« CORONA BONDS » :
AU-DELA DES APPARENCES…


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Baudouin Bollaert (*)
Journaliste
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L’Union européenne donne souvent l’impression d’avancer à reculons. À chaque crise, on est tenté de fustiger son impuissance et son manque de solidarité. En rallumant sur la place publique la vieille querelle entre pays du nord « radins » et pays du sud « dépensiers », l’affaire des « corona bonds » a fait craindre le pire. Mais le crash n’est pas arrivé car, au-delà des apparences, la coordination entre les 27 pays de l’UE n’a pas si mal fonctionné jusqu’à présent pour combattre les incalculables conséquences économiques de la pandémie…
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Petit retour en arrière : tous les Etats membres émettent sur les marchés des obligations auxquelles peuvent souscrire des investisseurs publics ou privés, comme les compagnies d’assurance, les banques ou les fonds d’investissement. Ces titres sont libellés en euros mais avec des garanties nationales. Les « corona bonds », eux, seraient émis au nom de l’Union européenne et non plus au nom des différents gouvernements nationaux. Le grand avantage de ce système serait de mutualiser la dette et d’empêcher la spéculation sur les Etats en difficulté. En Italie, par exemple, le taux d’endettement est monté à plus de 136 % du PIB et le taux d’intérêt des obligations à dix ans se situe autour de 2 %. En Allemagne, en revanche, où l’endettement est descendu sous la barre des 60 %, les taux d’intérêt sont négatifs à -0,39 % environ. La différence est énorme.

L’idée des « corona bonds » est donc séduisante et ne sort pas de nulle part. À la suite de l’épidémie d’Ebola, par exemple, la Banque Mondiale avait lancé avec un certain succès en 2014 des « pandemic bonds » et, sur le même principe, au plus fort de la crise grecque, la Commission de Bruxelles avait proposé en 2011 des « euro bonds » pour aider le gouvernement d’Athènes. Mais ils n’avaient jamais vu le jour faute d’accord entre les dirigeants européens. Ceux-ci avaient créé à la place, en 2012, le MES (Mécanisme européen de stabilité), sorte de fonds de secours de la zone euro agissant sous le contrôle des Parlements nationaux.

Est-ce une caricature de l’Europe : les cigales, les fourmis, une seule tirelire ?
Dessin Pixabay

Treize pays indécis


Qu’on les appelle « euro bonds » ou « corona bonds », les arguments pour ou contre invoqués hier sont identiques à ceux d’aujourd’hui. L’Allemagne et les Pays-Bas, rejoints par l’Autriche et la Finlande, jugent qu’ayant des comptes à rendre à leurs électeurs, les élèves vertueux ne doivent pas être pénalisés par les « cancres » du fond de la classe… Les dix pays qui plaident en faveur de la mutualisation de la dette – Italie, Espagne, France, Belgique, Malte, Portugal, Grèce, Slovénie, Irlande, Luxembourg – en appellent à l’entraide et à la sauvegarde d’un marché européen aussi important pour les « riches » que pour les « pauvres ». Entre les deux groupes, treize autres pays sa cantonnent dans une prudente réserve.


Mais, « corona bonds » ou pas, la pandémie a déjà fait sauter plusieurs verrous importants. D’abord, le 19 mars, la Banque centrale européenne (BCE) décide d’injecter 1 050 milliards dans la zone euro d’ici à la fin de l’année en rachetant les dettes émises par les dix-neuf États qui partagent la monnaie unique. Puis, le 23 mars, les ministres des finances des 27 autorisent les Etats à ne plus respecter, pour une durée indéterminée, le plafond des 3 % de déficit public. Enfin, le 9 avril, les ministres de l’Eurogroupe concluent à l’arraché un accord d’un montant de 540 milliards d’euros : une ligne de crédits de 240 milliards via le MES pour les dépenses de santé, 100 milliards pour le financement des mesures de chômage partiel et un fonds de la Banque européenne d’investissement (BEI) permettant de dégager 200 milliards pour l’investissement des entreprises.


Richelieu et le rameur


L’accord final précise que ces milliards ne seront pas conditionnés à des réformes économiques drastiques comme celles qui avaient été exigées de la Grèce voici dix ans et, last but not least, il évoque un futur « fonds de relance » – sorte de « canada dry » des « corona bonds » – dont « les aspects juridiques et pratiques », notamment le « financement », doivent encore être définis. Bruno Le Maire plaide pour un fonds de « 500 milliards d’euros environ », destiné « aux dépenses d’avenir », « limité dans le temps » mais capable d’émettre de la dette commune car « c’est la seule solution ». Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE qui tiendront un sommet le 23 avril reprendront-ils la balle au bond ? A suivre…

Tout cela peut sembler lent et laborieux. Poussif, diront certains. Mais la pandémie touche tout le monde et pas seulement les cigales du « club Med » qui gèrent mal leurs comptes publics. Même les fourmis du nord de l’Europe comprennent qu’à cette crise sanitaire dramatique doit correspondre un arsenal de mesures économiques exceptionnelles. Et tant pis pour les « corona bonds » si d’autres instruments permettent d’atteindre des résultats analogues !

Aller au but en lui tournant le dos…
Photo Ange Merk

L’essentiel est d’avancer. Sans perdre la face, certes, mais surtout pour sauver l’Union européenne et ses cinq cent millions d’habitants du naufrage. Parfois, « il faut aller au but en lui tournant le dos, comme les rameurs » disait le cardinal de Richelieu. Une maxime qu’on dirait spécialement conçue pour dépeindre le comportement – moins contradictoire qu’il n’y paraît – des dirigeants européens dans la tempête actuelle…
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Publié le 20 avril 2020

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(*) Baudouin Bollaert, ancien rédacteur-en-chef au Figaro, il a été le correspondant permanent de ce journal en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et à Bruxelles ,auprès des institutions européennes et de l’Otan. Il a aussi dirigé le service politique et les pages « Débats et opinions » du même journal. Auteur de plusieurs ouvrages (dont une biographie d’Angela Merkel et un livre d’entretiens sur l’Europe avec Jacques Barrot), il collabore aujourd’hui à la revue Politique Internationale.
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