LES ONG :
INDISPENSABLES ET DYSFONCTIONNELLES, DES SOLUTIONS
Marc LE BRIZE (*)
Expert en sécurité
2 ème partie :
Dans notre dernière publication, Marc Le Brize a commencé à nous brosser un tableau sans complaisance des Organisations Non Gouvernementales. Voici la deuxième partie de son analyse. Les limites et les défauts qu’il souligne dans le comportement des ONG appellent des solutions et des approches novatrices dont il décrit les divers aspects.
Les jeunes gens en mission ont des comportements choquants pour les populations : des soirées dansantes arrosées où l’on trouve un partenaire pour la nuit, qui sont normales chez nous, sont dangereuses pour la réputation et donc la sécurité des expatriés et de leur mission. Car les autorités et les populations, informées par les gardiens, les chauffeurs et les voisins, jugent fort mal ces jeunes gens et jeunes filles qui viennent étaler ce qui est pour eux de graves turpitudes.
Des attitudes de patrons coloniaux
Les Volontaires Enthousiastes se comportent en souverains coloniaux avec un total manque de conscience des responsabilités d’employeur, par exemple, évènement souvent vu, en virant sur le champ quelqu’un pour une faute qui en France vaudrait un avertissement… Dans des pays où il n’y a pas de chômage et où un salaire fait vivre une famille élargie, c’est non seulement immoral, mais c’est le meilleur moyen de se déconsidérer aux yeux des employés et des communautés.
Dans ces pays tout se sait, aussi bien ce que font les ONG que ce que font contre elles des personnes malveillantes. Quand une ONG a un problème, tout le monde (la Police en premier) sait qui, comment et pourquoi. Si le personnel expatrié est respecté et apprécié, il y a un filet invisible de protection tendu par le personnel et le voisinage qui évitera beaucoup d’ennuis. Dans le cas contraire, les gens ne feront rien contre l’ONG, mais ne feront rien pour elle. Dans les formations « Sécu », on dit toujours au stagiaire : «votre première sécurité c’est la confiance de votre équipe et la considération des voisins. Si vous n’avez pas ça, vous pouvez sortir les barbelés et les engins blindés sous escortes » !
Les problèmes de sécurité, mal analysés, mal archivés, mais sur-mémorisés (on se rappelle toujours un mort en mission), ne sont jamais analysés dans un processus d’accidentologie et de géopolitique, mais traités comme les aléas du sacrifice humanitaire. La grande majorité des accidents vient de la non-observation des règles. Mais rien n’est fait pour faire évoluer les règles et les formations. En Irak, en 2004, l’Union Européenne a mis en place une « coordination sécurité » de toutes les ONG qu’elle subventionnait. Le système a duré 2 ans : les experts « sécu » (ex militaires ou policiers) n’arrivaient pas à s’entendre avec les chefs de mission et responsables sécurité des ONG, ils n’étaient pas du même monde.
Amateurisme
Des permanents «expérimentés» deviennent formateurs, confondant pratique et expérience. Ça n’est pas parce qu’on conduit depuis 30 ans qu’on est un bon conducteur, beaucoup sont même pires qu’à leur début, n’ayant qu’une pratique sans remise à niveau !
La pratique, c’est faire seul, sans être corrigé de l’extérieur, se penser expérimenté parce qu’on a accumulé des réactions empiriques à des problèmes qu’on est incapable d’analyser, de théoriser et d’enseigner.
L’expérience, c’est : avoir une bonne formation initiale, pratiquer, être bien encadré, être formé au niveau supérieur par un encadrement supérieur et pratiquer le Retex (retour d’expérience). C’est être capable de théoriser sa pratique pour en faire un enseignement. Toutes les ONG sont comme une caserne de pompier où les sapeurs volontaires se formeraient tous seul, avec le temps et de la bonne volonté ! Pas de Retex institutionnalisé.
J’ai démarré ma carrière avec des Secrétaires, des télex et des fax. Tout était enregistré, archivé et hiérarchisé, la mémoire répertoriée aidant aux décisions. Les e-mails ont pulvérisé tout çà : chacun reçoit copie, chacun est concerné, chacun donne son avis. Après le tsunami d’e-mails de tous vers tous, on arrive à un compromis, solution chèvre-chou/carpe-lapin/figue-raisin qui ne mécontente personne mais biaise les opérations, car mal adaptée et prise trop tard.
La confusion est permanente entre Associatif et Opérationnel, chacun étant associativement l’égal de tous, tout le monde se croit habilité à intervenir et se pense Cadre. On confond briefing opération et réunion associative, chacun ayant les mêmes droits décisionnaires, on se coordonne en réunion puis chaque service se «coordonne» avec les autres en réunion. Cette mentalité associative fait que personne ne s’autorise à donner ordres ou directives. Il y a un refus des apparences de la hiérarchie : « nous sommes tous égaux, car volontaires ».
