Les ors
de la république

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Général Henri Bentégeat (*)
Ancien chef d’état-major des armées

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L’envie est venue au général Bentégeat, il y a trois ans, de raconter à ses enfants et petits-enfants l’expérience originale qu’il a vécue au tournant du siècle : sept ans de plongée dans les cercles du pouvoir au plus haut niveau. Ses affectations à l’état-major particulier du président de la République lui ont donné le privilège rare de servir directement deux Chefs d’État. Le sort a voulu qu’un éditeur ait eu vent de ce projet, et ait convaincu le général d’en faire un livre pour le public, afin de décrire la complexité des rapports entre les autorités politiques et les chefs militaires.
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Ces 7 années n’ont pas été les plus exaltantes de ma vie professionnelles. Spontanément, si on m’interrogeait, je citerais plutôt la période où je fus à Dakar un des lieutenants de Bigeard, on mon commandement d’un escadron de chars au Régiment de Marche du Tchad, ou encore les 4 années inoubliables au RICM  (régiment d’Infanterie Chars de Marine), ou enfin mes visites de Chef d’État-Major des Armées à nos forces en opérations extérieures…

Elles ne furent pas non plus les plus poignantes. Je ne suis pas encore remis de mes rencontres avec les familles de nos morts et avec nos blessés au combat.

Elles furent pourtant les plus excitantes. Vivre dans l’ombre de deux hommes d’État hors normes, quelque jugement qu’on puisse porter sur leur politique intérieure, comblait l’observateur attentif que j’étais.  Décrypter les jeux de cour et la comédie humaine à son paroxysme enchantait l’amoureux de Balzac et de Stendhal que je pensais être. Et surtout relever le formidable défi qui s’offrait à moi de faire entendre la voix des armées dans un univers indifférent ou hostile aiguillonnait chacune de mes démarches, donnait du sel à toute mon action.

Il était exclu que ce livre se transforme en manuel d’instruction sur les relations politico-militaires.

Raconter devait se suffire à lui-même pour l’édification de ceux que le sujet attirait. Je savais pourtant l’exercice risqué. Plusieurs m’avaient mis en garde : « vous serez critiqué par ceux que vous avez cités qui se jugeront mal servis, voire dénigrés. Vous le serez aussi par ceux que vous n’avez pas cités et qui se trouveront injustement négligés. Entre les déçus et les furieux, votre livre vous fera beaucoup d’ennemis ». Ceux qui me prêchaient la prudence n’avaient pas tort et mes oreilles sifflent déjà. Pourtant, je ne regrette pas d’avoir écrit ce livre, tant j’ai eu plaisir à faire revivre sous ma plume ces moments d’exception.

« Les Ors de la République » ne sont pas des Mémoires. Je ne suis ni de Gaulle, ni Foch. Je ne prétends pas non plus avoir fait œuvre de « mémorialiste », même si je me suis risqué à quelques portraits. Je n’ai ni le talent de Saint-Simon ou d’Éric Orsenna, ni la connaissance intime des acteurs et des enjeux d’un Hubert Védrine.  Mes « souvenirs », drôles ou pénibles, amusés ou exaspérés, parfois malicieux, reflètent en toute honnêteté ce que j’ai vu du pouvoir suprême, et ce que j’en ai compris. J’assume ma partialité en refusant de réécrire les notes que j’ai prises il y a vingt ans.

Le général Bentégeat aux côtés du Président
Chirac, lors d’un 14 juillet.
Photo DR

Quelles conclusions tirer aujourd’hui de cette expérience déjà ancienne ? La première est une admiration intacte pour les qualités d’hommes d’État de François Mitterrand et de Jacques Chirac. Il est de bon ton aujourd’hui de les brocarder pour n’avoir pas conduit les réformes dont notre pays a si besoin. Mon estime pour eux ne se place pas sur ce terrain. J’ai aimé, chez l’un et l’autre, un patriotisme profond, un amour immodéré pour la France et une volonté farouche de lui voir jouer un rôle conforme à son histoire dans le concert des nations et le désordre du monde.

