EAU : ENJEUX
STRATÉGIQUES ET SÉCURITAIRES

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Emmanuel Lenain
Directeur sûreté grands projets chez Suez Eau France
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Dans un monde qui connait des bouleversements climatiques, démographiques, technologiques, géopolitiques et sécuritaires, l’eau est devenue une clef géopolitique. L’auteur s’inquiète : essentielle à l’agriculture et au cœur de l’urbanisation connectée, l’eau n’est pas intégrée dans une vision stratégique de la France. Selon lui, il est urgent de lui rendre sa place, capitale dans l’aménagement du territoire et la sécurisation de notre avenir. Nous vous proposons aujourd’hui la première partie de son étude : l’état des lieux. Dans une seconde partie, il nous présentera des solutions possibles.

K

L’eau, origine de vie sur terre, concentre l’essentiel des besoins de l’homme, lui-même constitué à 70% d’eau. Bien qu’elle soit abondante en apparence, valant à la terre son surnom de « planète bleue », la réalité est tout autre. Parmi les 70% d’eau qui recouvrent la surface terrestre, 97 ,5 % viennent des océans dont la teneur en sel la rend impropre à la consommation. L’essentiel de l’eau douce restante existe sous forme solide dans les deux immenses pôles de l’Antarctique et du Groenland, ainsi que dans les grands glaciers de montagne.

Il reste donc seulement 0,7 % d’eau en surface sous forme de cours d’eau, lacs, et nappes phréatiques, soit environ 40 000 Km3 disponibles actuellement. Ce serait suffisant pour couvrir l’ensemble des besoins d’une planète en pleine explosion démographique si l’affaire était gérée.  

L’eau devient rare


Face à une demande hydrique croissante résultant de l’accroissement démographique, de l’augmentation du niveau de vie, de l’urbanisation, du développement industriel ou de la nécessaire productivité agricole, les différents états doivent relever les défis de l’autosuffisance. L’élément eau devient alors un enjeu dans les dynamiques politiques internes et internationales, mettant en exergue des rapports de conflits ou de collaboration. D’un point de vue géographique l’avantage semble être donné aux riverains situés en amont d’un fleuve. Cet avantage a souvent été à l’origine d’appropriation disproportionnée et d’abus de pouvoir, au regard des pays riverains situés en aval de son cours.

Les 2,5% d’eau douce accessibles étant aléatoirement réparties sur les continents, certaines régions du monde peinent à couvrir les besoins en eau de leur population. Elle devient ainsi l’objet de préoccupations grandissantes, en particulier dans les régions comme le Moyen Orient et l’Afrique du Nord, où elle vient à manquer alors que la consommation y atteint déjà 80% des capacités disponibles, ne laissant que peu de marge à ces pays face à leur croissance démographique ou aux changements climatiques.

Mais au-delà de ces phénomènes « naturels », l’accroissement de la demande d’eau que l’on constate aujourd’hui résulte principalement des phénomènes d’accroissement démographique et d’urbanisation des populations, qui entraînent une augmentation mathématique des volumes utilisés et consommés en réponse à des besoins aussi bien domestiques (hygiènes santé) qu’industriels, énergétiques, ou encore agricole.

C’est une vue d’artiste, mais ce n’est pas une vue de l’esprit. Il faut craindre l’heure où une mauvaise gestion de l’eau rendra les terres inexploitables.
Photo DR

L’évolution du niveau de vie et la croissance économique se posent en principaux facteurs aggravants car elles engendrent des consommations d’eau toujours plus importantes.  Dans le secteur agricole par exemple, on trouve une pression qui résulte directement de la diminution de la proportion des terres cultivables au profit de la construction urbaine ; Le volume des terres étant réduit, il s’agit pour les agriculteurs d’obtenir des rendements maximums, mais pour atteindre cette productivité, certains ont recours à des méthodes d’irrigation et de fertilisation abusives qui, sur le long terme polluent les sous-sols et les nappes souterraines, réduisant un potentiel de ressources souvent surexploité, rendant les terres inexploitables

Si l’idée motrice est de réussir à gérer les ressources en eau dans un souci de durabilité et de sécurité, l’objectif est d’identifier les réserves hydriques exploitables et renouvelables de la planète, de faire état des différents besoins et de s’adapter, de prendre conscience des risques mais aussi des solutions possibles, et de fixer des normes de protection et d’économie pour une exploitation durable. L’eau comme ressource a également été envisagée dans une logique de maximisation de son utilisation, comme en témoigne les techniques de stockage, de traitement et de transfert en perpétuelle évolution, servant des politiques de survivance, aussi bien économique que sociale.

La géopolitique de l’eau


Ces enjeux sont la face visible de problématiques plus larges d’approvisionnement et de répartition d’hydrosphère planétaire, dans ce que l’on appelle parfois la géopolitique de l’eau. L’eau affecte les relations interétatiques et devient un élément structurant de ces relations, selon que les pays concernés sont en situation d’hydro-hégémonie ou, au contraire de stress hydrique. Elle peut s’avérer la clef de résolution ou de déclenchement de conflit au sein d’un même bassin.

Comme la mer d’Aral il y a trois décennies, la mer Morte rétrécit comme peau de chagrin,
car l’eau du Jourdain vient à manquer.
Photo Pixabay

Les situations d’inégalités face à l’eau pèsent donc sur la géopolitique du monde et si certains pays comme le Brésil, le Canada ou la Russie, se partagent les plus grands fleuves et lacs d’autres pays tels la Jordanie ou l’Ouzbékistan dépendent de leurs voisins. Des régions entières du globe voient leurs ressources hydrauliques diminuer dangereusement et font parfois abstraction du code de bonne conduite pour s’emparer, au détriment de voisins, de cette eau qui doit être partagée.

