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CRIMINALITÉ :
SIX QUESTIONS, UN BILAN

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;.Xavier Raufer (*)
Criminologue

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La criminalité est son domaine. L’auteur en dresse ici un bilan sur les vingt premières années du XXIème siècle. La société a changé, la criminalité aussi, en parallèle. Il en distingue six caractères, qu’il nous présente ici sous forme de questions-réponses.

Quels contours a pris la criminalité en France, ces vingt dernières années ?

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Il n’existe pas UNE criminalité, mais plusieurs : l’une dite « de voie publique », la plus in­quié­tante pour la population, d’autres plus spécifiques, affectant le monde financier, l’environ­nement, l’univers numérique, etc.

Pour les infractions de voie publique (effrac­tions, agressions, braquages, vols multiples, pillage par bandes, etc…)  le phénomène ma­jeur est que désormais, des étrangers issus du monde entier et des immigrés (ou des­cendants directs) en forment l’écrasante majo­rité. Les récents rapports du SIRASCO (Po­lice judiciaire – Service d’information, de rensei­gne­ment et d’analyse stratégique sur le crime organisé) présentent en détail (origine, infrac­tions, implantation,…) toutes les enti­tés criminelles actives en France. Or dans ce texte de 250 pages, les seuls bandits français émergeant d’une marée d’étran­gers ou descen­dants, sont des Corses de Marseille, évoqués en un maigre para­graphe… Diagnostic con­firmé par le rapport annuel du rensei­gnement criminel-gendar­merie.

Enfin, l’Office des stupéfiants a sa liste des caïds de la drogue en France : sur les dix prin­ci­paux, neuf Maghrébins et un Caribéen. Pour le dire autrement, si dispa­raissait soudain cette crimi­nalité allogène, le personnel policier voué à réprimer le crime serait sans dom­mage rem­placé par quelques gardes champêtres…

A-t-elle significativement augmenté ?

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Comme la population française augmente en général, sa part criminelle aussi ; avec, dans ses rangs, l’indéniable « grand remplacement » des bandits, signalé par le ministère de l’Intérieur lui-même. Le « milieu » parisien, nordiste, lyonnais, stéphanois, etc. a presque dis­paru, au profit des étrangers ci-dessus évoqués, recrutés et retranchés dans ces zones hors-contrôle, ou « territoires perdus de la République », que nos successifs mi­nistres pré­ten­dent inexistants, en dépit du plus élémen­taire réalisme.

Cela dit, la crimi­nalité finan­cière, les atteintes à l’environnement, le cyber-crime, ont pour nuisibles des individus bien moins « issus de la diversité » que le crime de voie publique.

Les hackers sont-ils  des criminels d’un genre nouveau ou des gangsters qui ont évolué ? Photo Pixabay

On lie souvent criminalité et trafics. Qu’en est-il sur la période 2001-2021 ?

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Le crime organisé ne fait que trafiquer ! Les criminels sont des prédateurs opportu­nistes : par un simple calcul coût/bénéfice (ce que je gagne, ce que je risque) ils arbi­trent entre les stupéfiants, les êtres humains, les armes, la contrebande-contrefaçon, etc., se­lon leur flair, leur implantation, leurs compétences et leurs complicités. C’est différent pour les ma­fias, les vraies, leurs règles et codes rigides devant être respectés sous peine de mort. Cosa nostra par exemple (la mafia de Sicile), proscrit le proxénétisme à ses affi­liés ; mais pas la Camorra (Campanie, Naples) ou la Ndrangheta (Calabre).

Depuis les émeutes de 2005, la droite française fantasme sur « l’ex­plosion des banlieues ». Or la génération de 2005 a 15 ans de plus, et toujours pas d’explosion. Comment analyser cette peur des deux der­nières décennies ?

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Après 1962, la France a occulté le souvenir de pénibles guerres coloniales menées sans grand appétit : les Français sont passés à autre chose. Dans la conscience collec­tive, res­tait cependant le souvenir d’une entité hostile organisée : la wilaya-France du FLN algé­rien, ses attentats en métropole, ses homicides communautaires, etc. Quand les vio­lentes émeutes de fin octobre 2005 ont soudain éclaté, des médias pressés et un public inquiet ont « prolongé les courbes ». Or, aux anti­podes des péripéties FLN-MNA de 1955-1960, ces émeutes de 2005 émanaient de bandes juvéniles agis­sant cha­cune dans leur coin, ri­vales, voire ennemies des gangs voisins, pour des points de deal de drogue, des rixes pas­sées, des haines de caïds, etc. Fantasmer que ces bandes forme­raient une sorte de néo-FLN assaillant la métropole était inepte : rien de tel n’est ad­venu.

Comment a évolué le phénomène mafieux en France depuis 20 ans ? Est-il toujours im­portant ou dépassé par d’autres mafias étrangères ?

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Comme déjà dit, en France et de la base au sommet, la délinquance ou la crimi­nalité de  voie publique sont massivement le fait d’étrangers, d’immigrés ou de leurs descendants. La question interroge plutôt sur l’usage du mot « mafia » par des médias. Alors que ce terme, au sens criminologique précis, désigne une « aristocratie » criminelle très redoutable, apparue dans moins de dix pays au monde, ces médias mettent, par sensationnalisme, le mot « mafia » à toutes les sauces : « la mafia des ordures », lisait-on ainsi récemment.

