Courage et confiance
se trouvent dans l’action

 Jean-Claude Gallet (*)
Ancien commandant de la BSPP (Brigade des Sapeurs Pompiers de Paris)

Entré dans l’Histoire pour avoir sauvé Notre-Dame à la tête de ses hommes, les pompiers de Paris (vidéo du n°105 d’ESPRITSURCOUF), le général Jean-Claude Gallet vient de cosigner, avec le journaliste Romain Gubert, un «  Éloge du courage », paru chez Grasset. Au cours d’un entretien, il a tenu des propos frappants de clarté, et exprimé deux conviction : face à l’adversité, le repli sur soi est la pire des solutions, le sens du collectif est le meilleur antidote au doute. Et pour évoquer le courage, il a commencé par parler de la peur, celle sans laquelle le courage n’existe pas.
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Le courage n’a pas disparu, fort heureusement. J’en ai vécu des exemples aux côtés d’authentiques héros du quotidien, des anonymes dont l’abnégation spontanée fait honneur à l’humanité. Je dirais même qu’à l’épreuve de la crise sanitaire, les jeunes, en particulier les étudiants, font montre d’un courage incroyable face à une situation à laquelle nul n’était préparé. Ce que je regrette, en revanche, c’est que notre société ne mette pas davantage en avant cette valeur cardinale qu’est le courage, essentielle à la vie en société.

De la peur et du principe de précaution
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Qu’est-ce que le courage au fond ? Aristote en a donné la meilleure définition possible en disant que c’est le juste milieu entre la peur et l’audace. Mais quand, depuis des années, on fait du « principe de précaution » l’alpha et l’oméga du gouvernement des hommes, il ne faut pas s’étonner que le curseur de l’opinion se rapproche davantage de la peur que de l’audace.

Qu’on me comprenne bien : je n’ai rien contre le « principe de précaution ». Il doit impérativement s’imposer dans des domaines comme la recherche scientifique, les manipulations du vivant, l’écologie, bref tout ce qui engage l’avenir et requiert du recul.

Mais en cas d’urgence, il stérilise le jugement. Le refus du risque débouche sur la diffusion de la peur. Trente ans de pratique du commandement m’ont convaincu d’une évidence : le courage, comme la peur, sont aussi contagieux qu’un virus et se répandent aussi vite qu’un incendie. Il y a un moment où ceux qui commandent doivent prendre leurs responsabilités. Personne n’est à l’abri de l’erreur. Une erreur est toujours préférable à un atermoiement. Car l’erreur, on peut la pardonner, qui peut se vanter de détenir la vérité absolue ? Mais pas le refus de trancher quand l’urgence impose sa loi… C’est ainsi que la défiance se diffuse en même temps que la peur, et parfois la panique, quand on ne hiérarchise plus l’information

Une crise du leadership
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Quand les citoyens ont moins confiance dans la parole de leurs représentants, toutes tendances politiques confondues, et c’est encore plus vrai dans un pays comme le nôtre marqué par une tradition d’autorité régalienne, ils vont chercher ailleurs des raisons de se rassurer… et, plus souvent encore, d’avoir peur ! Ils vont les chercher dans les réseaux sociaux, par exemple, qui diffusent le doute, du plus légitime au complotisme le plus délirant…

Comme le principe de précaution, les réseaux sociaux ont leur utilité, mais comment ne pas voir qu’ils renforcent l’individualisme. « J’ai mon avis et je le partage », cela ne facilite pas la confiance dans l’autre, sentiment nécessaire à la recherche du bien commun…

Or qu’attend-on de ceux qui, censément, en ont la charge, que ce soit à l’échelon national ou dans le cadre d’une entreprise ? D’être en capacité de décider. En démocratie, une décision ne peut être contestée que si elle a le mérite d’exister. Mais quand la décision n’existe pas, c’est la porte ouverte à tout, à commencer par le doute puis, immanquablement, la peur…

Dans la vie de la cité comme dans la société militaire, il n’y a de légitimité que dans la décision. Le chef politique comme l’officier doivent prendre leurs responsabilités en arbitrant entre plusieurs ordres de préoccupations. Dans le cas de la crise sanitaire, par exemple, il faut arbitrer entre les impératifs médicaux (capacité de résilience des structures de santé) et les impératifs sociaux (sauvetage de la vie économique, niveau d’acceptabilité des privations de liberté), ou bien encore entre le coût humain et l’efficacité, s’agissant d’un engagement militaire ou de sécurité publique.

Sans l’exemplarité du chef, pas de confiance
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J’ai lu des œuvres inspirantes, dans la droite ligne de Junger ou du De Galle du Fil de l’épée. Mais rien ne remplace l’expérience. Celle des opérations auxquelles j’ai participé m’a certainement aidé à comprendre ce qu’était le vrai courage. Qui n’a rien à voir avec la témérité, souvent contre-productive.

Un carrefour dévasté après l’explosion d’une boulangerie, rue de Trévise, à Paris, le 12 janvier 2019. Photo Argus des Assurances

Comme pompier, je ne citerai qu’un exemple : la terrible explosion de la cité Trévise, dans le 9e arrondissement de Paris, en janvier 2019. Un cas d’école. Quatre immeubles partiellement détruits, dont trois qui menacent de s’effondrer, deux pompiers tués, un autre porté disparu quand j’arrive sur les lieux, une trentaine de blessés graves à évacuer dans la demi-heure. Faut-il tenter de sauver le pompier dont on n’est pas sûr qu’il soit encore vivant, en risquant d’autres vies, ou faut-il baisser le rideau ?

