Course…vers le chaos

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Pascal Le Pautremat
Rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF
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Après onze mois de guerre en Ukraine, sans parler des tensions asymétriques depuis 2014 dans les oblasts de Donetsk et Louhansk, la situation globale ne cesse de s’aggraver. Personne ne peut nier l’internationalisation croissante du conflit, même si, dans les équipes de communication des pouvoirs exécutifs, on ne cesse d’enchainer les numéros de claquettes pour affirmer l’inverse. Sur le terrain, entre les opérations conventionnelles et celles classifiées, les combats s’intensifient.

Au processus de financement de la guerre par les Etats-Unis qui s’assurent, à terme, d’une Ukraine débitrice et donc redevable, s’ajoutent les livraisons d’armes, de systèmes d’armes, de plus en plus lourds, tant par Washington que par divers pays européens et membres de l’OTAN. Le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Jens Stoltenberg, n’exhorte-il pas à le faire ? Cela se traduit notamment, aujourd’hui, par l’envoi de chars de combat lourds Challenger (Grande-Bretagne), Leopard (allemand) et probablement Abrams (américains). Et il n’est pas exclu que l’Elysée opte pour des livraisons de blindés Leclerc. Autant de réalités et perspectives qui viennent s’ajouter aux divers blindés légers dépêchés par dizaines : des Bradley américains et des AMX10RC (blindés à roue) français.

En Russie, les usines d’armement fonctionneraient à plein régime, ce qui ne peut que susciter la comparaison avec la période de la Seconde Guerre mondiale. Contre toute attente, la Russie stalinienne, quasiment estimée perdue, avait témoigné d’une pugnacité, que l’on retrouve aujourd’hui, et avait pu compter sur le « général Hiver » pour reconstituer ses forces et son potentiel d’industrie d’armement. La comparaison s’arrête là, la conjoncture conflictuelle n’a évidemment rien à voir. En bref, on aurait tort, à Londres, Washington, Berlin ou Paris, de sous-estimer la réactivité et l’adaptabilité des Russes.

Les Russes, de surcroît, bénéficient eux aussi de livraisons de missiles, de drones iraniens et turcs et, selon certaines sources, de moyens nord-coréens. Pyongyang armerait notamment la force paramilitaire Wagner de l’oligarque Evgueni Prigojine dont les effectifs, ne cesseraient de grossir, par le biais de politiques de recrutement dans les milieux pénitentiaires, pour dépasser les 50 000 hommes. Certes, leur valeur opérationnelle se limite surtout à celle d’unités de choc, envoyées en première ligne, avec des taux de pertes importants, dans une guerre que ses membres s’appliquent à rendre sans foi ni loi.

Affiche du film « Touriste », tourné en Centre-Afrique, à la gloire des mercenaires russes de Wagner. Photo DR

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Nous voici donc en train de renouer avec les périodes les plus sombres de l’histoire dont la polémologie nous rappelle pourtant combien elles sont ignobles et devraient ne relever que du passé, pour laisser le champ à la négociation et aux compromis… À défaut, nous irons dans un chaos de plus en plus destructeur. Et il va falloir 25 ans, au minimum, pour s’en relever.

La guerre en Ukraine suscite aussi bien des analyses dans les milieux militaires, à l’instar du général Claude Ascensi (rubrique Défense). Il porte sur le conflit un regard qui répond aux réflexions que nous avaient livrées Alain Juillet dans notre numéro 199 « Réflexions sur la guerre en Ukraine » publié fin octobre. S’instaure ainsi une sorte de débat à distance, dont nous nous félicitons.

Indirectement, la crise soulève aussi diverses questions, notamment en ce qui concerne la place de la justice en temps de guerre. Christian Frémaux nous donne ainsi son point de vue au regard de cette actualité tragique (rubrique Humeur).

Au-delà de la dynamique opérationnelle, il ne faut pas occulter l’importance première du renseignement, quel que soit les enjeux et les menaces auxquelles on peut être confrontés. Michel Guerin, ancien Directeur adjoint de la DST le rappelle à juste titre (rubrique Sécurité).

Enfin, la conjoncture fait aussi réagir quant on observe la discutable politique énergétique et ses soubresauts auxquels les citoyens, également acteurs économiques sont exposés. Hervé Machenaud analyse une situation qui exige un nouveau cap (rubrique Economie).

Dans la rubrique Livre, nous attirons votre attention sur le remarquable travail de recherche qu’Erwan Le Gall a consacré à un régiment d’infanterie au cœur de la Grande Guerre, à hauteur des hommes avec une grande finesse et sensibilité : Une armée de métiers ? Le 47ème régiment d’infanterie pendant la Première Guerre mondiale Une œuvre magistrale.

Enfin, la revue d’actualité d’André Dulou parachève ce numéro 206.

Bonne lecture.

(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Conférencier et chargé de cours dans l’Enseignement Supérieur, il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Il intervient aussi dans les sociétés et les structures publiques en matière d’analyses géopolitiques et géo-économies. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense Nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF.
Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu” est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF du 30 novembre 2020

 

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