Photo Pixabay

Un tel cafouillis séman­tique pro­voque confusions et erreurs de diagnostic. Que di­rait-on d’un méde­cin nom­mant cancer un panaris, ou l’inverse ? Or de même, le mé­susage du mot mafia est lourd de conséquences négatives, d’abord, pour les po­pulations portant ce gravissime poids criminel.

Qu’est-ce qu’une vraie mafia, alors ? Une entité séculaire où l’on entre par initiation, fon­dée sur le triptyque intimidation-omerta-soumission. En février 2012, la Revue d’His­toire des Religions définit parfaitement Cosa nostra de Sicile : « Société secrète dépour­vue de statuts et de listes d’appartenance, disciplinée par des règles transmises orale­ment. Au sein de Cosa nostra, seule la parole donnée, la « parole d’honneur » engage à vie ». Et quelle pérennité ! Le 2e repenti de Cosa nostra se présente ainsi au juge Fal­cone : « Je suis Salva­tore Contorno, Homme d’Honneur de la 7e géné­ration, dans la fa­mille de Santa Maria di Gesù » (Palerme). Hors des sept ou huit ma­fias du monde, quelqu’un a-t-il vu des criminels de père en fils, en ligne directe, depuis deux siècles ?

Enfin, les vraies mafias sont quasi-indé­racinables : Cosa nos­tra a traversé vingt ans de fas­cisme ; les grandes Tria­des chi­noises, soixante-dix ans de commu­nisme, dont dix d’une “Révolu­tion cultu­relle” qui fit des di­zaines de millions de vic­ti­mes. Toutes ont survécu. Tout le reste, y compris la fictive « mafia russe », ne sont que des bandes ou des gangs, dont au­cun n’a jamais dépassé la première génération.

Le terme étant proprement posé, je réponds : il n’y a pas, il n’y a jamais eu et il n’y aura ja­mais de mafia en France. Des cellules mafieuses italiennes en PACA ; alba­naises près de la Suisse (où elles sont très présentes) ; des ma­fieux turcs dans les milieux nationa­listes-pantouraniens (« Loups griss ») : ça oui, mais une mafia autochtone, nulle­ment.

L’appréhension du crime par les forces de police a-t-elle aussi évolué?

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Côté appréhension des phénomènes criminels (ou terroristes), la police française en est restée aux méthodes de 1950. Elle ne dispose d’aucun dispositif d’alerte sérieux, elle ne voit pour l’essentiel rien venir à temps (c’est à dire, pour pouvoir intervenir précocement). Elle en reste à la bonne vieille police de papa : commission d’une infraction, enquête, inter­pellation et déferrement. Et on recommence sur l’individu ou la bande suivants.

Photo Pixabay

Or depuis la décennie 1990, pour tout problème de sécurité-souveraineté, la hantise su­prême de tout gouvernant est le choc stratégique. Exemple illustre : les at­taques du 11 septembre 2001 sur New York et Washington, que nul n’a prévues, voire ima­ginées, at­taques ayant frappé l’Amérique si fort qu’à ce jour elle ne s’en est pas re­mise.

Dans un autre domaine, la pandémie COVID 19 ne fut pas plus anticipée. Le 26 février 2020, une éminence du ministère de l’Intérieur m’avertissait ainsi de ce qu’il venait d’ap­prendre : « Bientôt débute une pandémie hors-contrôle, qu’on ne sait ni arrêter, ni soi­gner ». En un éclair, le 16 mars, deux semaines après, nous étions confinés.

Cette faible réactivité n’incombe pas à la police mais aux récents ministres de l’Inté­rieur. Comment ont-ils pu supporter, sans virer des inca­pables au sommet puis réformer les structures eu cause, qu’après Merah et les atten­tats du printemps 2012, il ait fallu cinq ans pour que les instances de l’État réalisent le péril des hybrides crime-terrorisme (tous les Abdeslam, les Kouachi, etc. en sont). Com­ment le phénomène largement crimi­nel des « Mineurs non accompagnés », réel proxénétisme du vol frappant de jeunes mi­grants, peut-il déferler sur la France depuis 2016 sans que, depuis lors, on n’y fasse rien, saut gas­piller des milliards d’euros à nourrir et loger des pillards ?

Telle est le principal problème de police de la France, en 2021. Il lui faut délaisser le ré­ac­tif pour le proactif. À sa tête, il faut un Clémenceau : les bandits circulant désormais en auto, il crée les brigades motorisées pour les affronter.

Le problème crucial de la dé­cen­nie 2021 n’est plus, comme en 1900, de maîtriser L’ESPACE, mais le TEMPS. Entre deux shows à usage médiatique, le ministère de l’Intérieur devrait le réali­ser.

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(*) Xavier Raufer, criminologue, est directeur d’études au pôle sécurité-défense du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il est Professeur associé à l’institut de recherche sur le terrorisme de l’université Fu Dan à Shanghaï, en Chine, et au centre de lutte contre le terrorisme, la criminalité transnationale et la corruption de l’Université Georges Mason (Washington DC). Directeur de collection au CNRS-Editions, il est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la criminalité et au terrorisme, répertoriés dans la rubrique LIVREd’ESPRITSURCOUF.

Il a écrit  “A qui profite le djihad ?”  publié en mars 2021 aux Éditions Cerf, et présenté dans la rubrique LIVRES dans le numéro 164.


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