L’ARMÉE FRANÇAISE

Marine Dath-Bissac (*)
Julien Godfryd (*)
Analystes en stratégie et diplômés de l’IRIS
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L’année 2019 est l’année de l’Europe et dans le cadre du dossier « Défense et armée européenne » animée par Patrick Toussaint, nous allons passer en revue les différentes Armées qui existent en Europe et qui seraient susceptibles de participer à une armée européenne.
Nous commençons par un article de deux de nos jeunes membres d’espritcors@ire Marine Dath-Bissac et Julien Godfryd sur l’armée française. Ils ont eu déjà l’occasion d’écrire dans ESPRITSURCOUF.fr

La transition stratégique qui s’est opérée en France durant tout le 20e siècle, a poussé, de facto, l’armée à réorganiser ses forces. Peu à peu, nous avons assisté à la numérisation du champ de bataille et à l’apparition d’une guerre dite « intelligente ». Cela implique une diminution de l’intensité et de la morbidité des combats.
Ainsi, et les différents Livres Blancs de la défense (2008, 2013 et 2017) ainsi que la Loi de programmation militaire 2019-2025 (publiée le 13 juillet 2018 sous la direction de Florence Parly, ministre des Armées)  suivent-elles bien les exigences des nouveaux enjeux internationaux.

À quoi ressemble une « armée des dividendes de la paix », ou encore, « une armée en temps de paix »[1], ainsi que la présente le Général François Lecointre, actuel chef d’état-major des armées  (CEMA)? Car si nous possédons une armée dont le but est de soutenir et maintenir la paix, l’ambition de la ministre des armées, Florence Parly, n’en est pas moins de la moderniser, preuve en est sa LPM « du renouveau ». Pour se faire, le budget de la Mission défense a été augmenté de 1,7Mds d’euros pour 2019, portant le total à un montant de 35,8 Mds d’euros (Hors pensions). Le but est d’atteindre les 2% du PIB dédiés à la Défense[2] Nous aborderons en premier lieu « l’ordre de bataille » de l’armée française, puis nous concentrerons sur la question du renseignement.
L’armée de Terre représente le gros de nos ressources humaines, avec 114 468 soldats (Officiers, sous-officiers, militaires du rang et volontaires), soit 55,5% de la totalité des effectifs du personnel militaire[3]. L’Air arrive en deuxième position avec 40 785 soldats (19,8%) et enfin la Marine en comptabilise 35 327 (17,1%). Les gendarmes sont au nombre de 2499 (gendarmes placés sous Plafond ministériel des emplois autorisés des armées) soit 1,2%.  Les 6,4% restants se répartissent parmi les personnels militaires de santé (SSA), le Service d’essence des armées (SEA), la Direction générale de l’armement (DGA), et le Service du Commissariat des armées (SCA). Enfin, ces différentes entités possèdent également un nombre important de réservistes. On compte au total 36 312 officiers, sous-officiers et militaires du rang, l’armée de terre étant celle qui en compte le plus. Ces réservistes permettent, entre autres, de renforcer les effectifs des opérations nationales type Sentinelle ou Vigipirate, mais ils peuvent également être appelés en cas de catastrophe naturelle pour épauler l’armée dans le secours à la population.

En ce qui concerne nos équipements de terrain, l’armée de Terre possède : 200 chars de combat Leclerc, 154 blindés chenillés et 6 237 blindés à roues. Son artillerie se compose de 121 canons type Caesar, AUF1 et TRF1, de 140 mortiers, de 12 lance- roquettes unitaires (LRU) et de 85 véhicules d’observation. Il ne faut pas négliger au sein de l’armée de terre sa partie aviation légère (ALAT) qui regroupe 284 hélicoptères (contre 75 pour l’armée de l’air) tels les Gazelle, les Tigre, les Cougar, les Puma S330, les Caracals et les Caïmans, ainsi que 18 Fennec destinés à l’entraînement. Elle compte également 205 systèmes de d’armes sol-air, 13 avions de liaison et 61 drones. En matière d’équipement, l’armée française est actuellement dans une phase de restructuration de son matériel, vieillissant

