FRANCE ET RUSSIE :
VERS UN RAPPROCHEMENT
par le Club des vingt (*)
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La Russie de Poutine se veut à la fois l’héritière d’un grand passé et un pays moderne. La France aussi. La situation internationale, en raison des choix politiques et économiques de Washington, conduit nombre d’analystes à promouvoir un rapprochement entre ces deux pays. Le Club des Vingt nous fait part de son approche de la question.
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La Russie n’est pas l’Union soviétique. Sa population est de 145 millions d’habitants, soit moins que les populations allemande et française réunies. Elle demeure un acteur important de la vie internationale. Mais elle n’est plus l’une des deux puissances dominantes. Dans un monde devenu de plus en plus pluriel, elle n’a plus de véritables alliés, ni de satellites.
La Russie de Poutine
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Dès
son accession au pouvoir, Poutine s’est employé à remettre de l’ordre dans une
Russie qu’Eltsine avait débarrassé du communisme au prix du chaos. Il a mis en
place une structure administrative permettant de gouverner un pays s’étendant
sur onze fuseaux horaires. Il a institué un système politique s’imposant à toutes les Régions
russes, mais qui connait une dérive autoritaire.
Poutine est conscient du fait qu’une plus grande attention doit être portée à
l’économie. Russe. Elle doit être une économie de marché à l’instar de celles
de l’ensemble du monde. L’Etat toutefois en est le moteur et les entreprises
stratégiques, en particulier énergétiques, doivent en relever. Poutine
considère que « l’on ne doit pas
dépenser plus que l’on a encaissé ». Le budget doit donc être
équilibré et, lorsque la situation internationale le déséquilibre brutalement,
des mesures drastiques sont prises pour y remédier. La dette extérieure
est faible et la politique de la Banque Centrale est prudente.
L’économie russe, encore peu diversifiée, continue d’être principalement fondée
sur les hydrocarbures, dont elle subit pleinement les variations de cours.
Malgré plusieurs tentatives pour y remédier, les infrastructures demeurent
obsolètes ; Poutine a lancé, en 2018, douze programmes nationaux de grande
ampleur à partir du numérique. Sauf dans le domaine militaire et dans quelques
secteurs de pointe, les industries restent en retard.
Seule exception, l’agriculture où une compétitivité accrue et une plus grande
intégration ont fait de la Russie le premier exportateur de blé devant les
Etats-Unis.
Pendant
les deux premiers mandats présidentiels de Poutine, la majorité de la
population a paru se satisfaire de la croissance économique et d’une stabilité
recouvrée. Mais la crise de 2008 a fait entrer l’économie russe dans une
période d’instabilité, aggravée par les répercussions
des désordres internationaux. On a constaté alors une diminution des revenus
des ménages et une poussée du chômage. Les sanctions occidentales prises en
2014 en relation avec la Crimée, mais surtout la chute simultanée du prix du
pétrole, ont entrainé l’effondrement du
rouble. Le pouvoir d’achat a baissé, aggravé en 2018 par une hausse de deux
points de la TVA, ainsi que par une réforme impopulaire du régime des
retraites. Le mécontentement s’est répandu dans l’opinion. L’avenir politique est devenu plus
incertain.
Poutine a annoncé qu’il ne se
représenterait pas pour un cinquième
mandat. Il esquisse un nouveau régime politique dans lequel le Parlement aurait
davantage de pouvoir, mais où son propre rôle n’apparaît pas encore clairement.
Sur l’échiquier international
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Dans
le domaine international, la Russie doit faire face à un monde de plus en plus
éclaté, avec une Europe divisée, des Etats-Unis jouant de plus en plus
« US first » et une Chine aux ambitions croissantes. Elle a cherché,
mais sans aboutir à des résultats évidents, à renforcer sa coopération
structurelle (CEI, UEE) avec des pays ayant appartenu à l’URSS.Poutine aurait souhaité, dès sa première présidence, se rapprocher de
l’Union Européenne, mais celle-ci, sous la pression de ses membres de l’Est et
des Etats-Unis, n’a pas répondu à son attente. Poutine a donc déclaré, à partir
de son second mandat, qu’il ne prendrait en compte que les intérêts russes.
Deux affaires ont marqué ses présidences suivantes : le conflit ukrainien
et la crise syrienne.
