La perte d’universalisme

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Pascal Le Pautremat
Rédacteur en chef d’Espritsurcouf

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Dans un entretien accordé à Laureline Dupont et Olivier Pérou, de L’Express, paru le 24 octobre 2023, Raphaël Gluksmann souligne pertinemment notre perte d’humanité et la défaite de l’universalisme face à la recrudescence de conflits meurtriers. Les fautes morales se combinent à l’absence de compassion sans condition ; en l’occurrence dans le cadre d’une nouvelle escalade dans l’horreur des tensions israélo-palestiniennes.

L’inaboutissement du projet initial de l’ONU, autant que l’enchevêtrement existentiel de deux peuples, qui traversent une nouvelle tragédie collective, viennent en effet démontrer, une fois encore, la fragmentation de l’Humanité.

Ramenée à l’échelle de notre propre pays, la cristallisation des postures met en lumière le jeu déstabilisateur d’une gauche radicale – elle-même pleine d’antagonismes internes – qui nie l’évidence ; à savoir l’existence de courants terroristes propalestiniens.

Le soutien au peuple palestinien viendrait-il gommer l’art et la manière de considérer la question politique, l’idée d’un Etat dédié à cette population tel que cela avait été préconisé par l’ONU en 1947 ? Tous les moyens sont-ils légitimables pour faire valoir une cause, au point de vouer une haine farouche à toute personne de religion hébraïque ?

Non, en aucune façon.

En retour, évidemment, l’Etat d’Israël ne risque pas d’appliquer une approche apaisée de la situation, face à un tel flot de haine intercontinentale qui prouve à quel point l’hostilité portée au monde hébraïque semble à nouveau s’afficher sans retenue.

Et cela ne peut être confondu avec la condamnation portée à l’égard de la politique de Benyamin Netanyahou faite de colonisation débridée, au cours de ses différents mandats de Premier ministre. Netanyahou, aujourd’hui, est de plus en plus critiqué en Israël, et même accusé d’avoir une lourde responsabilité dans la guerre actuelle, en ayant minimisé les mises en garde des services de renseignement quant à la réalité de la menace du Hamas.

Mais les Israéliens sont pragmatiques. Le temps est, pour l’instant, à la riposte et à l’attrition de la menace. Et cela prendra le temps qu’il faudra. Viendra ensuite le temps d’une commission d’enquête que l’on sait à chaque fois sans concession lorsque surviennent des failles dans la défense du territoire national, la gestion des opérations menées (comme pour celle de 2006 contre le Hezbollah au Sud-Liban) et la protection de ses populations. La politique sécuritaire prendra, par contre, toujours le pas sur le retour à la raison et à la table des négociations.

Mais, oui, hélas, la guerre, fléau immonde et protéiforme qui semble éternel, n’épargne pas les civils. De surcroît, dans la bande de Gaza tant l’imbrication entre population et forces paramilitaires y est considérablement élevée, surtout dans la moitié nord de la Bande de Gaza. Selon certaines sources israéliennes, le Hamas disposerait d’un réseau de quelque 500 km de tunnels, larges et bétonnés, situés à 70 mètres de profondeur. Tsahal tire donc des obus et missiles à fort pouvoir de pénétration et de destruction qui conduisent à la situation que l’on sait ; situation qui est loin de satisfaire les citoyens israéliens eux-mêmes.

En tout cas, c’est une nouvelle situation des plus tristes à laquelle nous assistons où l’empathie collective laisse le champ à une empathie sélective, selon les convictions communautaires ou politiques.

Et cela traduit bien un nouveau degré de naufrage de notre monde.

Comme l’affirme Raphaël Glucksmann : « Nous assistons aujourd’hui à la constitution de bulles cognitives, informationnelles et émotionnelles qui annihilent toute possibilité d’émotion commune à tous, condition de possibilité d’un débat politique commun. C’est la défaite de l’universalisme et de l’idée même de République qui se joue en ce moment. Qu’il s’agisse d’Israël, du Hamas, du pogrom du 7 octobre ou du calvaire des civils palestiniens à Gaza, nous voyons des mondes qui ne se touchent plus. […] »

En marge de la situation des plus graves qui règne donc au Moyen-Orient, tant le risque d’escalade interétatique se dissimule dans le brouillard de la guerre, Espritsurcouf, pour son numéro 224, vous propose d’abord un article Massimo Nava qui souligne une conjoncture propice à une nouvelle rupture entre pays occidentaux et pays dits du Sud : « La révolte du Sud contre l’Occident » (rubrique Humeurs).

L’Asie est, en outre, à l’honneur, avec Tom Dash qui apporte un éclairage sur les relations entre la Russie et la Corée du Nord, en pleine guerre russo-ukrainienne : « De Pyongyang à Moscou, le rapprochement russo-nord-coréen » (rubrique Géopolitique).

Les tensions internationales conduisent Vincent Gourvil à s’interroger, pour sa part, sur l’avenir d’une gestion collective des enjeux sécuritaires : « Quelle architecture de sécurité pour le XXI siècle ? » (rubrique Sécurité).

Alfred Marmus nous ramène à l’avant Seconde Guerre mondiale pour revisiter les relations entre Franco et Hitler, en soulevant une hypothèse : « Si Franco avait cédé à Hitler en 1940 » (rubrique Histoire).

Quant à André Dulou, il nous livre une nouvelle Revue d’actualité particulièrement riche, en insistant sur les dossiers conflictuels du moment, entre Europe orientale, Caucase et Proche-Orient, outre quelque regard sur les forces armées et les questions économiques autour des richesses minières et de la nouvelle route de la soie.

Enfin, nous attirons votre attention sur la parution du quatrième volume de la collection consacrée à l’histoire mondiale du Renseignement que dirige Eric Denécé, fondateur et Directeur du Centre français de recherche sur le Renseignement (CF2R) : Renseignement et espionnage pendant la Première Guerre mondiale, paru aux éditions Ellipses (576 pages, 29,50 €).

L’occasion de montrer combien la Grande Guerre fut propice à un développement conséquent, et sans précédent, des services de renseignement au sein de tous les pays engagés dans le conflit. On s’inscrit dans un processus massif d’industrialisation de la guerre, avec l’engagement d’effectifs pléthoriques sur divers théâtres d’opérations, terrestres (Europe de l’Ouest, Russie, Balkans, Afrique du Nord, Moyen-Orient) et maritimes, le tout dans un contexte où la logistique, le développement de nouvelles armes, sur fond de progrès techniques (aviation, radio et télégraphie) marquent un tournant. Les besoins en renseignement sont en effet considérables, tant au profit des décideurs politiques que des états-majors. L’ouvrage réunit ainsi des contributions consacrées aux appareils de renseignement français, britannique, allemand, italien, américain et turc, mais aussi de pays qui, bien que neutres (Irlande, Espagne, Japon, Chine, etc.), sont pris dans les tourbillons de la guerre. L’ouvrage met aussi en lumière les interceptions et la cryptographie, le renseignement aérien et économique, l’institutionnalisation de la propagande et de l’action psychologique. Le développement conséquent des opérations spéciales et des actions clandestines, sans oublier le rôle des femmes en la matière, parachève cette étude exhaustive.

 

Bonne lecture

 

(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF.
Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF.

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