Je parle des apparences de la hiérarchie, car le problème de cette dilution décisionnelle est que, quand il y a finalement décision, il n’y a pas de responsables désignés, donc pas de responsabilités assumées. Les erreurs et aberrations n’ont pas de maître et sont vues comme inévitables, personne ne les analyse.
Les solutions
Ce que je décris concerne TOUTES les ONG avec lesquelles j’ai travaillé depuis 1994 : française, suisse, allemande, italienne, US, grandes ou petites. Et toutes celles avec qui j’ai collaboré sur le terrain : belge, US, hollandaises, anglaises… Elles n’ont jamais eu d’audit management mais reçoivent le «Prix Cristal» pour une comptabilité bien rendue, qui n’analyse en rien l’efficacité des opérations et des méthodes.
Le problème n’est pas les personnes mais la structure : organisation, hiérarchie, doctrine, recrutement, formation, encadrement, documentation, archivage. Une vraie formation aux responsabilités prend des années, et repose sur un encadrement solide. L’Armée a mis 5 siècles à se structurer, tirant parti des échecs et batailles perdues pour avancer (on ne tire jamais leçon d’une victoire), les ONG n’existant que depuis 50 ans, ne prenons pas des siècles pour les améliorer !
Les solutions doivent venir de l’extérieur, pas d’automédication ! Seuls, des professionnels dans les domaines suivants peuvent apporter les ajustements nécessaires.
Administration : mise en place d’un système unique de documents, de classement, d’archivage aussi bien papier que PC, de programme comptable terrain/siège simplifié, qu’un personnel local pourra utiliser sans difficulté.
Logistique : refonte du système de soutien aux missions : stocks, commandes, livraisons, personnels soutiens.
Sécurité : Création d’un Service totalement indépendant des Cellules, analysant les données terrains, reformulant le guide sécu général, formant les personnels et cadres.
Les formations : Remise à plat des formations primaires (au départ) et supérieures (Cadre et Direction) en partant de l’expérience des professionnels des terrains difficiles, de la sécurité, des relations avec les autres cultures, des logistiques lourdes : Armée, Sécurité civile, BNS urgentistes et de guerre, Cadre ONG, Sociologues/ethnologues et spécialistes des relations interculturelles, Professionnels du transport et BTP.
Des brevets nationaux
Alors qu’il y a un Brevet National d’accompagnement de promenades équestres, il n’y a rien pour des gens partant diriger des équipes en pays très différents, souvent dangereux avec des contextes géopolitiques explosés.
Les Ministères et Experts concernés auraient intérêt à travailler avec Coordination-Sud et le Comité de Liaison des Organismes de Solidarité Internationale (CLOSI) à la création d’un Brevet National Action Humanitaire (BNAH) et d’un Brevet National de Direction Humanitaire (BNDH), comme il y a dans le social BAFA et BAFD (Fonctions d’Animateurs et Directeur de colos).
Les ONG font un super travail mais sont financées par les impôts de tous. Dans son livre « Associations lucratives sans but », le Conseiller Maître à la Cours des Comptes Pierre-Patrick Kaltenbach analyse le monde associatif qui représente près de la moitié de la dépense sociale (10 à 12 % du PIB). Les ONG emploient des milliers de jeunes diplômé(e)s, elles sont un des constituants de la géopolitique et de l’influence de la France et de l’Europe, il est donc plus que temps que les Pouvoirs Publics français et européens se soucient de leurs méthodes de travail. Tous les Ministères et Commissions sont intéressés : Finances, Santé, Solidarité/Action Sociale, Affaires Étrangères, Défense, Travail, Éducation Nationale.
Les ONG sont un système utile et nécessaire au vu des millions de bénéficiaires secourus et de la grandeur de leur enthousiasme citoyen. Mais, nées dans le volontariat militant d’universitaires surmotivés, l’abondance des fonds mis à leur disposition a induit un défaut constitutif : l’organisation « amateur » s’est pérennisée dans un développement exponentiel. Il est temps de tout remettre à plat en collaborant avec les vrais professionnels de la sécurité et de l’organisation !
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(*) Marc Le Brize, fils de militaire, a été cadre en entreprise pendant 15 ans, puis directeur opération/sécurité (terrain et siège) pour plusieurs ONG. Il a exercé cette fonction pendant 22 ans, dans une dizaine de pays africains. Il a assuré des formations techniques de management de leadership d’équipe. Il fut expert en collaboration Civilo-Militaire (CIMIC). Il enseigne dans un cycle de Masters 2 comme formateur en « management terrain Ops/Sécu ».
Bonne lecture et rendez-vous le 18 mai 2020
avec le n°138 d’ESPRITSURCOUF
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