L’Union Européenne avait proposé à l’Ukraine un large accord de coopération
sans se préoccuper des réactions probables de Poutine. Il en est résulté un long
conflit entre Kiev et la région russophone du Donbass soutenue par Moscou. De
multiples réunions, entre la France, l’Allemagne, la Russie et l’Ukraine
(notamment en format Normandie à l’initiative de la France), se sont ensuite
succédé pour élaborer un plan de paix dans le Donbass. La venue au pouvoir du
nouveau Président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a permis de renouer des contacts entre
protagonistes. Mais il est trop tôt pour dire s’ils pourront aboutir à une
solution du type Minsk fondée sur l’unité de l’Ukraine et une large autonomie
pour le Donbass. Le règlement du conflit posera le problème de la levée des
sanctions européennes (les Américains feront tout pour éviter cette levée).
Au Moyen-Orient, la Russie cherche à retrouver des positions stratégiques
qu’elle y avait autrefois. Aidée, dans une certaine mesure, par l’Iran et la Turquie,
elle est indispensable en Syrie pour trouver une solution, mais elle n’a pas à
elle seule la capacité de l’imposer.
Entre Chine et Etats-Unis
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Pendant la Guerre Froide, les Etats-Unis étaient le seul partenaire stratégique de l’URSS. Les américains estiment ne plus avoir de raison de reconnaître aujourd’hui un tel statut à la Russie. Ils ne trouvent plus d’intérêt réel aux grandes négociations stratégiques bilatérales qui n’aboutissent qu’à restreindre leur liberté de manœuvre, à un moment où la Russie n’hésite pas à manifester sa capacité de nuisance, et où il existe une réelle incertitude sur ses objectifs stratégiques à long terme. A un moment aussi où d’autres acteurs, comme la Chine, commencent à se montrer menaçants.
Les Etats-Unis sont sortis, dès 2002, du Traité ABM pour pouvoir déployer des boucliers anti-missiles, notamment dans le cadre de l’OTAN en Europe. Dès lors, la parité de la dissuasion nucléaire a été gravement affectée. C’est la raison pour laquelle la Russie vient de déployer son premier régiment de missiles hypersoniques Avangard qui pourraient atteindre la vitesse de 33 000 km/h.
La Russie et la Chine se sont probablement dotées de nouvelles armes très performantes. Les Etats-Unis ont fait passer leur budget de défense à 750 milliards de dollars en 2020, un record, soit quinze fois le montant officiel du budget russe de défense. Le budget chinois est environ de 160 milliards de dollars.
D’autre part, une sixième branche de l’armée américaine consacrée à la guerre spatiale a été mise sur pied. Il s’agit de s’assurer la maîtrise de l’espace, quitte à engager une nouvelle « guerre des étoiles ».
Vladimir Poutine a demandé au Président américain, le 16 juillet 2018 à Helsinki, l’ouverture d’une négociation pour définir le régime nucléaire et balistique à mettre en place à partir de 2021, date d’échéance du Traité de réduction des armes stratégiques (New Start). Il n’a, semble-t-il, pas reçu de réponse claire de Donald Trump.
Les Etats-Unis ont dénoncé en 2019 le Traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI). Le conseiller à la Sécurité, John Bolton, s’est d’ailleurs rendu à Moscou pour s’en expliquer avec le Président russe.
La Russie et la Chine développent un partenariat de grande ampleur dans les domaines les plus variés. Mais à terme, celui risque d’être déséquilibré. La Russie est le pays le plus vaste du monde, avec 17 millions de km2, mais il n’est peuplée que de 145 millions d’habitants (sans la Crimée), surtout concentrés à l’ouest de l’Oural. Elle partage une frontière de 4 250 km, complètement stabilisée depuis l’accord de 2004, avec une Chine peuplée de 1,4 milliards d’habitants. Ces déséquilibres démographiques tendent à s’accroître. En outre, évidemment intéressée par les richesses naturelles d’une Sibérie presque vide d’habitants, la Chine constitue en elle-même une menace potentielle à long terme.
Certes, le risque de conflit ouvert le long du fleuve Amour n’existe plus, car la Chine s’est fixé des objectifs « pacifiques » d’affirmation de sa puissance par la croissance économique. Son PNB est d’ores et déjà le deuxième du monde et elle poursuit patiemment le tissage de ses « nouvelles routes de la soie » à travers le monde (« Belt and Road Initiative »). Elle le fait notamment dans les cinq pays d’Asie centrale qui faisaient auparavant partie de l’Union soviétique et qui ont aujourd’hui la Chine pour principal partenaire économique.
