LA FRANCE
DANS L’ESPACE
de Patrick Toussaint(*)
Avocat spécialisé en contrats internationaux
Dans un précédent article « LA GUERRE DANS L’ESPACE : UNE REALITE ANCIENNE » (n° 114 du 01/07/2019), j’avais expliqué que la guerre dans l’espace était une réalité ancienne et j’avais parlé des différents pays déjà beaucoup plus avancés que la France.
J’avais d’ailleurs omis de mentionner que l’Inde avait effectué un tir par un missile contre un de ces vieux satellites météo en 2017.
Depuis, la directrice de la société SpaceX, société privée, interrogée par la presse, répondait que si la défense des Etats-Unis le nécessitait, cette société pourrait envoyer dans l’espace des satellites armés.
La France devait prendre position et ce fut fait par un discours du Président de la République le 13 juillet 2019 et un autre de la Ministre des Armées le 25 juillet 2019 définissant une véritable stratégie spatiale.
Un commandement de l’espace est créé, à compter du 1er septembre au sein de l’Armée de l’Air qui deviendra l’Armée de l’Air et de l’Espace lequel s’installe à Toulouse, proche d’industries et de centre de recherches aérospatiales avec un effectif actuel de 220 personnes qui montera en puissance.
Les premières tâches de ce commandement vont être :
1/ De définir une réglementation de l’espace dans le droit français.
En effet, l’activité militaire de la France dans l’espace est régie actuellement par le droit civil applicable à l’espace.
Dans la mesure où l’on assiste à une militarisation de l’espace comme je l’ai précédemment exposé, il est nécessaire de définir les prérogatives militaires de la France dans l’espace.
2/ De définir une doctrine des opérations dans l’espace et les moyens nécessaires – existant ou à créer- pour sa mise en œuvre.
3/ De faire la synthèse de toutes les recherches, de tous les projets de toutes les réalisations tant civiles que militaires et les moyens existant afin de créer une synergie et d’éviter les doublons et de créer une concentration des moyens.
4/ De mener à bien les projets figurant dans la loi de programmation militaire en cours et qui porte :
Sur le renouvellement des satellites d’observation militaire par les trois satellites CSO dont le premier a déjà été lancé en décembre 2018 et dont les premières images optiques sont sans commune mesure avec les anciens satellites.
COSMOS 2 ET 3 seront lancés en 2020 et 2021 avec une durée de vie de 10 ans
Sur la signature d’un accord avec l’Italie afin déchanger les données CSO contre les images radar de deux satellites COSMOS-SkyMed de seconde génération (CSG).
Sur le lancement de trois satellites CERES d’écoute électromagnétique – capacité dont ne dispose pas encore la France et qui viendront à la fin de l’année 2020.
Une modernisation du satellite de communication SYRACUSE
Sur la modernisation du radar GRAVES pour permettre à la fois une meilleure cartographie des satellites des autres pays et une meilleure surveillance des satellites français.
Une partie des actions est déjà budgétée dans la loi de programmation militaire 2019-2025 pour un montant de 3,6 milliards d’euros pour les satellites et le radar.
Les reste des opérations à mener représente un montant de 700 millions d’euros qui ne sont pas budgétés.
La Ministre des Armées a également précisé qu’elle avait aussi lancé au mois de juin les études de deux nouveaux programmes spatiaux : IRIS pour préparer la relève des satellites COSMOS et CELESTE pour remplacer CERES.
Dans les programmes exposés tant par le Président de la République que par la ministre des Armées, aucune référence n’est faite quant à la défense active des satellites français et à la riposte en cas d’attaque de ceux-ci.
Pour autant, dans son discours, le Président de la République a parlé « d’assurer notre défense de l’espace et par l’espace » et « de protéger nos satellites » y compris de manière active » ce qui constitue une doctrine spatiale offensive.
J’avais déjà évoqué dans mon précédent article des moyens que la France pourrait utiliser.
Une série de travaux sont en cours notamment à l’ONERA quant à l’utilisation de satellite muni d’une optique adaptative qui concentre de la lumière et de l’énergie et qui peut ainsi endommager les panneaux solaires et les fenêtres optiques de satellites dangereux.
Cette méthode, qui semble très en avance, s’affranchit des turbulences atmosphériques qui perturbent les faisceaux lasers.
D’autres travaux concernent, entre autres, l’utilisation de lasers ioniques- qui posent pour l’instant le problème de la puissance à embarquer sur le satellite -, de système embarqué de micro-ondes ou l’utilisation de missiles antisatellites basés sur des améliorations du système Aster 30 Block 1.
Que peut-on conclure sur les mesures envisagées à ce stade ?
1/ Tout d’abord, le problème financier :
Compte tenu des retards de ces dernières années et de la nécessité des modernisations multiples des Armées, la loi de programmation 2019-2025 est pleine à craquer.
Les 700 millions supplémentaires que réclament les réformes sur le programme spatial ne sont pas budgétés : il faudra ans doute faire des choix, et sans doute pour certains programmes utiliser des programmes d’études amont -PEA- ou des étalements.
2/ Pour compléter l’observation et la cartographie des de satellites, il est absolument nécessaire de compléter le système GRAVES par un module unique en Guyane pour acquérir des données sur des satellites ayant une faible inclinaison sur l’Equateur et, surtout, sur des satellites géostationnaires sur les orbites intermédiaires qui forment les systèmes GPS, GALILEO, GLONASS, BEIDOU, soit sur tous les systèmes de localisation nécessaire à tous les systèmes de défense, notamment de défense contre les attaques de nos satellites sans parler des autres impératifs de localisation de matériels civils et militaires.
Un tel programme es actuellement chiffré à 1 milliards d’euros mais que l’on peut étaler.
3/ Pour couvrir les besoins d’observation, on peut aussi recourir à des constellations de nano-satellites -projet Hirondelles- proposées par un groupe de sociétés (CS, Sodern, Hemeria).
4/ Un autre problème, au moins aussi grave, résulte de la non prise en compte, semble-t-il, des moyens de remplacement de satellites détruit par un adversaire en cas de conflit :la quasi-totalité des systèmes de guidage, de communications, de repérage, de localisation reposent sur des satellites géostationnaires : en cas de destruction, il faut pouvoir des moyens de remplacement capable d’être lancé rapidement ce qui n’est pas le cas avec la base de Kourou compte tenu des distances.
Des moyens de remplacement d’urgence et temporaires capables d’être lancé de la métropole doivent être étudié : l’étude de tels nano ou microsatellites doivent être envisagés avec des moyens de lancement tels les systèmes TEL utilisés pour lancer des missiles antimissiles – Une société privée (?) chinoise utilise ce système pour lancer des petits satellites.
Je renvois également à mon article du 1er juillet 2019 (n°114) à propos des systèmes étudiés par Dassault Aviation dénommé VEHRA.
5/ La structure ancienne qui s’occupait de l’espace – le CIE- Commandement Interarmées de l’Espace- était dirigé par un aviateur mais était rattachée directement au Chef d’Etat-Major des Armées.
Son rattachement au Chef d’Etat-Major de l’Armée de l’Air n’est-il pas de nature à créer des frictions avec les eux autres armées ?
Quant on voit la façon dont l’Armée de l’Air s’est occupée de la défense terrestre de l’Armée de Terre, sous prétexte d’être sûr que les « biffins » n’allaient confondre les précieux avions français avec des avions ennemis – couverture plus que mitée, l’aviation étant toujours à court de financement-, on peut se poser des questions.
Prochain numéro d’ESPRITSURCOUF
lundi 07 octobre 2019
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