LES POSTURES
ET LA DÉMOCRATIE

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Christian Fremaux (*)
Avocat honoraire et ancien élu local.
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Le 26 août, l’arrière-petit-fils d’Agatha Christie annonçait qu’il débaptisait un roman de son aïeule. Le livre s’appelait « dix petits nègres », il s’appellera désormais « ils étaient dix ». L’information laisse pantois ! Nul doute qu’elle a irrité un peu plus les humeurs de notre auteur, qui nous livre ici ses réflexions, mélange de bile et de bon sens, sur le « politiquement correct ».

C’est l’été et je déconfine. Étant de mauvaise humeur comme tout le monde pour des motifs aussi obscurs que subjectifs liés à l’air du temps, je vais être (un peu ?) de mauvaise foi, ce qui réussit souvent à certain(e)s qui veulent nous faire prendre des vessies pour des lanternes et nous donnent des leçons de vertu, de morale, de comment vivre.

Je n’aime pas que l’on me dicte mes comportements et ce que je dois penser.  Surtout par des minorités de toutes couleurs pour qui on doit faire acte de repentance pour tout sujet, et soutenir leur action qui serait par définition juste. Sachant que ceux qui revendiquent n’ont en général aucune responsabilité de droit ou de représentativité, qu’ils/elles se sont auto- proclamé(e)s champion(ne)s d’une cause en croyant détenir la vérité, et se sont mué(e)s en professeurs du verbe en écartant le principe de réalité. Ce sont des citoyen(ne)s comme les autres et on n’est pas obligés de croire en ce qu’ils ne disent ni de partager leurs méthodes d’action, même si leur combat est utile. Mais de là à dénier a priori un gouvernement à peine nommé et s’attaquer en particulier à deux ministres qui n’ont pas encore commencé à travailler, non et j’ajoute : Non !

Haro sur les ministres


J’ai avalé ma blédine de travers quand j’ai entendu les magistrats et les féministes (drôle d’attelage) protester de conserve contre la nomination du nouveau Garde des sceaux, et les féministes seules récidiver contre le nouveau ministre de l’intérieur. Cela m’a rappelé la déclaration baroque de monsieur Castaner quand il a dit que l’émotion mettait de côté toutes les règles de droit [sic]. Chacun est donc à la merci de son voisin qui ne l’apprécie pas ; de tel ou telle qui a déposé plainte pour n’importe quel motif ; de celui ou celle qui considère que l’on est un privilégié et un riche (ce qui est une double peine), et que l’on doit donc payer…  Et si on n’est pas maximaliste dans le soutien, on est moins que rien, donc un adversaire à combattre. Quelle ouverture d’esprit !

La question est : le gouvernement, nommé par la volonté du Président de la République élu au suffrage universel, doit- il être soumis à l’avis préalable des corporations, des groupes de pression qui hurlent, et au rejet de tous ceux qui s’estiment brimés ou pas écoutés pour de multiples raisons bonnes ou non, objectives ou orientées ?

Y a- t- il au nom de la liberté d’expression et de la défense de causes légitimes ou de pétitions de principe, une censure de fait alimentée par de très petites minorités qui prétendent détenir la vérité, qui préjugent des comportements à venir à l’aune d’une exégèse du passé, et qui exigent qu’on leur donne d’office satisfaction, y compris en justice ?  La composition du pouvoir exécutif peut-il dépendre de la conjoncture qui fluctue, du sentiment personnel de quelques- uns, ou de la détestation d’autres ?  On a naturellement le droit de ne pas aimer quelqu’un. Mais le pouvoir de nuisance n’a-t-il pas des limites ?  La démocratie qui a besoin de gens compétents et dynamiques peut-elle être l’otage de ceux qui dénigrent ? Cela rappellerait les heures terribles des III° et IV° République, où les gouvernements valsaient régulièrement pour des polémiques diverses, au fil des scandales.

Manifestation féministe contre le cinéaste Roman Polanski,
à l’occasion de la sortie de son film « Dreyfus ».
Photo Pixabay

On a aussi vu comment se passe l’action des gouvernements de couleur homogène voire incolore, avec des membres alignés comme des petits pois pour reprendre une formule qui n’a pas plu en France. Mais on n’est pas en Chine, en Corée du nord ou dans un pays totalitaire bafouant les libertés, où les valeurs sont décrétées, où les citoyens n’ont qu’un devoir, celui de suivre la ligne du parti, où ils doivent d’abord obéir avant de formuler une minuscule observation. J’évoque en rappel les pays théocratiques où la loi est celle de la religion, où les juges ont un rôle modeste et où la place de la femme n’existe pas et le féminisme encore moins.  Il est facile, et je m’en réjouis, de critiquer et d’accuser publiquement en France, il y a peu de risque. L’état de droit est protégé par nos magistrats, et la parité fait que les femmes peuvent se faire entendre et faire reconnaitre leurs droits, par les mêmes magistrats.  

