Les drones
enjeux et limites

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Hugo Marneffe
Journaliste- stagiaire chez ESPRITSURCOUF
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Les drones, ou UAV (Unmanned Aerial Vehicle), sont devenus des outils majeurs dans les conflits contemporains. Poursuivant son étude commencée dans notre précédent numéro
« Les drones une arme indispensable », l’auteur soulève ici quelques questions morales, liées à cette arme nouvelle.

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Les drones peuvent faire basculer l’issue d’une confrontation. On l’a vu dans le Haut-Karabakh, où les armées de l’Azerbaïdjan ont bénéficié de drones armés de type Bayraktar TB-2. Probablement pilotés par des soldats turcs, ils ont fortement affaibli les positions arméniennes, en détruisant notamment leurs systèmes de défense anti-aérienne. Il en va de même en Libye, où ces mêmes drones turcs ont donné l’avantage au Gouvernement d’Union Nationale en anéantissant des Pantsir 2, ces véhicules blindés armés de canons et missiles anti-aériens, dont les troupes du maréchal Haftar n’ont donc pas pu se servir. Constat semblable en Ukraine : dès 2014, l’avantageuse utilisation de drones par les séparatistes du Donbass et de Crimée a convaincu Kiev d’en acquérir et de développer son propre système, baptisé « Drone du peuple ».

Pour autant, l’emploi de drones n’est pas l’apanage des armées régulières. Des groupes insurrectionnels ou terroristes y ont eu recours, par transfert de matériel et de technologie de la part d’un allié, ou par l’acquisition d’appareils en vente libre.  C’est ce qu’a fait l’État Islamique (EI) avec les drones chinois Phantom, qui ont permis le ciblage d’objectifs avant le lancement des offensives sur Falloujah et Kobané en 2014. Par la suite, après transformations, les djihadistes s’en sont servi comme bombes-volantes destinées à s’écraser sur leurs ennemis, les troupes turques de l’opération Euphrate shield en ont fait les frais.

Sous l’aile de ce drone du type Bayraktar TB-2 de conception turque, on distingue les 2 ports d’accroche de missiles air-sol.photo Nato info.

Instrument aux fonctions diverses

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Le rôle des UAV ne se limite évidemment pas aux missions de frappes ou de renseignement militaire. Ils peuvent également contribuer à la propagande des belligérants. L’EI, le gouvernement azéri ou encore les Etats-Unis l’ont démontré en publiant les vidéos de leurs succès, enregistrées par les drones.

Ils sont utiles aussi au maintien de la sécurité, lors de grands évènements, ou dans les espaces frontaliers. Ainsi, la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique est-elle surveillée par des Predators américains, dont certains étaient utilisés en Irak auparavant. Autre exemple, en Géorgie, ils servent au contrôle des Administratives Boundary Lines, au dessus des territoires indépendantistes.

Israël, qui les utilise depuis longtemps contre les Palestiniens dans la Bande de Gaza et les territoires occupés, les modernise sans cesse après retours d’expérience. Ce qui sert aussi ses intérêts économiques,  puisqu’est ainsi favorisée l’image de qualité et d’efficacité des engins israéliens auprès des potentiels acheteurs.

Les drones : vers une complémentarité opérationnelle avec l’avion de combat.

 De plus en plus, on observe un couplage dans le jeu opérationnel de vecteurs aériens. Ainsi, en Russie, les chasseurs Sukhoï SU-57 « frelon » et SU-70 seront bientôt accompagnés de drones furtifs de combat S-70 « Okhotnik ». Le pilote du Su-57 reste toutefois maitre quant à la décision de tir du S-70 qui l’accompagne.

La France s’inscrit dans la même dynamique. Elle se focalise sur l’utilisation combinée de l’avion Rafale et du drone Neuron à l’horizon 2025. C’est le projet européen SCAF mené par l’Allemagne, l’Espagne et la France

Déjà, dans les années 1990, des ingénieurs de Dassault Aviation avaient indiqué qu’ils étaient capables de rendre automatique la partie du vol d’un Mirage 2000 ou d’un Rafale jusqu’à la zone de combat, en volant à la manière d’un missile de croisière, au ras du sol. Mais une telle vitesse plongeait le pilote dans un état nauséeux qui le rendait incapable d’anticiper les manœuvres de son aéronef ou d’engager le combat. lorsqu’il se retrouvait face aux chasseurs ennemis. Les probabilités laissaient apparaître que la « durée de vie » d’un chasseur était alors de trois minutes (contre 3 heures pour un char et 3 jours un fantassin)

Des armes faillibles

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Les utilisations de drones récentes mettent en évidence certaines limites. Les drones de 3ème catégorie sont des outils pertinents dans les espaces aériens permissifs, autrement dit là où il n’y a pas de domination aérienne. Bénéfiques dans les conflits asymétriques, ils pourraient donc s’avérer moins efficaces dans des conflits interétatiques, où l’espace aérien est maîtrisé. En Libye, ils tombent fréquemment sous le feu des avions de chasse et des batteries anti-aériennes. Un exemple fameux est celui d’un drone de surveillance américain RQ-4A Global Hawk abattu par l’Iran en 2019. Cet épisode a révélé les progrès militaires iraniens face à des drones réputés comme difficilement atteignables.