Le programme Félin (acronyme pour Fantassin à équipement et liaison intégrée, développé par Safran) destiné à l’armée de Terre représente la pierre angulaire de ce renouveau. Le but avoué est la modernisation, donc la numérisation de l’équipement des soldats. Il s’agit, selon Safran[4], « du premier véritable système intégré pour le combattant débarqué ». Le système Félin a pour l’instant été distribué à plus de 20 000 exemplaires à l’armée française, et Safran travaille à développer et exporter ces équipements optroniques[5] aux infanteries de la Suisse, du Royaume-Uni, de l’Allemagne et des États-Unis. On compte également parmi les programmes de modernisation le programme Scorpion, qui vise à renouveler les capacités médianes du combat de contact autour de deux plateformes : le VBMR (Véhicule Blindé Multi Rôle) Griffon et l’EBRC (Engin Blindé de Reconnaissance et de Combat) Jaguar. Ce projet cible également l’unique système d’information du combat Scorpion (SICS) pour la mise en réseau de tous les systèmes produisant un effet tactique sur le terrain Scorpion intègre également la rénovation du char Leclerc.

L’armée de l’air est forte de 229 avions de combat (Rafale, Mirage 2000), de 78 avions de transport, de 20 avions de support opérations, dont le Transall C160-Gabriel, qui remplit des missions de transport tactique, et de recueil de renseignement électromagnétique (ROEM) ; 27 avions de liaison (notamment les Falcons), 139 avions lui permettent de s’entraîner, 75 hélicoptères Fennec, Caracal, Super-Puma et Puma, 6 drones MQ9-Reaper, qui sont des drones de renseignement et de surveillance, qui seront armés courant 2019, et 20 systèmes d’armes sol-air (Crotale et Mamba).

Enfin, la Marine nationale est le second exploitant nucléaire en Europe[6] et, de ce fait, revêt une importance capitale dans notre capacité de dissuasion, en plus de ses forces combattantes. La LPM a en effet acté un budget de la dissuasion nucléaire en hausse de 60% par rapport à la LPM précédente. Les missiles M51 (Ariane Group) sont des engins de trois étages de type mer-sol-balistique stratégique (MSBS), ils succèdent au M45 avec une portée accrue de 6000km (4000 km pour les M45). D’une hauteur de douze mètres et d’un poids maximal de 56 tonnes, ils peuvent contenir jusqu’à six têtes nucléaires. Ils équipent les sous-marins lanceurs d’engins nouvelle génération (SNLE-NG), renforçant, par la distance qu’ils couvrent l’invulnérabilité – reposant essentiellement sur la discrétion acoustique et la capacité de détection sous-marine[7] – de ces bâtiments. En 2015, le président François Hollande avait affirmé que la France possédait 300 têtes nucléaires, dont trois lots de seize missiles portés par sous-marin et cinquante-quatre vecteurs ASMPA (air-sol-moyenne portée améliorée)[8]. Les 72 bâtiments de combat et de soutien comportent quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (Le Triomphant, le Téméraire, le Vigilant et le Terrible) et six sous-marins nucléaires d’attaque, qui eux n’embarquent pas de missiles atomiques. Enfin, n’oublions pas de mentionner les 54 missiles air-sol de moyenne portée améliorée qui équipent les avions de combat comme le Rafale et le Mirage qui peuvent décoller des bases d’Istres, de Saint-Dizier ou du porte-avions Charles de Gaulle grâce à la force d’action navale nucléaire (FANU).

