PIERRE DE VILLIERS : SE SERVIR …

 

Richard Labévière
Rédacteur en chef

 

Ainsi, huit mois après sa fracassante démission du poste de chef d’état-major des armées (CEMA) – une première dans l’histoire de la Vème République – Pierre de Villiers rejoint le groupe américain Boston Consulting Group (BCG). L’ancien CEMA occupe – s’il vous plaît ! – les fonctions de « Senior Advisor » du géant du conseil en stratégie depuis le 3 avril dernier.

Selon un article des Echos publié la semaine dernière, celui qui fut général cinq étoiles et le plus haut responsable de la défense et de la sécurité de la France, apportera désormais au cabinet américain « sa riche expérience en matière d’analyse des situations et des risques, de transformation des organisations et d’efficacité opérationnelle », souligne le BCG dans un communiqué publié jeudi dernier. BCG est un cabinet de conseil en management qui se présente comme le leader mondial du conseil en stratégie d’entreprise. Fondée en 1963, cette structure compte 90 bureaux dans 50 pays, oeuvrant essentiellement à la réussite des entreprises américaines !

Après un rappel à l’ordre brutal du président Emmanuel Macron pour avoir vivement contesté, devant une commission parlementaire, le serrage de vis budgétaire imposé aux armées, Pierre de Villiers avait démissionné le 19 juillet 2017 ; un geste sans précédent qui a marqué la première crise ouverte du quinquennat.  Collègues de la même promotion de l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale), nous avions été parmi les premiers à lui apporter un amical soutien, saluant son panache, son courage et un sens certain de l’honneur.

Toutefois, un grand doute nous avait parcouru à la lecture de son livre Servir, aussitôt publié aux éditions Fayard. Revenant sur les conditions de son départ, il s’y montrait tellement consensuel et respectueux des cercles de pouvoirs, visiblement ne voulant froisser personne, disant les choses sans les dire, en commettant parfois approximations et contresens, notamment sur les grands dossiers de notre politique étrangère. Le doute s’est confirmé en début d’année lors du dîner annuel de notre session de l’IHEDN, lorsque l’ex-général se félicitait ouvertement d’avoir « vendu » plus de… 150 000 exemplaires de son ouvrage. Beau succès de librairie, en effet ! On attend la traduction en anglais…

Par conséquent, si elle ne constitue pas – à proprement parler – une surprise (mauvaise surprise néanmoins), la nouvelle de l’embauche de Pierre de Villiers par le BCG est emblématique – et ce -, à triple titres.

Premièrement : il existe pour ce genre de cas – touchant la défense et la sécurité de notre pays – une commission  de déontologie auprès du premier ministre, censée fixer les lignes rouges du recyclage de nos hauts fonctionnaires dans le privé, notamment pour  les militaires haut gradés. Celle-ci n’a que rarement murmuré, notamment lors du passage spectaculaire (du jour au lendemain) de Gérard Errera – ancien secrétaire général du Quai d’Orsay – au « board » de Blackstone, un fonds d’investissements américain pour l’Europe.  Gerard Errera est devenu entretemps president de Blackstone France ! Ne parlons pas de Jean-David Levitte (ancien conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy) ou de François Bujon de l’Estang (ancien ambassadeur de France à Washington), ayant intégré, eux-aussi, sans problème des grands groupes américains. Ensuite, on s’étonnera de l’alignement de la diplomatie française sur les orientations fixées par la Maison Blanche… de nos pertes de souveraineté et d’indépendance nationale ! Tous ces hauts représentants de l’élite française soit disant au service de l’Etat feraient bien de lire ou de relire L’Ami américain de l’historien Eric Branca[1].

Deuxièmement : cette nouvelle affaire De Villiers confirme, si besoin était, la toute-puissance de l’argent – l’argent – devenue la seule valeur suprême de notre mondialisation contemporaine ; comme si la « course au fric » était désormais le seul impératif catégorique de toute espèce d’être humain, quelles que soient ses fonctions, sa famille et son éducation. Emmanuel Kant revu et tragiquement corrigé : « le ciel étoilé au-dessus de moi, la loi de l’argent en moi… » Au-delà de la question du Sujet et de sa responsabilité morale et citoyenne, l’argent-roi s’est imposé comme l’un – sinon le critère – dominant des relations internationales ; comme si la « trumpisation » des esprits – « l’argent d’abord » – était désormais l’unique mode de régulation d’un monde où règne « la guerre de tous contre tous », où tous les coups sont permis, où l’Orwellisation générale inverse toutes nos valeurs fondatrices : « la guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force ».

Troisièmement : enfin, l’arrivée de l’ex-général au BCG donne non seulement raison rétrospectivement à celles et ceux – au premier rang desquels le président de la République – qui estimaient qu’il fallait recadrer le CEMA suite à ses manquements répétés au devoir de réserve, mais elle fracasse l’une des notions cardinales que l’on essaie d’enseigner à nos enfants : le sens de l’honneur ! Finalement, et la jeunesse de France l’a déjà compris : tout s’achète et tout se vend, à condition d’y mettre le prix. Quelle tristesse néanmoins de voir ainsi nos plus hautes élites céder à la loi de l’offre et de la demande, comme si aucune, plus aucune parcelle de notre être le plus profond ne pouvait échapper à la fièvre de l’appât du gain… 

En trahissant, oui en trahissant – et le mot n’est pas exagéré – nombre de tes amis, proches et autres soutiens, ta décision de vendre ton expertise à un grand groupe américain – mon cher Pierre – est proprement lamentable, car elle piétine Une certaine idée de la France que nous avons cru partager avec toi… Bon vent, comme disent les marins, et surtout, fais de l’argent, beaucoup, beaucoup d’argent… 

 

Richard Labévière   

 


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