NOUVEAU MASSACRE
AU MALI
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Christian Rouyer(*)
Ancien ambassadeur au Mali
J‘ai scrupule à m’exprimer sur les
derniers événements qui ont ensanglanté le Mali. J’ai quitté ce pays, il y a
déjà six ans et même si j’y suis resté très attaché, je ne suis plus qu’un
observateur, certes attentif, mais lointain, qui ne dispose désormais que d’une
information parcellaire.
Que puis-je en dire néanmoins en mobilisant mes souvenirs ?
Nous sommes en présence de communautés dont les activités et le mode de vie
sont complémentaires. Les uns sont éleveurs plutôt nomades (les Peuls), les
autres sont agriculteurs sédentaires (les Dogons, les Bambaras). Ils ont vécu
en général en bonne intelligence car ils étaient souvent liés par des
« cousinages » et trouvaient un intérêt mutuel à commercer entre eux.
Leur cohabitation n’était pourtant pas dénuée « d’incidents » qui
entraînaient bien souvent mort d’hommes. Des contingences économiques (les
communautés convoitent de plus en plus souvent les mêmes terres sur fond de
sécheresse croissante) ont eu tendance ces dernières années à exacerber les
tensions.
Mais il importe de dépasser cette approche purement communautaire.
Les racines du mal sont ailleurs.
L’intervention militaire franco-africaine de janvier 2013 a paré au plus
pressé. Elle a stoppé une offensive jihadiste qui menaçait directement Mopti,
alors qu’une agitation larvée affaiblissait les autorités de la Transition à
Bamako et qu’on redoutait même un nouveau coup d’État. Elle a libéré Gao et
Tombouctou, a démantelé certains réseaux jihadistes, mis hors d’état de nuire
des centaines de terroristes, et mis la main sur un arsenal important. Mais
elle n’a pas, loin de là, éradiqué le terrorisme, contrairement à l’optimisme
affiché hâtivement à l’époque par certains responsables politiques français.
La communauté internationale et les autorités de Bamako, souvent sous la
pression de cette communauté internationale, se sont focalisées sur la
situation prévalant dans le Nord du Mali. Il suffit pour s’en convaincre de se
référer au champ d’application de l’Accord de paix d’Alger de mai/juin 2015 et
au mandat de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies
pour la stabilisation au Mali), quels que soient les ajustements que celui-ci a
connus au fil des résolutions qui l’ont prolongé depuis que la Minusma a pris
le relais de la Mission internationale de soutien au Mali (Misma) en avril
2013. La dégradation de la situation dans le centre du Mali a insuffisamment été
prise en compte.
Dans l’intervalle en effet, des anciens du Mujao (Mouvement pour l’unicité et
le jihad en Afrique de l’Ouest, d’inspiration salafiste et très lié aux
narco-trafiquants) se sont retrouvés à partir de 2015 au sein de la Katiba
Macina, dirigée par Hamadoun Kouffa, prédicateur jihadiste issu de la
communauté peule. Ils n’ont eu de cesse d’instrumentaliser les tensions entre
communautés. Dès l’année suivante, des attaques ont été menées (qui ont
d’ailleurs essaimé jusqu’au Burkina Faso) contre les symboles de l’État
(administrations, casernements, écoles…) et des actions d’intimidation ont visé
des personnes, voire des villages hostiles à la pénétration des thèses
djihadistes.
Face à un État faible, souvent corrompu, impuissant à affirmer son autorité sur
un territoire très vaste, et à des forces armées et de sécurité vulnérables,
dépassées, incapables d’assurer la protection des populations, des milices
d’auto-défense se sont développées.
Les communautés se sont radicalisées et se sont trouvées prisonnières d’une
spirale de violences, comme en témoignent les trois massacres perpétrés contre
les populations de Koulongon, village peul dans le cercle de Bankass, le 1er
janvier, de Ogossagou, autre village peul proche encore de Bankass, le 23 mars,
et de Sobane Da (Sobanou) en pays dogon, le 10 juin. On assiste à une
surenchère dans la barbarie, qui peut dégénérer en guerre civile.
Mais n’oublions pas qu’à la base, avant d’être communautaire, voire
confessionnelle, la crise est bien liée au terrorisme jihadiste et au narcotrafic,
indissociables l’un de l’autre.
Il est de la responsabilité des autorités de Bamako de favoriser un dialogue
sans préalable entre les représentants des communautés peule et dogon, et il
incombe à la communauté internationale d’appuyer non seulement cette action de
conciliation, mais aussi et très concrètement les efforts de désarmement de
toutes les milices et de redéploiement des moyens de l’État malien dans le
centre du pays. A cet effet, on ne fera pas l’économie d’une adaptation du
mandat de la Minusma, pour peu que l’État malien en fasse la demande, pour
prendre en compte ces nouveaux défis lors de la discussion sur le
renouvellement de ce mandat qui arrive à terme le 29 juin prochain.
Dans ce contexte, nous ne devons pas nous leurrer. L’engagement de Barkhane et
du G5 Sahel pour tenter d’éradiquer le terrorisme dans l’ensemble de la zone et
contribuer à stabiliser le Mali et ses voisins, reste primordial. Il en va
aussi de la crédibilité de la France.
Rédigé le mercredi 12 juin 2019
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