La Marine nationale compte en effet l’unique porte-avions français, le Charles De-Gaulles. Là aussi la LPM a lancé la modernisation avec le programme de renouvellement du porte-avions, évalué à 4,5 milliards d’euros. Plus précisément, Madame Parly a lancé une phase d’étude de dix-huit mois, dont le montant s’élève à 40 millions d’euros, avec pour objectif une mise en service d’un digne successeur entre 2030 et 2035[9]. La Marine possède également ses propres avions, dont 43 Rafales Marine et 2 Hawkey – E2C, 22 avions de patrouille maritime (les ATL2), 13 avions de surveillance maritime, 24 avions de soutien maritime, et pas moins de 82 hélicoptères.
Néanmoins, le taux de disponibilité des matériels militaires et « insuffisant », ainsi que l’a exprimé le Président de la République française lors de son discours à l’hôtel Brienne en août 2018. Afin de satisfaire à une rapide amélioration, Florence Parly a créé la Direction de la maintenance aéronautique (DMAé) en avril 2018. On évoque en effet un taux de disponibilité des aéronefs inférieur à 50%, alors que le problème était déjà soulevé en 2017 [10].  Même son de cloche du côté de la FOST (la Force océanique stratégique) où les indisponibilités pour entretien (IE) des sous-mains s’élèvent à 50%. L’importante différence entre le taux de disponibilité et le coût d’entretien de ces appareils fait donc partie des défis à relever pour la ministre de la Défense.
Ainsi, on observe un réel effort budgétaire, tant pour les matériels que pour les ressources humaines. La nécessité de modernisation des armes française et du renseignement s’inscrit dans l’enjeux mondial de la numérisation des guerres, et dans l’adaptabilité aux nouveaux conflits et menaces que la France peut rencontrer.

On soulèvera cependant la question de l’utilisation des personnels militaires pour les opérations Sentinelle et Vigipirate, qui mobilisent de nombreuses ressources humaines militaires. Considérant que les militaires ne sont pas formés pour maintenir l’ordre mais pour faire la guerre, l’idée de faire basculer ces opérations vers les forces de police par exemple, permettrait aux militaires de ne pas perdre en compétence lors de ces patrouilles, et de consacrer plus de temps à un entraînement vital pour les opérations extérieures dans lesquelles la France est engagée.

Car cette répartition des ressources humaines couplée au différents enjeux de l’armée (taux insuffisant de disponibilité, temps d’attente pour la modernisation des matériels, temps de formation des soldats et des analystes) ne permet pas à la France d’envisager une implication dans un conflit majeur, s’il devait venir à se déclarer. Pour reprendre les termes du général François Lecointre que nous avons évoqués plus haut : « Nous sommes une armée de temps de crise, mais pas de temps de grande conflictualité ».


………………………………… ….. (*) Marine Dath-Bissac

Elle est Diplômée de Master II Analyste en Stratégie internationale et Management de l’IRIS Sup’ et Grenoble École de Management, auditrice de la 111ème session jeune de l’IHEDN, Consultante d’entreprise à Bruxelles, Déléguée aux relations universitaires d’ESPRITSURCOUF.fr

……………………………………….. …. (*) Julien Godfryd

Analyste en affaires stratégiques, est spécialiste de la géopolitique du Proche-Orient et diplômé de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Après avoir travaillé aux ministères de Affaires étrangères et de la Défense, il a collaboré avec différents magazines et a rejoint une grande société de conseil en nouvelles technologies.

Cet article viendra s’inscrire dans le Dossier Thématique « Europe de  la Défense »


Notes de lectures :

[1] Compte-rendu de l’audition du Général F. Lecointre, Chef d’état-major des armées, sur le projet de loi de finance de 2019, à la Commission des forces nationales et des forces armées à http://www.assemblee-nationale.fr/15/cr-cdef/18-19/c1819015.asp

[2] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/la-france-poursuivra-en-2019-la-hausse-de-son-budget-de-defense-791440.html

[3] Voir « Les chiffres clés de la Défense » édition 2018

[4] https://www.safran-group.com/fr/defense/modernisation-du-combattant

[5] Technique permettant de mettre en œuvre des équipements ou des systèmes utilisant à la fois l’optique et l’électronique

[6] Selon le site etremarin.fr / les métiers du nucléaire

[7] https://www.lajauneetlarouge.com/lentretien-des-sous-marins-nucleaires-lanceurs-dengins/

[8] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/02/21/de-quoi-l-arsenal-nucleaire-de-la-france-est-il-compose_4580740_4355770.html

[9] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/la-france-lance-le-successeur-du-porte-avions-charles-de-gaulle-795017.html

[10] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/disponibilite-des-helicopteres-militaires-c-est-cataclysmique-713146.html 1 \l