La Chine mise délibérément sur la projection de puissance par le développement économique, alors que la Russie continue de mettre l’accent sur des accords de défense militaire.
Le monde est devenu fragmenté et divers, il n’y a plus de repères généraux. Les Etats-Unis considèrent la Russie comme une puissance régionale dotée d’une forte capacité de nuisance, qu’il faut sanctionner à chaque occasion, et la Chine y déploie toutes ses capacités de séduction au service de ses ambitions. La Russie demeure un des grands protagonistes de la scène internationale, mais elle n’a plus la capacité d’en être un acteur toujours déterminant. Il lui reste à définir sa place face à un avenir incertain.
France et Russie, face l’incertitude
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Comment ne pas constater qu’il en va de même pour la France. Il deviendra donc de plus en plus nécessaire pour les deux pays de se rapprocher dans une perspective à long terme et de se concerter systématiquement sur les grandes affaires internationales, y compris, mais pas seulement, pour la sécurité et l’équilibre de l’Europe.
Ces échanges ne porteront leur plein effet que s’ils sont étayés par des actions concrètes. Ce seront les visites de hautes personnalités, la célébration d’évènements communs. Les ministres des affaires étrangères et d’autres ministres devront se réunir régulièrement. Une intensification des échanges d’analyses devra aboutir à la détermination éventuelle d’actions communes au Conseil de Sécurité ou ailleurs.
Il faut en outre nourrir des coopérations sectorielles dans les domaines de l’agriculture (recherche agronomique et agriculture durable), de la lutte contre le réchauffement climatique. Des programmes conjoints de recherche devraient être mis en place, en particulier sur l’intelligence artificielle et la cybernétique.
A cela, il faudrait encore ajouter le rétablissement de séminaires intergouvernementaux franco-russes, favoriser la coopération décentralisée et élaborer un programme d’échanges de jeunes. Des relations durables et profondes ne pourront être établies que dans la multiplication des relations directes au niveau des sociétés civiles.
La France et la Russie ont intérêt à largement jouer ensemble leur avenir.
LE CLUB DES VINGT (*)
Des personnalités ayant exercé d’importantes responsabilités dans le domaine des relations internationales ont créé « le Club des vingt ». Libre d’attaches partisanes, le Club des vingt procède à des analyses de la situation internationale et publie des avis et des recommandations.
Francis GUTMANN -président du Club, Hervé de CHARETTE, Roland DUMAS (anciens ministres des Affaires Étrangères), Gabriel ROBIN (Ambassadeur de France), Général Henri BENTEGEAT, Bertrand BADIE (Professeur des Universités), Denis BAUCHARD, Claude BLANCHEMAISON, Hervé BOURGES, Jean-François COLOSIMO, Jean-Claude COUSSERAN, Dominique DAVID, Régis DEBRAY, Anne GAZEAU-SECRET, Jean-Louis GERGORIN, Renaud GIRARD, Bernard MIYET, François NICOULLAUD, Jean-Michel SEVERINO, Pierre-Jean VANDOORNE
Toutes les Lettres d’Information du Club des Vingt, depuis la première, peuvent être consultées sur le site : https://clubdesvingt.home.blog
NOTA :
ESPRITSURCOUF publie tous les mois les analyses du Club des Vingt
Bonne lecture et rendez-vous le 09 mars 2020
avec le n°133 d’ESPRITSURCOUF
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24 février 2020 at 10 h 29 min
Le Club des Vingt impressionne par la qualité de ses membres. Aussi pourrait-on s’attendre à quelques réflexions émanant des illustres partisans de la décolonisation (tout au moins quand il s’agit de la France) que sont Hervé Bourges et Bertrand Badie.
Est-il excessif de rappeler que la Russie est une grande puissance colonisatrice qui n’a pas été affectée par le mouvement post-deuxième guerre ? Mais ni sa démographie, ni son économie n’ont été à la hauteur de ses ambitions territoriales , d’où la nécessité d’une militarisation d’un niveau exceptionnel depuis l’URSS que Poutine a reprise à son compte. En la matière, vous êtes bien placés pour savoir que les budgets militaires affichés traduisent fort mal la réalité de la militarisation d’un pays. Quant aux valeurs du régime Poutine et les Droits de l’homme…
Maintenant, il a bien fallu s’allier avec Staline pour combattre le pire. Pour autant, rappeler quelques évidences de fond permettrait peut-être de tempérer l’enthousiasme poutinien d’une large part de nos élites.