On ne peut pas plaire à tout le monde


L’article 8 de notre constitution est clair : le Président de la République nomme le 1er ministre puis, sur proposition de celui-ci, nomme les ministres. C’est au président de prendre ses responsabilités et de désigner qui lui parait faire l’affaire, si je puis utiliser une expression triviale à l’égard d’Excellences qui nous gouvernent.  Mais si le Président se trompe il va subir. Si des « désignés » commettent des erreurs, n’ont pas tout dit de leur situation patrimoniale ou fiscale, ou persistent et signent dans des opinions provocantes et conflictuelles en créant des tensions, ou ont des avis qui clivent trop, ils peuvent être débarqués, comme dans les sociétés commerciales, surtout s’ils sont poursuivis pénalement voire condamnés.  On l’a vu. On se rappelle les mensonges les yeux dans les yeux au parlement et des oublis de déclarations voire des propos maladroits car nul n’est parfait. On sait que les juges rattrapent des personnalités, même si elles sont puissantes et courent vite en ayant des relations.

Le peuple français, qui est adulte et ne se laisse pas embarquer dans le n’importe quoi politique ,a compris dans cette société de spectacle et de postures qu’un gouvernement doit comporter un peu de tout, y compris dans l’intitulé des ministères ( on a connu jadis le ministère du temps libre, qui n’était pas le ministère du chômage). Un gouvernement doit conserver un équilibre politique, territorial, paritaire, et on sait que la communication guide nos pas, qu’il faut des vedettes de la société civile, qu’elles soient du barreau ou du show-business ; ainsi que des symboles et des messages. On préfèrerait surtout de l’efficacité qui n’est pas incompatible avec ce qui précède.

On ne peut pas plaire à tout le monde et dans le passé tel ou telle ministre ne m’a pas enthousiasmé en raison de son passé et de ses prises de position. Je n’ai pas aimé par exemple la conception de la Justice selon madame Taubira. Mais je ne me suis pas roulé par terre et répandu avec mes amis qui pensaient comme moi dans les médias.  Je n’ai pas estimé qu’elle devait partir, car je n’ai pas la science infuse, et le ministre de bonne foi ne peut avoir tort sur tout. J’ai attendu ses actes pour juger, car même si on ne change pas, on peut réviser ses dogmes par la grâce des obligations ministérielles, de l’intérêt général et de la réalité des faits.  En démocratie prendre une posture c’est gratifiant pour soi, mais cela n’apporte rien aux autres, sauf à créer le trouble et nuire à la cause que l’on défend.

Voilà pour Dupond-Moretti


Des magistrats, pas tous, ont estimé que nommer maître Dupond-Moretti comme Garde des Sceaux était une déclaration de guerre. Ils n’ont pas fait dans la modération, eux qui ont un devoir de réserve et qui ont acclamé d’autres Gardes des Sceaux dans le passé. Et pour qu’il y ait guerre il faut deux ennemis ! Ils ont confondu l’avocat, à la parole libre qui défendait ses dossiers et ses clients sans partager et approuver leurs actes et croyances, avec l’homme politique qu’il est devenu à l’insu de son plein gré, responsable de ce qu’il va dire et faire.

Passation de pouvoirs entre la Garde des Sceaux sortante et le nouveau Ministre de la Justice, Eric Dupont-Moretti. 
Capture d’écran LCI

Ces magistrats auraient dû se souvenir du « mur des cons », bâti en empilant les codes et la bonne conscience, que certains d’entre eux, novateurs politisés, avaient construit. Le mur est démoli, mais il doit exister encore dans certains esprits. Ils prônent qu’il faut donner au moins une 2ème chance à toute personne qui a fauté. Ce que d’ailleurs le justiciable de base et les victimes n’apprécient pas. Maître Dupond-Moretti, qui n’a pas fauté, n’a- t-il pas droit à une période d’essai en confiance ? Et s’il arrivait à réformer la maison qui prend l’eau, à faire travailler à l’aune des technologies et des besoins nouveaux tout le monde, à séparer le parquet du politique, à conforter l’indépendance des juges et leur redonner du lustre et de la puissance indispensables dans un état de droit, à assurer une gestion humaine des détenus et la prise en compte des victimes, ne serions-nous pas contents ?

D’autant plus que la justice n’appartient ni aux magistrats, ni aux auxiliaires de justice que sont les avocats, puisqu’elle est rendue au nom du peuple français, qui est souvent loin des thèses à la mode, excessives et dites progressistes. On le voit avec les juridictions formées de citoyens comme le conseil de prud’homme ou la cour d’assises. 

