les économies de la région Asie-Pacifique, puis professeur de l’Unité de Formation et de Recherche (UFR) de gestion de Paris I- Panthéon-Sorbonne.
Elle a participé à la conduite de la politique monétaire de la France en tant que Membre du Conseil de la politique monétaire, du Conseil général de la Banque de France. Elle a, par ailleurs été membre du Conseil de perfectionnement de l’École Saint-Cyr Coëtquidan.
Denise Flouzat, de 2004 à 2012, a été Vice-Président de la Société des membres de la Légion d’honneur. Elle est administrateur honoraire de la Fondation pour la recherche de la Banque de France. Aujourd’hui, Professeur émérite, elle enseigne dans les Universités de Paris I et Paris II.
Elle est l’auteur de nombreux ouvrages dont le manuel « Économie contemporaine » en trois volumes, « La nouvelle émergence de l’Asie » (1996), Stratégies monétaires » (2003), « Japon, éternelle renaissance » (2004 et en japonais 2005).
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Interview recueillie pour ESPRIT SURCOUF par Pierre Charrin (*)
Quarante ans de « révolutions »
Quels sont, Madame, les points-clés à retenir de la politique chinoise depuis la mort de Mao Tsé-Toung ?
Après la liquidation de la « bande des quatre », l’événement fondamental est l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping. Tirant les leçons des graves erreurs commises sous la direction de Mao, il lance les « Quatre modernisations » (industrie et commerce, éducation, organisation militaire et agriculture) qui ont pour but de rapprocher la Chine d’une économie de marché, d’assouplir le contrôle de l’Etat sur l’économie, avec aussi comme objectif l’émergence de la Chine sur la scène internationale. Tout cela se fait avec le maintien de la mainmise du parti communiste sur le pouvoir chinois, tout en prévoyant que le mandat du Président de la République soit limité à 5 ans et renouvelable une seule fois.
Une date importante est aussi en 2001 : l’entrée de la Chine à l’Organisation Mondiale du Commerce. La Chine a demandé un délai de 15 ans, c’est-à-dire jusqu’en 2016 pour devenir une économie de marché.
Quels sont
les effets de ce grand tournant de la politique chinoise ?
Avec cette ouverture et les bas salaires chinois, la Chine est devenue très attractive pour l’étranger : les entreprises japonaises, taïwanaises, puis occidentales s’y sont précipitées, s’associant avec des entreprises chinoises qui se sont discrètement privatisées ; cela a engendré une formidable croissance des exportations, comme de l’économie chinoise dans son ensemble.
Tout cela n’a pas pu se faire de façon harmonieuse : les entreprises publiques, elles, étaient peu compétitives et le système financier opaque, La Chine sur nombre de produits a pratiqué un dumping parfois important, si bien qu’en 2016 l’OMC a refusé de reconnaitre la Chine comme étant une économie de marché.
Quel est l’impact de l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping ?
Le président Xi Jinping s’est attaqué à la corruption qui était effectivement importante et cela a donné lieu à des procès spectaculaires. Par cette politique Xi Jinping a aussi organisé le renforcement de son pouvoir et ceux de ses proches.
Dans cette Chine en pleine transformation, Xi a eu le souci de la stabilité sociale, ce qui implique une croissance suffisante pour créer les emplois nécessaires pour absorber la main d’œuvre disponible sur le marché du travail ; mais en même temps, il s’est efforcé de mieux contrôler les banques qui fournissaient des crédits excessifs, tout en limitant aussi le « shadow banking ».
Le président Xi par ailleurs présente et met en œuvre un programme ambitieux de présence internationale de la Chine : route de la soie, mais aussi présence affirmée de la marine chinoise en Mer deChine en revendiquant un certain nombre d’îles.
Dans le domaine des rapports économiques, l’Occident a été déçu de constater que sous la présidence de Xi, les transferts de technologies, ayant de fait un caractère obligatoire pour les entreprises étrangères travaillant en Chine, se poursuivaient.