Ces appareils ont un point faible, la météo. Ils sont aussi vulnérables aux offensives électromagnétiques, comme les Russes en ont fait la démonstration dans le Haut-Karabakh. En 2009, les insurgés irakiens ont réussi une cyber-attaque contre un Predator américain de 4,5 millions de dollars, grâce au détournement d’un logiciel de téléchargement de contenu audiovisuel SkyGrabber, coûtant seulement 26 dollars sur internet. Cela leur a permis d’accéder aux vidéos prises par l’appareil, qui ont révélé les lieux surveillés et les prochaines cibles militaires étudiées. 
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Implications juridiques

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L’un des enjeux de cette nouvelle arme est son adéquation au droit international, et notamment au droit humanitaire. Le drone n’est pas illicite en soi, mais certaines utilisations posent questions.

En accord avec le jus ad bellum, pour employer un UAV sur un théâtre extérieur, un pays doit, soit être en guerre, soit avoir reçu le consentement explicite du gouvernement légitime de l’espace aérien, soit avoir eu l’autorisation du Conseil de Sécurité de l’ONU. On se doute bien que ces conditions d’utilisation font débat. C’est le cas, par exemple, au Waziristan, dans le nord du Pakistan. Depuis la fin 2001, les Etats-Unis y interviennent par drones contre Al-Quaeda et les Talibans. Ces actions sont condamnées par les autorités qui, puisqu’elles n’ont pas donné leur accord explicite, considèrent qu’il s’agit de violations répétées de leur souveraineté. 

Dans le cadre du jus in bello, la capacité de différencier les civils des militaires peine à convaincre. Les associations locales critiquent souvent le manque de transparence sur les dégâts collatéraux lors de frappes par un drone. Mais ce sont parfois les pratiques de ciblage elles-mêmes qui sont erronées. C’est le cas avec les frappes « signatures », lorsqu’on cible un « ennemi » non pas parce qu’il est reconnu, mais à cause de ses habitudes de comportements.  Par ailleurs, le fait que les pilotes de drones américains sont parfois des civils, agents de la CIA ou employés d’entreprises sous contrat comme Lockheed Martin, est fortement décrié.

En outre, le principe essentiel de proportionnalité est aussi remis en cause, puisqu’un drone armé, face à un ennemi, ne peut laisser à ce dernier la possibilité de se rendre.

Pouvons-nous accepter qu’une intelligence artificielle puisse prendre la décision de tuer un homme

La réponse peut varier suivant les régimes politiques. En France, la posture officielle est claire. Le choix a été établi quant à la stricte maîtrise de l’intelligence artificielle qui n’aura donc aucune latitude pour décider seule d’une action létale.

De toute façon, on peut s’attendre à une augmentation considérable de l’importance et du cout des logiciels embarqués (avec de l’IA). La même évolution est attendue dans le civil pour les automobiles à pilotage autonome.

Sachant que si aujourd’hui la question se pose pour les drones, demain, c’est tout le système de défense qui devra répondre à la même question. La loi de programmation militaire française indique clairement : « Les programmes de drones aériens (comme le drone MALE européen ou le système de drones aéromaritimes embarqués SDAM), le système de guerre des mines futur (SLAMF) ou encore les robots du domaine terrestre intégrés aux systèmes d’information et de communication infovalorisés du programme SCORPION, apporteront des concepts entièrement nouveaux fondés sur la collaboration entre des plateformes et des systèmes de drones. Ces nouveaux systèmes seront intégrés aux capacités actuelles afin d’en améliorer la performance globale ». 
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Déstabilisations philosophiques

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Dans l’avenir, d’autres débats émergeront, quand les drones deviendront autonomes. Se poseront alors les questions de la responsabilité et de l’application de la justice en cas de non-respect du droit.

Le drone autonome sera problématique en termes d’éthique. Il ne pourra pas désobéir à un ordre illégal, contrairement à un soldat. L’inquiétude que suscitent ces potentiels SALA (Systèmes d’Armes Létaux Autonomes) a conduit le Parlement européen à suggérer leur interdiction préventive.

Émergent aussi des enjeux philosophiques. L’accord mutuel et tacite du droit à tuer, sous-jacent aux conflits, se trouve dévalorisé, car le drone rend caduque le droit à la chance de combattre pour l’ennemi. Et apparait la potentielle disparition des valeurs martiales dues à des militaires qui ne sont plus désormais suffisamment confrontés au danger. Le courage, l’héroïsme et le sacrifice de soi pour préserver la survie de tous sont alors affaiblis.

Le risque est aussi celui de l’effacement du citoyen-soldat. L’État doit rendre des comptes sur sa politique étrangère auprès de ceux qui peuvent être amenés à se sacrifier. Surgit alors un potentiel aléa moral : l’État, ne mettant plus en danger la vie de ses citoyens, peut être tenté plus facilement par l’option militaire.

Fort heureusement,  ces réflexions sont tempérées par le fait que les combattants ne sont pas tous autant protégés que les pilotes de drones.

Les conflits asymétriques contemporains et la répugnance à l’idée de mourir sur le champ de bataille contribuent à faire le succès du drone. S’il a vite trouvé sa place dans la tactique, il rentre mal dans les cadres juridiques et philosophiques portant encore les marques des siècles précédents.
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Nous remercions Pierre Jarleton pour son aide et ses conseils

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(*) Hugo Marneffe. Diplômé d’un Bachelor de Relations Internationales et de Sciences Politiques.
Il effectue actuellement un Master de Diplomatie au sein de l’École des Hautes Études Internationales et Politiques de Paris et prépare une thèse sur les nationalismes dans l’Union Européenne. Il est stagiaire chez ESPRITSURCOUF.
Engagé dans le domaine associatif, il s’investit au sein de la Fédération Francophone de Débat.


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