Souvent délaissé, parfois honni, indispensable 
Le renseignement

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Michel Guerin (*)
Ex Directeur adjoint de la DST

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L’Académie française, dans son dictionnaire de 1798, écrivait « l’espionnage est un métier infâme ». Il fallut attendre l’édition de 1932-35 pour que l’on puisse lire que « l’espionnage peut avoir ses héros ». Le renseignement a longtemps eu en France mauvaise réputation. Mais les temps ont changé, nous dit l’auteur dans une réflexion sur ce qui fut sa vie professionnelle.

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Des charges d’Azincourt à celles de Reichoffen, en passant par la furia francese des guerres de la Renaissance ou le sacrifice des pontonniers de la Berezina, la valeur suprême en France était (est ?) le panache. Les agissements cachés de ceux qui allaient chercher l’information sont restés longtemps sujets à caution. Dans la seconde moitié du siècle dernier, le terme immédiat venant à l’esprit du français moyen, lorsqu’on évoquait devant lui un officier de renseignement, ou plutôt un « espion » en langage courant, était « barbouze », un terme péjoratif issu de la Guerre d’Algérie et popularisé dans les années 1960 par un film de Georges Lautner. En fait, même si les plus lucides pensaient que c’était un mal nécessaire, le renseignement était généralement vu par ceux qui étaient chargés d’en tirer les bénéfices, les décideurs, comme étant avant tout une source de problèmes. On se méfie toujours de ce que l’on ne maîtrise pas…

Le renseignement ne subissait pas la même méfiance, voire l’ostracisme, dans d’autres pays, à commencer par nos proches voisins d’Outre-Manche. Mais, reconnaissons-le, une activité dont le mantra est le secret et les actes par essence cachés, attire forcément la suspicion. Sans compter une communication de ceux qui la pratiquent réduite pendant longtemps à des portions picrocholines, du moins dans notre pays.

Les temps ont changé.
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Aujourd’hui plus personne de sérieux ne remettrait en cause l’importance du renseignement. Rejoignant Richelieu et le Père Joseph, Louis XV et son Secret du Roi, Napoléon  qui disait qu’ « un espion bien placé vaut 20 000 combattants »« , tout le monde reconnait maintenant le rôle majeur occupé par le renseignement dans la protection des intérêts fondamentaux du pays. Tant au niveau de sa sécurité et celle de ses citoyens que de son importance dans le concert (la concurrence) des nations.

Il faut dire qu’entre temps, le terrorisme et ses vagues successives sont passés par là. Or, sans renseignement le contre-terrorisme est totalement aveugle. Sans lui, il est impossible de prévenir et de neutraliser les actions violentes. On s’est aperçu aussi que le renseignement permettait à un pays, en allant chercher chez les autres ce qui lui manque, de rattraper son retard technologique. Cela n’est certes pas nouveau, le tsar Pierre le Grand, Colbert ou l’empereur du Japon Mutsuhito en 1868 étaient allés s’approprier à l’étranger les connaissances qui manquaient à leur pays. Mais les leçons du passé ne valant que pour les historiens. Il fallut attendre, pour que les yeux se dessillent, l’emblématique affaire Farewell, qui révéla pendant la guerre froide la part prise par l’espionnage dans le développement de l’URSS. Or, chacun le sait, les vols de savoir-faire, d’innovations, de brevets se traduisent toujours pour l’État victime par une perte de compétitivité, d’emplois, …et à terme de place sur l’échiquier mondial. Aussi, notons que, si le renseignement est abondamment utilisé pour des actions offensives, il l’est encore plus pour les défensives !

Bien entendu, son emploi ne s’arrête pas à la lutte contre le terrorisme, à aller chercher ce dont a besoin ou à défendre ce que l’on a. Le renseignement est, évidemment, une partie importante de la chose militaire, dont il n’a cessé d’accompagner l’histoire, des guetteurs puis éclaireurs jusqu’aux satellites et drônes actuels. De la diplomatie aussi, dont il fut l’apanage et avec laquelle il se confondit longtemps. Il est également essentiel pour les activités économique, douanière, carcérale,… sans parler de celles relevant de la sécurité intérieure, de l’ordre public ou de la protection de l’État.

Pour sa reconnaissance, le renseignement a également bénéficié du développement de recherches et études académiques, regroupées sous le terme anglais d’intelligence studies, apparues aux Etats-Unis dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis rapidement dans tout le monde anglo-saxon. Leur développement en France s’est effectué avec un temps de latence nettement plus important. Aujourd’hui encore, même si des progrès considérables ont été faits en la matière, force est de constater que son enseignement fait figure de parent pauvre sur les bancs des universités et des grandes écoles. Les choses avancent néanmoins, mais elles sont encore liées à l’existence, ou l’absence, d’une culture du sujet.