Cependant dans la dernière période, la tonalité des déclarations du président Xi a changé, devenant moins dominatrice, notamment lors d’un discours début mars devant l’Assemblée populaire nationale : cela est sans doute dû à de nombreux facteurs et notamment au ralentissement de la croissance économique qui se situe maintenant aux environs de 6% par an, alors que dans ses meilleures années cette croissance a dépassé les 10% …
Un exemple de cette modération est la déclaration du Premier ministre de ne plus pratiquer les transferts de technologies plus ou moins contraints à partir du 1er janvier prochain ; en cas de conflit, il sera possible de porter le litige devant les tribunaux chinois, ce qui n’est guère satisfaisant compte tenu du manque d’indépendance de ces tribunaux … mais les Chinois sont très susceptibles sur les questions touchant à leur souveraineté et se plaisent à rappeler toutes le humiliations subies par la Chine de la part de l’Occident au XIXe et début du XXe siècles.
Qu’en est-il de la planification en Chine et de l’intervention de l’Etat dans la vie économique aujourd’hui ?
Il n’y a pas beaucoup de planification en Chine, les plans sont vagues, on a tendance à confondre les résultats et les objectifs et à proclamer que les résultats sont les objectifs qu’on s’était fixé …
En revanche la présence du parti communiste est très importante : il y a 89 millions de personnes membres du parti présents dans l’ensemble de la Chine. Partout, dans toute entreprise, université, organisation de toute nature, on trouve un « correspondant » du parti qui figure en bonne place dans tous les organigrammes qu’on présente aux visiteurs extérieurs.
Dans le cadre d’un tel contrôle, les prix sont artificiels en Chine, ce n’est pas une économie de marché, de là les surcapacités de production dans certains domaines.
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Et maintenant
Quels sont les défis économiques auxquels est confrontée la Chine ?
La Chine depuis de nombreuses années est prise dans un dilemme : pour assainir son économie, lutter contre l’opacité de son système financier, rendre plus compétitives des entreprises sous contrôle étatique, elle pratique par moment une politique monétaire et financière restrictive. Mais comme il faut aussi assurer une croissance soutenue pour créer suffisamment d’emplois et éviter des troubles sociaux, elle est amenée à relancer l’économie quand la croissance faiblit trop : de là une politique de « stop and go ». Récemment, la Chine est sortie d’une politique restrictive – « stop » encore en 2018 -, pour être à l’heure actuelle dans une phase – « go » – incitant à la croissance.
Par ailleurs, sur ces dernières décennies, les moteurs de la croissance chinoise ont été les exportations et l’investissement ; ces deux secteurs pèsent trop lourds dans l’économie. Le PNB par tête et par an est de 9500$ en Chine, alors qu’il est de 63000$ aux Etats-Unis. En dépit de la forte croissance chinoise il faut garder à l’esprit ces ordres de grandeur qui placent la Chine au même niveau que des pays comme le Brésil. L’expérience prouve que pour qu’un pays soit vraiment assuré d’atteindre un niveau de développement suffisant, il faut que la consommation intérieure représente une part de la production que la Chine n’arrive pas encore à atteindre, en dépit des efforts que font en ce sens les dirigeants chinois. La consommation ne représente encore qu’un peu moins de 40% du PIB, le taux d’épargne des ménages étant encore très élevé pour satisfaire les besoins de santé et de retraite très imparfaitement fournis par la collectivité.
Avec la hausse des salaires, la spécialisation de la Chine dans les activités industrielles de montage, très intensives en main d’œuvre, peut difficilement perdurer, mais une évolution vers l’automation, comme au Japon, ne serait pas sans poser de difficiles problèmes. L’automation entraine une moindre croissance des emplois, voire leur diminution : cela conduirait la Chine à être confrontée à de difficiles problèmes sociaux.
Quant aux avancées de la Chine dans les secteurs de pointes, comme les télécommunications, la biologie, etc., il m’est difficile d’apprécier le niveau auquel est parvenue la Chine. Il est sûr que dans certains domaines comme la 5G, avec des entreprises comme Huawei, la Chine atteint le meilleur niveau mondial et l’expérience montre que la Chine progresse très rapidement dans les secteurs où elle connaît un retard
Vous, Madame, qui avez fait de nombreux voyages en Chine depuis 1985, quels sont, au-delà des performances économiques, quelques-unes des transformations qui vous ont le plus frappées ?
