Le Yin
et le Yang

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Pascal Le Pautremat

Rédacteur en chef d’Espritsurcouf

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En procédant, une fois de plus, à un tour d’horizons des dossiers sensibles, on constate à quel point les postures tournent aux antagonismes sans qu’ils ne se tarissent…malheureusement.

Jugeons plutôt : en Argentine, un personnage fantasque, climatosceptique, Javier Milei, est parvenu à se faire élire, avec près de 55,95% des suffrages exprimés, le dimanche 19 novembre, au seul motif qu’il a promis aux plus modestes de réduire taxes et impôts. Conjointement, il semble bien décidé à détricoter l’organisation interministérielle de l’Etat, privatiser les entreprises publiques et supprimer la Banque centrale et remplacer le peso par le dollar.

Milei a même laissé entendre qu’il voulait récupérer les îles Falkland (Malouines), soit un archipel de 2 000 km² pour quelque 3 000 habitants. Une déclaration qui n’est assurément pas du goût des autorités britanniques qui n’envisagent nullement de rendre les Malouines à l’Argentine, réfutant la comparaison avec la rétrocession d’Hong-Kong (1997) à la Chine, que Milei n’hésite pas à faire valoir. En 1982, cela avait donné lieu à une guerre courte (de trois mois) mais d’une violence inouïe, certains affrontements directs allant jusqu’au corps à corps. On avait alors dénombré 649 tués, côté argentin, contre 258 du côté britannique.

Le nouveau président scande un credo ultralibéral qui laisse craindre, une fois encore, une surexploitation des sols, au détriment des écosystèmes, sur fond d’autorisations surréalistes comme celle du commerce d’organes – une véritable honte – dans un pays considéré comme la troisième économie d’Amérique latine mais qui doit rembourser un prêt de 44 milliards de dollars, obtenu du FMI en 2018, sur fond d’une inflation qui a augmenté de 143% au cours des douze derniers mois. Il s’agit aussi, pour lui, de promouvoir une politique de lutte contre la corruption…très populaire, là encore, auprès des plus faibles. Mais la réalité risque d’être toute autre.

De lutte contre la corruption, il en est fortement question au Vietnam où les autorités s’appliquent avec détermination, depuis une dizaine d’années, à la mise en œuvre de la Convention des Nations unies contre la corruption. Depuis peu, les résultats affichés semblent assez inédits puisque l’indice de perception de la corruption du Vietnam est passé de 2,6 points en 2009 à 39 points en 2021, le pays se passant de la 120ème position à la 87ème sur les 180 que compte le classement mondial. Cette politique anti-corruption, menée sous la houlette du secrétaire général du Parti communiste, Nguyen Phu Trong, s’affiche particulièrement vive en 2023. Elle n’épargne personne, obligeant même Nguyen Xuan Phuc, alors président du Vietnam, à démissionner en janvier dernier. Pour autant, cette politique de lutte contre toute forme de corruption, jugée salutaire par une large partie de la population, est aussi gage d’opportunité pour le Parti, afin de neutraliser toute forme de voix dissidente.

Comparativement, la France fait figure de bonne élève sans pour autant être sans défaut, occupant en 2023, la 21ème place sur 180 mais se voit reprocher une trop faible dynamique de lutte contre la corruption. Les informations sont certes là : oui, les cabinets de conseil privés, rémunérés de manière très élevée, sont prégnants dans les politiques publiques, comme en témoigne le cabinet McKinsey notamment dans les préparations des élections présidentielles de 2017 et 2022… On dénonce le recours à ces cabinets. Mais ils n’ont pas pour autant disparu.

Oui, des conseillers et ministres sont poursuivis en justice, à l’instar du Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, pour prise illégale d’intérêt. Mais sans qu’ils ne démissionnent systématiquement avant le verdict. Cela semblerait relever pourtant d’une logique éthique. Mais, l’on fait valoir l’argument que tout suspect est présumé innocent avant l’aboutissement d’un procès et son verdict.