Face à cette menace de pénurie d’eau ou d’utilisation équivoque de la ressource, et selon un schéma tendant à se généraliser à plusieurs régions du globe, le droit semble être la réponse émergente à ces problèmes vitaux. A cet effet, les nations-unies ont posé les bases d’un cadre juridique en 1997 en adoptant la convention de New-York, résultat de plus d’un quart de siècle de travail mené par commission du droit international des Nations-Unies. Elle préconise une répartition équitable des ressources au sein d’un bassin hydrographique mais n’est pas encore entré en vigueur à cause du faible nombre de ratifications, dont celle de la Turquie qui avait tenté d’atténuer la dimension contraignante de la convention.

Il s’agit d’un socle institutionnel légal initial, encore à compléter mais qui constitue une base solide pour les discussions et les négociations entre états par l’exclusivité des thématiques qu’il aborde.

Le recours juridique ne constitue cependant pas la seule arme à brandir en cas de litige. L’idée de la coopération sur un bassin fluvial fait son chemin, ouvrant ainsi des perspectives d’avenir. Partant de l’idée qu’il est de l’intérêt de tous les riverains de trouver une solution optimale et équitable, certaines organisations internationales ont développé des secteurs d’aide dans des domaines aussi large que l’échange de données, la planification de projets, l’expérience partagée, le soutien financier, de même que la nécessaire médiation en vue de la signatures d’accords multilatéraux.

Le réchauffement climatique se manifeste par des phénomènes violents extrêmes et réduit les apports d’eau dans des milieux déjà fragiles comme le pourtour méditerranéen ou l’Afrique subsaharienne. Les dernières années laissent le souvenir d’années chaotiques : pluies diluviennes, inondations, perturbation de la mousson, ou au contraire sécheresses dramatiques, etc…


Les grands enjeux :

Couvrir les besoins en eau des pays
en développement : ce sont trop souvent
les organisations humanitaires qui s’en chargent.
Photo MSF

Trois grands enjeux apparaissent donc pour l’avenir. A court terme, l’enjeu majeur est de parvenir à couvrir les besoins des pays en développement et des populations qui ne bénéficient pas d’accès à l’eau potable et d’assainissement (et à continuer à le faire pour les générations suivantes, qui seront beaucoup plus nombreuses). Le manque d’accès à l’eau tue plus de 2,5 millions de personnes chaque année, ce qui en fait un objectif prioritaire entre tous, qui devrait mobiliser toutes les énergies de la communauté internationale. De ce seul point de vue, l’accès à l’eau devrait être élevé au rang de priorité absolue du développement durable.

A moyen terme, à l’échelle de quelques décennies, l’enjeu principal sera de nourrir près de 3 milliards de personnes qui viendront s’ajouter à la population mondiale. Les besoins en eau qui en découleront constitueront le principal défi que les politiques de l’eau auront à relever dans le monde.Le dynamisme se fera sentir principalement dans les pays en développement, et de nouveaux schémas seront à explorer. Il sera aussi question de préserver les écosystèmes aquatiques fragilisés partout par l’activité humaine, dans un équilibre encore à concevoir, et qu’il s’agira de maintenir pour un avenir indéfini.

Enfin, dès à présent, dans une vision globale de sûreté, il est important de renforcer l’approche sûreté des stations de traitement d’eau (OIV) en intégrant les nouvelles technologies, mais aussi la réduction des fuites d’eau et la prévention des actes dit cyber, qu’ils soient de grande envergure ou non, pour déstabiliser un pays, une ville ou une entreprise. Il est important d’intégrer cette culture sûreté, gestion de crise de l’eau dans l’approche globale territoriale dès la conception des projets d’aménagement.

L’ampleur de ces défis pourrait inspirer un certain pessimisme. L’examen attentif des problèmes et des solutions abordables proposées permet cependant de croire qu’il est parfaitement possible de les relever avec succès. Dans une certaine mesure, on pourrait même dire que, parmi tous les grands défis du développement durable auquel l’humanité doit désormais faire face, celui de l’accès à l’eau est peut-être l’un des moins compliqué à affronter.

Dans le prochain numéro, le 147 du 21 septembre, Emmanuel Lenain présentera des solutions possibles dans la 2 ème partie de son article

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(*) Emmanuel Lenain est Directeur « sûreté grands projets » chez Suez Eau France. Il est en charge de l’analyse sûreté globale et gestion de crise pour les projets et travaille aussi à la coordination des exercices de gestion de crise intégrant la mise en place d’unités mobiles. Auditeur de l’IHEDN et diplômé du Centre d’Études Diplomatiques et Stratégiques de Paris, il est Lieutenant- colonel à la réserve citoyenne de la Gendarmerie Nationale et président des Amis de la Gendarmerie pour le département du Val-d’Oise.

Spécialisé en géopolitique des pays arabes, il compte plus de 20 ans d’expériences sur la zone Afrique – Moyen Orient. Il vient d’écrire un mémoire de recherche sur
Eau : sûreté et Gestion de crise dans le cadre de son MBA Management de la sécurité à l’Ecole des Officiers de la Gendarmerie.

Bonne lecture et rendez-vous le 21 septembre 2020
avec le n°147 d’ESPRITSURCOUF
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