Et surtout, quelle que soit la décision, faut-il se protéger en demandant une consigne à l’autorité supérieure ? Mon expérience des crises m’a convaincu qu’on ne gagne rien à faire prendre par d’autres les décisions qu’on est seul à pouvoir assumer en connaissance de cause. Deux fois, dans ma vie de soldat, alors que j’attendais un ordre, on m’a dit en évitant de me regarder dans les yeux : « Faites pour le mieux ». Alors pas de temps à perdre avec ceux qui fuient leurs responsabilités. J’ai pris les miennes. J’ai eu raison. J’aurais pu avoir tort. Mais même dans ce cas, j’aurais, je pense, gardé la confiance de mes hommes.

Dans le cas de Notre-Dame, ce fut l’inverse : c’est moi qui attendais tout d’eux, car je les avais vus en action, quelques semaines auparavant, dans l’incendie de la rue Erlanger. Le courage, c’est de savoir décider à l’instant précis. Y compris en choisissant entre les blessés qu’on peut sauver et ceux en faveur desquels, on le sait d’instinct, non seulement toute action serait vaine, mais surtout, compromettrait la survie des autres…J’ai malheureusement vécu cela lors des attentats de novembre 2015.

L’incendie de Notre-Dame de Paris est entré si fortement dans la légende des pompiers qu’ils ne pouvaient qu’en faire la page de garde de leur calendrier 2020. Photo BSPP

Les agressions contre les pompiers
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Il faut séparer deux choses. Les agressions venant de déséquilibrés qu’on vient secourir, c’est un risque inhérent au service qui, malheureusement, a toujours existé et existera toujours. Et les agressions commises sciemment par des individus ou des groupes désireux, dans un contexte sociologique bien précis, d’imposer un rapport de force à ceux que leur idéologie désigne comme des adversaires. Policiers ou postiers, médecins urgentistes ou pompiers, corps enseignant ou services sociaux, ils ne font pas la différence : leur logique est une logique de guerre déclarée à l’État, et donc aux représentants de toutes les institutions, au sens large.

Séparatisme d’origine religieuse, mafieuse ou clanique, tout se mêle pour créer une situation qui ne fera qu’empirer si la nation persiste à nier ce rapport de force. On ne réglera pas la question en baissant les yeux mais en affrontant la réalité. Le courage est, là encore, une vertu cardinale. Quand des individus entendent régner par la peur, il n’y a qu’une solution pour rétablir le droit : c’est que cette peur change de camp. Faute de quoi, rien n’empêchera que des pompiers continuent à être visés par des tirs ou que des professeurs subissent le sort horrible de Samuel Paty.

Le courage, corollaire d’un amour de la vie
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Il ne faut jamais abdiquer l’amour de la vie, qui passe par l’acceptation du risque, sans lequel rien ne se crée ! Il faut conserver aussi, et c’est intimement lié, le sens du collectif, la confiance dans la capacité de chacun à contribuer au bien commun, en prenant, pourquoi pas, exemple sur les pompiers qui mettent leurs vies en danger pour en sauver d’autres.

Médaille « Honneurs et Sacrifices », crois du Courage, médaille pour Acte Méritoire, ce sont trois décorations  canadiennes pour honorer des citoyens courageux. Photo Pixabay.

Le repli sur soi n’est jamais une solution, notamment en période de crise ou chacun a besoin de tous et inversement. S’engager pour des causes qui nous dépassent est le meilleur moyen d’accepter le tragique de l’Histoire tout en refusant qu’il devienne une fatalité. La confiance dans l’avenir ne se construit que dans l’action, en se demandant ce qu’on peut faire pour changer les choses au lieu de se lamenter sur ce qui va nous arriver.

Dans ma vie professionnelle, j’ai côtoyé beaucoup de catastrophes, j’ai aussi et surtout rencontré des hommes et des femmes qui, contrairement à moi, n’avaient pas « signé » pour prendre des risques et qui, cependant, en ont pris tout autant sans jamais être décorés ou cités en exemples… C’est en pensant à eux que j’ai voulu faire l’éloge du courage. Ce courage ordinaire qui permet de regarder l’avenir en face.

Cet article a été réalisé à partir d’entretien par dans la Lettre du Socle de janvier 2021 https://gensdeconfiance.com/fr/lettres-socle/lettre-socle-10.pdf

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(*) Jean-Claude Gallet, né en Vendée, est Saint-Cyrien (promotion Cadets de la France libre, 1985-1988). Sa carrière s’est partagée entre divers théâtres d’opérations extérieures et la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), dont il a gravi les principaux échelons entre 1989 et 1996, puis entre 2005 et 2009, avant de la retrouver en 2015 et d’en prendre la tête en 2017…Non sans quelques incursions dans la diplomatie (en Ouganda en 2002-2005 et en Afghanistan en 2011-2013), mais aussi dans l’administration centrale (comme chef du service de géopolitique du ministère des Armées, en 2009-2011 et en 2013-2015). Commandeur de la Légion d’honneur, détenteur de nombreuses médailles décernées pour acte de courage, cet amateur de randonnées est aussi un fin lettré, amoureux des auteurs anciens (Homère, Épictète) et dont le panthéon des modernes s’ordonne autour de Maurice Genevoix, Antoine de Saint-Exupéry, Romain Gary… Et le Camus du Siècle de la peur.

Il vient de publier avec Raymond Gubert « Éloge du courage » chez Grasset.
Nous présentons cet ouvrage dans la Rubrique LIVRES de ce n°161


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