C’est un pays qui s’est complétement métamorphosé très rapidement, de façon souvent stupéfiante. Quand, au milieu des années 1980, je suis arrivée pour la première fois à Pékin, l’aéroport était très modeste, la route pour aller au centre de la ville encombrée de bicyclettes, sans voiture, sauf celles des dirigeants politiques et hauts fonctionnaires. Dès le début des années 2000, tout cela était complétement transformé : un aéroport de classe internationale, beaucoup de voitures à la place des bicyclettes, etc.
J’ai vu Shanghai presque comme il était autrefois avec le Bund (quartier des anciennes concessions internationales), et en face des zones marécageuses. Très vite le Bund a été transformé et modernisé. En face, à la place des marécages se dresse tout un ensemble considérable de tours d’une grande hauteur, constituant, à mon sens, une des visions immobilières les plus belles et impressionnantes qui soit au monde.
Les campagnes aussi se sont très vite transformées. Dès la fin des années 1980, dans les régions que j’ai pu parcourir à l’époque, on voyait des maisons bien construites, d’une salubrité apparente, à peu près comparable à celle qu’on peut rencontrer dans nos campagnes françaises
Comment voyez-vous les évolutions possibles de l’économie chinoise ?
Il y a eu avec le président Xi Jinping une transformation tout à fait importante du fonctionnement du régime politique chinois : la règle selon laquelle le président ne peut accomplir que deux mandats successifs de 5 ans a été abolie ; l’emprise du parti communiste sur lequel Xi Jinping exerce son autorité, a été encore renforcée. Il y a donc contrôle étroit sur l’ensemble de la population. Un tel contrôle est contradictoire avec les exigences du développement économique qui suppose, pour bien se poursuivre, des possibilités de libre initiative de la part des individus entreprenants. En ce sens il y a une aspiration à la liberté. Mais en même temps les Chinois savent que l’histoire de leur pays est jalonnée de périodes de prospérité sous l’égide d’empereurs autoritaires qui ont su faire l’unité du pays, suivies ensuite de phases de désordres, de conflits intérieurs préjudiciables à tous.
C’est pourquoi la période maoïste est souvent jugée de façon nuancée : longtemps le discours plus ou moins officiel a été de dire qu’au cours de cette période, dans la mesure où Mao avait refait l’unité de la Chine, il y avait « 2/3 de bon et 1/3 d’aspects négatifs » … pour ma part, je mettrais des proportions différentes … mais c’est ainsi que l’histoire est souvent jugée en Chine.
Dans ce contexte, il est bien difficile de dire quelles sont les forces, les intérêts qui l’emporteront. La remise en cause du régime actuel me parait peu vraisemblable … mais l’histoire nous a appris qu’il peut y avoir des retournements brutaux ! Ce qui est certain, c’est que la Chine a atteint un poids tel dans l’économie mondiale, dans les échanges internationaux, qu’il faut souhaiter une poursuite de son développement, en faisant des progrès dans l’évolution vers une économie de marché.
Quelle est l’évolution de l’Union Européenne à l’égard de la Chine ?
Lors de la réunion du 26 mars dernier à Paris avec le président Xi Jinping, à laquelle la Chancelière Angela Merkel et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker ont participé, il y a eu une déclaration prenant acte du fait que la Chine était devenue une puissance en compétition avec l’U.E. L’Allemagne de son côté s’est ralliée à la position française pour exercer désormais un contrôle sérieux sur les rachats d’entreprises allemandes par des intérêts chinois, surtout quand il s’agit d’entreprises de haute technologie.
Il faut être aussi attentif au fait que la Chine, depuis 2012, a organisé, en fait sous son égide, une sorte de forum européen qui se réunit régulièrement et auquel adhèrent 16 pays européens de l’Europe de l’est et méridionale. Jusqu’à présent, sauf en Grèce, cette organisation n’a pas fait grand-chose, mais c’est là un danger pour l’indépendance et l’unité de l’U.E. si l’on songe à la politique chinoise de la route de la soie et aux financements que peut proposer la Chine dans ce cadre. Il y a là une politique délicate à mener au sein de l’U.E., car les pays concernés sont jaloux de leur indépendance et ne veulent pas tomber sous la vassalité de Bruxelles et de l’Allemagne …
ESPRITSURCOUF parait tous les quinze jours
Prochaine parution le lundi 18 novembre 2019
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