J’ai admiré l’immense culture historique et littéraire de Mitterrand et sa dignité dans la souffrance. J’ai aimé le pragmatisme de Chirac, sa capacité à décider dans l’urgence et l’incertitude, sa formidable empathie pour les humbles et son charisme souriant et exigeant. Tous les deux ont assumé sans faiblesse l’héritage du général de Gaulle. Chirac avait cependant une qualité que n’avait pas son prédécesseur, il comprenait la guerre et la gérait avec une aisance impressionnante, fondée sur l’expérience et l’affection qu’il portait aux armées.

Ma deuxième conclusion est le rôle central de « chef des armées » dans la définition des responsabilités du président de la République. C’est une évidence aux Etats-Unis où on rappelle avant chaque élection qu’il est le « commandant en chef de armées américaines. En France, on minimise volontiers cette fonction, au point que la défense n’est jamais un thème de débat entre candidats. Consensus ou indifférence, on en vient à oublier l’écrasante responsabilité de celui qui détient un pouvoir de vie et de mort sur la nation et ses serviteurs. Sans doute nos compatriotes ont-ils rejeté l’idée que « l’Histoire est tragique », comme disait Raymond Aron.

Ma troisième conclusion me pousse à rectifier les idées reçues sur quelques grands dossiers que j’ai eu à traiter. Non, la France n’a pas été complice du génocide rwandais. Elle a commis des erreurs, n’a pas anticipé le drame, mais Mitterrand a toujours cherché une solution politique à l’affrontement entre Hutus et Tutsis et a forcé la main du président rwandais dans cet espoir.

Non, Chirac n’a pas joué les jeux troubles de la Françafrique. Très réticent aux interventions militaires sur ce continent, il ne s’y est résolu qu’à contrecœur pour protéger nos ressortissants et en concertation avec l’Union Africaine.

Non, le refus français de participer à la guerre d’Irak n’a pas été motivé par l’antiaméricanisme ou le pacifisme. Chirac avait compris la folie de l’entreprise et s’y est opposé les yeux grands ouverts.

Non, enfin, l’Europe de la défense n’a pas été conçue comme une machine de guerre contre l’OTAN, ni comme un support à l’Europe fédérale.  Ce fut une tentative pragmatique pour donner aux Européens la capacité d’agir par eux-mêmes quand les Etats-Unis ne se mobilisaient pas face à des menaces pour notre sécurité.

D’ores et déjà, mon premier objectif est atteint. Mes enfants ont enfin compris ce que faisait leur père dans un temps où il était si peu disponible pour eux.

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(*) Henri Bentégeat est Saint-Cyrien de la promotion 1965-1967 « Lieutenant-colonel Driant », diplômé de l’École de guerre et de Sciences Po Paris. Parmi ses nombreuses affectations  (22 déménagements), Il sert comme chef de peloton au 43e RBIMa, il commande le 3eme escadron du RMT, il est le chef de corps du RICM de 1988 à 1990, avant d’être Attaché de Défense adjoint à Washington et Commandant Supérieur aux Antilles. Adjoint du chef de l’état-major particulier de François Mitterrand, puis de Jacques Chirac (1993-1996), il est nommé en 1999 chef de l’état-major particulier du Président Chirac. Il devient chef d’état-major des armées (CEMA) de 2002 à 2006. Il a ainsi piloté l’armée durant les événements de Côte d’Ivoire et d4fghanistan.  Du 6 novembre 2006 au 6 novembre 2009, il a dirigé le comité militaire de l’Union européenne (UE).
Le général Bentégeat a publié « Le pouvoir face à la guerre. La métamorphose suprême, de chef d’État en chef des armées », dont l’’analyse est parue dans “LIVRES” d’ESPRITSURCOUF n°97 – 04 mars 2019. Il vient de publier « LES ORS DE LA REPUBLIQUE », présenté dans la Rubrique LIVRES de ce numéro 159.

Bonne lecture et rendez-vous le 22 mars 2021
avec le n°160

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