Une empreinte culturelle

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Il existe des cultures nationales du renseignement. Ce dernier est perçu différemment selon que l’on se trouve à Paris, Washington, Londres, Moscou, Tokyo ou Pékin. Question de mentalité sans doute, mais aussi de l’utilisation qui en a été faite au cours des siècles et de la perception qui en ait découlée. C’est que, comme bien d’autres domaines, le renseignement n’échappe pas à sa réputation, ou plutôt à la communication en sa faveur, ou à son détriment, au cours des âges. S’il fallait une seule preuve, il suffirait de considérer l’impact qu’ont eu les œuvres de fiction, littéraires ou cinématographiques, sur l’idée que l’on se fait des services anglais. Même si leur professionnalisme est unanimement reconnu dans le milieu, la réputation que leur ont donnée John Le Carré, Ian Fleming, et plus généralement les spy novels, est plus que flatteuse par rapport à la réalité. De la même façon, il ne faut pas sous-estimer l’impact que peut avoir sur la perception du renseignement une série à succès, bien faite même si elle tord allégrement le cou au réel, comme Le bureau des légendes.

Cependant, même reconnu, même accepté, même étudié, le renseignement garde encore sa part de mystère et son fonctionnement reste largement inconnu, ou fantasmé, par le plus grand nombre. Cela tient à des caractéristiques propres, à commencer par ce qui constitue son socle : le secret. Élément indispensable à son efficacité, il accompagne son fonctionnement et l’activité quotidienne de ses serviteurs, les officiers de renseignement. Ce souci du secret va totalement à l’encontre de notre société « ouverte » et de sa communication exacerbée. Il découle d’une nécessité absolue : se protéger des attaques extérieures et remplir la mission. Les attaques extérieures sont celles des services étrangers dont un des objectifs majeurs est de pénétrer le cœur du pays, de le concurrencer  et éventuellement de le déstabiliser (dans le monde du renseignement, il n’y a pas d’amis, tout au plus des alliés conjoncturels). Remplir la mission signifie atteindre les objectifs fixés par l’État à travers les différents plans de renseignement établis ; Or ceux-ci ne peuvent l’être que s’ils sont cachés, ainsi que les résultats obtenus, sans parler des moyens utilisés pour y arriver.

Le travail de renseignement repose sur des fondamentaux respectés par tout service sérieux. Tous ont peu ou prou le même fonctionnement et utilisent des méthodes similaires, même s’ils n’ont pas tous les mêmes moyens. Les moyens, voilà la différence entre un « petit » et un « grand » service !

Est-ce cependant le critère absolu de la qualité ? Certes, non ! Ils donnent sans conteste une capacité plus grande, une « puissance de feu » supérieure à celui qui en bénéficie. Ils permettent surtout de pouvoir traiter en profondeur des sujets différents sans être obligés de faire des impasses et de privilégier les thèmes prioritaires du moment. Mais ils ne sont pas le gage d’une qualité supérieure, ni de résultats éclatants. Car, au delà des moyens accordés et des capacités techniques mises en œuvre, l’expérience démontre que la différence en termes de qualité se situe… au niveau des hommes chargés de les utiliser.

Ceci peut ressembler à une lapalissade. Pourtant la pratique du renseignement exige de ses acteurs une somme d’aptitudes, sens du devoir, loyauté, rigueur, ego maitrisé, discrétion, et d’autres encore qu’il n’est pas forcément aisé de trouver réunies en même temps. Si on ajoute à cela le fait qu’un service de renseignement est composé de plusieurs métiers et accueille des spécialistes de matières différentes devant posséder, en plus des qualités énoncées, d’autres plus spécifiques, on comprend que son efficacité, au-delà d’une organisation cohérente, dépend avant tout des hommes, et des femmes, qui le composent.

Et c’est peut-être cela qui est rassurant. Malgré la sophistication croissante et la capacité des moyens mis en œuvre, en matière de renseignement, le dernier mot restera toujours aux hommes.

(*) Michel Guerin   a fait toute sa carrière dans la police, dont 40 ans effectués dans les services de renseignement. Il y a occupé de nombreux postes, tant dans le domaine du contre-espionnage que du contre-terrorisme. Il a notamment été directeur central adjoint de la DCRI et chef de l’inspection générale de la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure). Il est auditeur de l’IHEDN et de l’IHESI.

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Histoires de djiihad (Ed des Equateurs), Dictionnaire renseigné du renseignement (Ed Mareuil), Le corbeau et la chouette (Ed des Equateurs).

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