Ceux qui ont chahuté selon la tradition à géométrie variable le ministre à l’assemblée ont du souci à se faire. Quand maître Dupond-Moretti aura pris ses marques sur le banc des ministres comme dans les prétoires, il saura répartir avec tranchant et avec courtoisie comme il sied à un ministre. On ne réveille pas impunément un avocat pénaliste devenu ministre et qui ne dort pas ! (Selon le titre adapté du livre d’un grand juge d’instruction : Gilbert Thiel).

Les féministes n’ont pas apprécié ses formules parfois à l’emporte-pièce sur des mouvements qui ne font pas la part belle aux hommes : cela fait partie du débat d’idées et ne signifie pas que l’on approuve des actes odieux et qu’on ne veut pas de poursuites pénales pour des faits prouvés. Déposer plainte n’a jamais voulu dire que l’on avait raison, et l’affirmation qu’il n’y a pas de fumée sans feu ne concerne pas la justice.  Toutes ces considérations ne justifient pas que l’on punisse par avance l’homme politique et qu’on lui refuse d’entrer ou rester au gouvernement. La démocratie n’est pas l’interdiction préventive.

Et voilà pour Gérard Darmanin


Concernant les critiques contre le ministre de l’intérieur Gérard Darmanin, toujours par les féministes décidément en verve, rappelons qu’il y a dans les principes intangibles du droit la présomption d’innocence, que la période des suspects remonte à 1789 et qu’un juge d’instruction est chargé du dossier. La démocratie d’opinion impatiente et sûre d’elle –même, qui ne doute jamais en voyant « des protections de coupables » partout, ne peut passer. Et je rassure ceux/celles qui s’inquiètent. Je ne doute pas que les juges renverront monsieur Darmanin devant le tribunal correctionnel ou la cour d’ assises s’il y a des éléments à charge, et que le Président de la République en tirera immédiatement les conséquences.  Ce serait faire injure aux magistrats de penser le contraire, eux qui ont été prompts début 2017 pour modifier de fait le cours de la campagne présidentielle, et qui prononcent des jugements exemplaires contre les puissants, à juste titre cela va de soi.

Gérard Darmanin quittant le Palais de l’Élysée. Capture d’écran de France 3 Régions

En outre nous avons besoin d’un ministre de l’intérieur de combat qui réussisse à réconcilier ceux qui font un métier très difficile et la population qui veut avoir confiance dans les forces de l’ordre ; à remettre de l’ordre public ; à incarner l’autorité de l’État et à jugule les séparatismes et les violences endémiques de toutes natures. Il ne se passe pas un jour sans que nous apprenions des faits qui indignent l’honnête homme/femme.  Il aura Mme Schiappa qui représente avec ardeur et conviction les droits des femmes à ses côtés pour veiller sur lui, avec le titre de ministre de la citoyenneté. Je me réjouis que l’on parle de civisme et de valeurs républicaines après le taux d’abstention record des municipales dont le covid -19 n’est pas le seul responsable, mais aussi des notions de devoirs pour le bien commun qui accompagnent les droits individuels, sans oublier la laïcité qu’il faut expliquer pour qu’elle soit comprise donc acceptée.  Le ministre de l’intérieur a une garde du corps : c’est tendance.   

Pour nommer les ministres, s’il faut obtenir un feu vert préalable des corporations, ou des mouvements tels que les féministes, les anti -racistes, les antifascistes, les verts, les bleus, les rouges sans oublier les noirs et les blancs, les révolutionnaires, ceux qui ne partagent pas la conception laïque de la république ou ceux qui ont une appréhension quelconque, et j’en oublie, je crains que personne ne soit nommé. Les braillards de tous horizons ne peuvent avoir la peau d’un ministre, ni le dernier mot. La rue ne gouverne pas.

La démocratie n’a pas besoin de postures. Les responsabilités et les succès suffisent.

Je termine par un peu de poésie dans ce monde de brutes (hommes comme femmes) : « Comme je descendais des fleuves impassibles je ne me sentais plus guidé par les haleurs. Des peaux rouges criards les avaient pris pour cibles, les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs ». J’invite ceux que j’ai critiqués ou qui se reconnaitront à monter dans le bateau ivre d’Arthur Rimbaud.

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(*) Christian Fremaux, avocat honoraire du barreau de Paris, est diplômé de CEDS (centre d’études diplomatiques et stratégiques), auditeur de l’IHEDN, et président d’honneur, après en avoir été président actif pendant douze ans, de l’association des auditeurs de l’INHESJ (Institut National des Hautes Études de Sécurité et de Justice). Il a enseigné jusqu’en 2005 à HEC et dans plusieurs universités parisiennes. Il a été élu à l’Académie des Sciences d’Outre-mer et est actuellement président de séance auprès du Conseil des Prudhommes de Paris.

Il a publié de nombreux articles dans la presse régionale, nationale ou spécialisée. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « les Français victimes de leur administration » aux éditions Michel Lafon en 2002.

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