La France institutionnelle se vante donc d’être peu corrompue… Mais sur le terrain, les moyens de lutte contre la corruption restent modestes, le Parquet national financier manquant même de magistrats pour mener à bien investigations et procédures. En 2023, on compte 20 procureurs pour près de 750 dossiers. Il reste que le Parquet national financier s’accroche, agit et met hors d’état de nuire. En dix ans, ce sont près d’un demi-millier de prévenus qui ont été condamnés. Et quelque 12 milliards d’euros, de fraude fiscale, ont été reversés dans les caisses de l’Etat.

 

Autre exemple des antagonismes conceptuels autant que conjoncturels : l’ouverture de la COP28 à Dubaï, le 30 novembre, et qui prendra fin le 12 décembre. La mobilisation internationale se veut conséquente, le Pape François II, au regard de l’urgence systémique, devant même se rendre sur place pour signifier combien les enjeux environnementaux sont œcuméniques et transcivilisationnels comme interreligieux. En dépit des évidences et des nécessités de changer de références économiques et de sortir de l’ultralibéralisme assurément dévastateur, les tenants du dogme des multinationales dédaigneuses n’ont pas manqué de nier les impératifs de mutation profonde.

Ainsi, à l’occasion d’une table ronde de l’université d’été du Medef, le 30 août 2023, : le climatologue Jean Jouzel, qui soulignait l’urgence de stopper tous les nouveaux projets inhérents aux  les combustibles fossiles, eut comme éléments de réponse de Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies : « […] le problème c’est qu’il y a la ‘vie réelle’. […] Cette transition, je suis désolé Jean, elle prendra du temps. […] Je dois assurer la sécurité d’approvisionnement au coût le plus efficace. » Ainsi, Patrick Pouyanné, qui est dans l’entreprise depuis un quart de siècle, contre les attentes des scientifiques et des multiples associations, y compris de la communauté internationale, en arguant des impératifs de la vie réelle…économique…

Vie réelle ?

Comment oser faire valoir la notion de réalité dans cette question qui renvoie justement à la réalité de l’humanité toute entière ? Les multinationales ne sont que des artefacts, certes très influents mais bien encombrants, plus porteurs de parts d’ombre que de lumière, et loin, bien loin d’être des fins en soit à l’échelle de la VIE, contrairement à ce qu’en pensent une majorité hommes d’affaires et de politiques hors sols, aveuglés par leurs prétentions et leurs mandats.

Donc, on le voit, dans bien des domaines, sur bien des questions, un peu d’humilité et de raison, seraient bienvenues.

Dans notre nouveau numéro, Vincent Gourvil, ancien diplomate, déplore combien la diplomatie française a perdu ses moyens comme le cap, faute d’un exécutif suffisamment au fait des réalités et de leurs finesses : « diplomatie française : le bateau ivre » (rubrique Humeurs).

En continuité d’une première partie de son étude consacrée à la guerre russo-ukrainienne, Jean-Claude Allard, parachève ici son analyse sur ce conflit qui témoigne d’une restructuration des rapports de force internationaux « La guerre en Ukraine : vers un nouvel ordre mondial ? » (rubrique Géopolitique).

Pierre Charrin a interviewé le général Dominique Trinquand qui nous livre son regard sur ce monde en ébullition, et lance en projection le monde de demain (rubrique Géopolitique).

En matière de question militaire, Océane Zubeldia, fait le point sur la situation de l’Intelligence artificielle au sein de l’industrie de défense, en France ; sujet particulièrement sensible compte tenu des enjeux qu’il soulève et des inquiétudes qu’il suscite : « L’intelligence artificielle dans l’industrie de défense en France » (rubrique Défense).

Enfin, André Dulou nous offre une nouvelle Revue d’actualité, dont les thèmes majeurs ne manquent pas.

Sur le plan des nouvelles publications, Pierre Charrin met en avant l’ouvrage de Dominique Trinquand, Ce qui nous attend. L’effet papillon des conflits mondiaux, paru aux éditions Robert Laffont. Vous en trouverez la recension dans la rubrique Livres.

Bonne lecture

(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF.
Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF.