Le transgenrisme
à l’étude
K
Paule Nathan
Docteur en médecine
Karine Vuillemin
Docteur en droit
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Les auteurs font le point sur le courant wokiste et proposent une approche conceptuelle du transgenrisme, sujet sensible comme chacun sait.
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Le transgenrisme est la liberté d’adopter le genre que l’on veut, que l’on ressent. A ce jour, il s’inscrit dans un mouvement plus global venu des Etats-Unis : le wokisme. Ce mot, apparu après l’abolition de l’esclavage, désignait pour les gens de couleur l’éveil de la conscience aux problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale. Récupéré depuis, au nom de la défense de minorités, il s’appuie sur une pensée qui déconstruit les fondamentaux de la société, remettant en cause l’identité de chacun, basée sur l’origine, le genre ou la sexualité. Il en résulte une cacophonie de néologismes imposés à la société. Cette idéologie clivante désigne cis-genre les personnes dont l’identité de genre correspond à leur sexe de naissance, par opposition à trans-genre.
DE LA FLUIDITE DU GENRE AU TRANGERISME
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Le journaliste Denis LAFAY, dans un article intitulé « Culture woke : un péril civilisationnel » (cf La Tribune du 6 janvier 2022) pose la question qui transcende notre société en la fracturant dans ses réponses : Comment honorer la reconnaissance et les causes légitimes des minorités sans discréditer celles, tout aussi légitimes, de la majorité ? Immense interrogation qui percute notre société – et par incidence l’entreprise – sur des sujets aussi cardinaux que le genre, l’origine ethnique ou sociale, la place des femmes, les pratiques de consommation, l’histoire, ou l’enjeu environnemental.
Un constat : la société a changé, les Français sont plus riches, mieux soignés, plus diplômés et plus urbains qu’au début du XXe siècle. Simone de Beauvoir, en écrivant qu’ « on ne naît pas femme mais qu’on le devient », ne pouvait sans doute pas imaginer qu’au XXIè siècle le sujet ne serait plus celui du deuxième sexe mais bien du troisième, avec paradoxalement la redéfinition infinie du genre.
Des philosophes ne rejettent pas en bloc le wokisme mais ses dérives sectaires et dictatoriales. Pour Jean-François Braunstein, plus qu’une simple vague de folie passagère ou un snobisme intellectuel, le wokisme est un authentique fanatisme avec ses adeptes profondément intolérants, déguisant des opinions en science et se croyant tenus d’endoctriner (cf Nora Bussigny. L’enquête d’une infiltrée en terres wokes. Ed. Albin Michel 2023).
Pour lui, c’est par paresse intellectuelle que des universitaires adoptent aveuglément des concepts façonnés pour ne pas « offenser » les victimes de toutes les discriminations qu’ils étudient. Les hommes peuvent ainsi être enceints et les femmes dotées de pénis, puisqu’il ne faut surtout pas froisser les personnes transgenres.
Le wokisme n’est ni de droite ni de gauche mais empêche de penser par soi-même . Il risque de créer « une société de mangeurs de vent » telle que décrite par Boris Cyrulnik dont le danger est l’embrigadement par opposition à une pensée libre et dotée de discernement.
Pour l’américaino-allemande, Susan Neiman, qui se revendique socialiste, le wokisme est un courant de pensée qui sape volontairement l’universalisme et le progrès moral[1]. Quant à Nicolas Trong, journaliste de gauche, il explique que le wokisme « désigne à la fois l’écriture inclusive, les déboulonnages de statues, des protestations justifiées et des dénonciations abusives « (cf Le « wokisme », déconstruction d’une obsession française – Nicolas Truong, Le Monde 23 juin 2023.)
Ce magma d’idées « woke », récupérant tout, en prônant la défense de minorités, y compris dans la sphère privée de la vie et de la sexualité des personnes, heurte frontalement et violemment la pensée des Lumières dont sont issues la tolérance, la liberté et l’égalité.
Ciment de notre société, ces valeurs s’appuient sur les droits naturels et la séparation des pouvoirs. Or, la multiplication des adeptes de la théorie du genre complique les liens familiaux, impactant plus fortement les enfants de parents qui se définissent comme transgenres ou sans genre, par rapport à ceux dont les parents sont clairement transsexuels ou homosexuels.
Les liens sociétaux sont aussi perturbés par l’emploi de vocabulaire dédié comme Allié(e) se dit de personnes non LGBTIQ+ mais reconnues par eux comme défenseurs de la cause. Toutes les autres sont donc des ennemies ? une préfiguration des Trans contre les Cis ?
[1]« Left is Not Woke qu’on peut traduire par « La gauche n’est pas le woke », son dernier livre sorti chez Polity en 2023. Susan Neiman est l’auteure d’ouvrages faisant le lien entre la philosophie morale des Lumières, la métaphysique et la politique, destinés aussi bien au public universitaire qu’au grand public.
DE L’IDENTITE A L’IDENTITE DE GENRE
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L’article 57 al.1 du code civil, dispose: « L’acte de naissance énoncera le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’enfant, les prénoms qui lui seront donnés, le nom de famille …» Rédigé par l’officier de l’état civil, il identifie un être humain dès sa naissance d’après des constatations, ce qui lui confère des droits et des devoirs.
A côté de cette identité civile se construit la personnalité de la naissance à la mort. Jean-François Gravouil[1] explique comment l’individuation et la socialisation combinées sont décisives dans la possibilité d’exister par soi-même ou, au contraire, dans le besoin d’aller chercher une identité d’emprunt dans des appartenances sociales aliénantes, qu’elles soient religieuses, politiques, associatives ou, plus radicalement, sectaires ou extrémistes. Mais tous les investissements sociaux ne sont pas aliénés, ils sont souvent en cohérence avec une personnalité construite et mature. (J-F. Gravouil. « L’identité : une construction relationnelle ». Cahiers de Gestalt-thérapie 2015/2 (N° 35).
L’identité civile désigne donc les valeurs et les normes dans lesquelles chaque personne se reconnaît en tant que sujet mais aussi ce qui permet aux autres de le reconnaître (M. Quilliou-Rioual. Identité de genre et intervention sociale. DUNOD, 2014, p. 27), alors que le genre est une construction intellectuelle. « Le genre est très personnel et propre à chaque individu : certaines personnes reconnaissent leur identité de genre dès l’enfance, d’autres seulement plus tard »(cf Portail du Conseil de l’Europe).
« L’identité de genre est le sentiment subjectif d’appartenir à un sexe; c’est-à-dire, le fait de se considérer comme un homme, une femme, un transgenre ou tout autre terme identifiant (p. ex., genderqueer, non binaire, agender c’est à dire une identité de genre non normative et non binaire » (Revue générale de la sexualité, Sexe genre et identité, G. R. Brown, MD, East Tennessee State University)
En 2017, la Cour de cassation a rejeté la demande d’un individu de se voir substituer à sexe masculin sur son état civil un sexe neutre ou à défaut intersexe, rappelant que « Si l’identité sexuelle relève de la sphère protégée par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l’état civil poursuit un but légitime en ce qu’elle est nécessaire à l’organisation sociale et juridique, dont elle constitue et élément fondateur ; (…) la reconnaissance par le juge d’un « sexe neutre » aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de profondes modifications législatives de coordinations ». On peut se demander qui aurait intérêt à ruiner notre système juridique et notre organisation sociale.
DE L’IDENTITE SEXUELLE A L’AUTO-IDENTIFICATION
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Tout être humain naît mâle ou femelle, XX ou XY, le sexe féminin ou masculin étant constaté à la naissance au vu des organes génitaux externes (OGE) comme élément factuel d’identification de la personne. S’il existe de rares pathologies du développement anormal des OGE, celles-ci regroupent des causes très diverses : génétiques, hormonales, etc. qui n’ont rien à voir avec des troubles de la santé sexuelle.
La souffrance réelle de l’adulte transsexuel
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Dans une communication, adoptée en juin 1982 par l’Académie de médecine, le Professeur KUSS a créé le mot et définit ainsi le transsexualisme: il se caractérise par « le sentiment profond et inébranlable d’appartenir au sexe opposé à celui qui est génétiquement, anatomiquement et juridiquement le sien, accompagné du besoin intense et constant de changer de sexe et d’état civil ».
Le transsexuel se distingue de l’intersexuel, dont le sexe est ambigu anatomiquement et physiologiquement. Il se différencie aussi de l’homosexuel et du travesti qui ont l’un et l’autre conscience d’appartenir à leur sexe et ne souhaitent pas à en changer.
« Poser le diagnostic du transsexualisme, et partant, décider en tant que médecin de chercher à y répondre par un traitement hormonal et chirurgical, est une décision très grave et lourde de conséquences, qui nécessite la plus grande prudence et le respect des normes applicables » (Aspects juridiques de la chirurgie du changement de sexe. 22/06/2000. Direction des Affaires Juridique de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris.)
Au nom du principe d’indisponibilité de l’état des personnes, la Cour de cassation s’est d’abord opposée aux demandes de changement de sexe sur l’état civil des transsexuels (v. arrêts du 16 déc.1975 et 21mai 1990). Après un arrêt du 25 mars 1992 de la CourEDH condamnant la France pour violation de l’article 8 de la ConventionEDH, la Haute Cour a admis que « lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical, suivi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme, ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence. Le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes ne fait pas obstacle à une telle modification » (Cass. Ass. Plén. 11 déc.1992,M. X, M. Y, Bull. n° 13 p. 27).
Suite au rapport en 2009 de M. Hammarberg, commissaire aux droits de l’homme près le Conseil de l’Europe, recommandant d’ « instaurer des procédures rapides et transparentes de changement de nom et de sexe sur les extraits d’acte de naissance, cartes d’identité, passeports, diplômes et autres documents officiels », une circulaire du ministère de la Justice du 14 mai 2010 (circ. DACS, n° CIV/07/10) appela le ministère public à donner un avis favorable aux demandes de changement d’état civil sans exiger ni expertise judiciaire ni ablation des organes génitaux, pourvu que fussent démontrées la réalité du transsexualisme et l’irréversibilité des effets des traitements hormonaux pratiqués.
Qu’en est -il dans les pays musulmans ?
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Le juriste sunnite doit identifier l’identité sexuée d’une personne, la femme ne bénéficiant pas des mêmes droits que l’homme.
« Si l’islam sunnite interdit les opérations de changement de sexe, elles sont licites en islam shiite. En 1976, le Conseil médical iranien limitait cette chirurgie aux intersexes, avant que la chirurgie sexuelle ne soit autorisée pour les transsexuels en 1982, suite à une fatwā du Guide suprême de l’Iran, l’ayatollah Khomeini (1902-1989), émise en réponse à la demande d’une femme trans »: Maryam Khatoun Molkhara . Celle-ci lui écrivit en expliquant sa condition de femme emprisonnée dans un corps d’homme. Elle lui demanda d’autoriser l’opération de changement de sexe, ce qu’il fit par une lettre devenue fatwā : Il n’y a pas d’obstacle en islam à la chirurgie de changement de sexe, si elle est approuvée par un docteur digne de confiance, opération qui fut rendue possible en 1984 par les instances médicales iraniennes. Obéissant à un protocole médical et psychiatrique qui aboutit au changement d’état civil, les opérations sont prises en charge par le gouvernement iranien. La légalité de la transsexualité pousse des gays efféminés et lesbiennes butsh à devenir trans. Un certificat médical doit alors attester de leur transition et servir de document légal en cas de contrôle policier. Si son obtention prévoit le recours à la chirurgie sexuelle, celle-ci n’est pas systématiquement pratiquée comme l’explique Afsaneh Najmabadi : « Les autorités juridiques et religieuses savent très bien que beaucoup de personnes certifiées trans transforment très peu leur corps […] une fois qu’elles ont obtenu leur certificat, elles prennent tout au plus des hormones » (Corinne Fortier dans son article Third Gender and Transsexuality in Islamic Countries). On peut y voir la reconnaissance des transsexuels, mais aussi un moyen de changer de statut social ou d’hétéronormer des personnes dans des pays où l’homosexualité est illégale.
(*) Paule Nathan, Docteur en Médecine, Endocrinologue,Présidente de la Section Avenirs de Femmes de l’Association Nationale des Auditeurs Sécurité- Justice. |
(*) Karine Vuillemin, Docteur en Droit, Vice Présidente d’honneur de l’AFDD, Secrétaire Générale de la Section Avenirs de Femmes de l’Association Nationale des Auditeurs Sécurité-Justice |
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