L’EUROPE,
UN SUPPLÉTIF AMÉRICAIN ?
Patrick Toussaint
Le Président Macron nous a expliqué dans sa campagne et après, qu’il voulait plus d’Europe, notamment d’Europe militaire, et qu’il voulait faire des forces armées françaises la première armée de l’Europe ce qui n’est pas forcément incompatible (il faudra y revenir).
Il en a pris les moyens dans la loi de programmation militaire qui entrera en vigueur le 1er janvier 2019.
Sera- ce suffisant ? Malheureusement non car, d’une part, il y a eu trop de retards pris les 30 dernières années et, d’autre part, la France n’a plus les moyens de financer les recherches nécessaires à la réalisation des armes nouvelles indispensables et dont la production exige de longues séries pour que les coûts en soient supportables.
On parle là des armes majeures : chars et engins blindés d’accompagnement, avions (chasse, appui-feu, transport, ravitaillement, engins d’observation), hélicoptères (assaut, transport), artillerie (sol-sol et sol-air), navires de surface (porte-avion, lutte anti-aérienne, anti-sous-marine, ravitailleurs, projection de forces, sauvegardes des atterrages et de la zone économique, guerre des mines), navires sous-marins (dissuasion nucléaire, chasse, action de forces spéciales) et satellites (observation, relais de données en tout genre, positionnement, fabrication de fusées et aire de lancements) tous matériels qui sont nécessaires à l’existence, la défense et l’indépendance d’une nation sans oublier toutes les armes nouvelles (maitrise de son cyber-espace, armes sophistiquées telles que armes laser, rail-gun, satellites tueurs, défense contre missiles exo-atmosphériques…).
Par ailleurs, la France a des responsabilités au plan mondial, d’une part, parce qu’elle est membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU avec droit de veto, par son statut de pays disposant de l’arme thermonucléaire avec les moyens aériens et sous-marins d’emploi, d’autre part, par ses possessions outre-mer, par ses anciennes colonies, par l’extension de son commerce extérieur, enfin parce qu’elle est un pays essentiel de l’Union européenne mais aussi parce qu’elle est membres de l’Otan.
Ce n’est pas sans raison que cette organisation, jugée essentielle en Europe, est citée en dernier, on va y venir.
Cette palette d’armements ne pourra plus être supportée par un seul pays et quelques spécialisations sont déjà intervenues : dans le domaine des satellites d’observation (image pour la France, radar pour l‘Allemagne et l’Italie, système Galileo européen), défense sol air contre avion puis contre missiles de théâtres avec l’Italie, conception de frégates avec l’Italie (Horizon anti aérienne et FREMM puis maintenant navires de soutien et ravitaillement) , Europe avec Airbus (avions civile et militaires, hélicoptères, satellites), armement d’infanterie avec l’Allemagne entre autres, entre autres.
Les différents théâtres où la France est engagée montrent à l’évidence que cela ne suffit pas.
A l’heure actuelle, en Europe, la tendance la plus prégnante, est de se réfugier dans l’OTAN.
Ce choix est fait par les pays qui ont fait partie de l’ex-URSS et qui ont une petite industrie : Hongrie, Bulgarie, Slovaquie, République tchèque, Roumanie, les trois pays baltes et de l’ex-Yougoslavie : Croatie, Monténégro.
Pour eux, le seul salut est dans l’OTAN et, s’ils le pouvaient, le dialogue et les achats directs avec les américains (en fait, ils ne se privent pas de le faire mais leurs moyens financiers sans l’Europe ne le leur permettent pas).
Leurs armements sont des matériels de seconde main, soit encore russes améliorés, soit d’autres pays européens qui se modernisent et transfèrent des matériels essentiellement américains de seconde main pour l’aviation.
Ces pays sont prêts à aller très loin dans la coopération : exemple la Roumanie qui accepte un radar anti-missile stratégique américain malgré la fureur russe.
La deuxième catégorie concerne les pays qui ont une industrie propre pour certains matériels et/ou par l’engagement dans l’industrie européenne (le plus souvent Airbus) ou des matériels surtout suédois, allemands ou anglais pour la marine : Belgique, Norvège, Pays-Bas, Grèce, Espagne et Portugal.
Reste enfin la dernière catégorie qui est celle des pays européens ayant à la fois un tissu industriel important mais qui restent figés dans la couverture par l’OTAN : Allemagne, Italie et, à part, la Pologne qui développe une industrie d’armement terrestre importante, mais reste dans la mouvance américaine pour l’aviation, les hélicoptères et armes anti-aériennes et anti missiles, et plutôt des matériels allemands et suédois pour la marine (Il faut souligner que la Pologne achète américain à l’aide des fonds européens destinés à son développement économique voire l’affaire des hélicoptères Airbus).
Le paradoxe est que la France est plus proche de la Grande-Bretagne sur le plan des responsabilités mondiales, comme membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU avec droit de veto, comme puissance nucléaire par ses sous-marins lanceurs d’engins thermonucléaires quoique dépendante des Etats-Unis pour leur emploi, par ses intérêts mondiaux, par sa doctrine d’intervention avec les moyens idoines (quoique se réduisant), avec une marine qui se dote de porte-avions et, elle aussi, membre de l’OTAN.
Le malheur est que la Grande-Bretagne a quitté l’Union européenne et qu’elle entend se prévaloir de ses liens spéciaux avec les Etats-Unis et avec ses anciennes colonies essentiellement Australie, Nouvelle-Zélande, Canada, Afrique du Sud (moins avec ce pays actuellement) voir les « Five Eyes ».
De ce panorama succinct, que peut-on conclure ?
D’une part, que les Etats-Unis entendent que la contre- partie de leur protectorat dans l’OTAN est l’achat prioritaire auprès de l’industrie militaire américaine, notamment en matériels de pointe, l’aviation et les hélicoptères (exemple polonais), la défense antiaérienne, les radars, l’informatique, mais aussi l’industrie en général, civile, informatique, satellitaire ou de pointe. .
D’autre part, que les intérêts américains prédominent sur le plan stratégique par exemple pour les bases de la défense anti-missiles qui doivent être situes en Europe : radars en Roumanie, missiles en Pologne quels que soient l’environnement international et la réactions d’autres pays importants comme la Russie (qui fournit du pétrole et du gaz dont sont dépendant les pays européens notamment de l’Est) ou l’Iran, créant ainsi des tensions sur les frontières de l’Union européenne ou dans une zone importante (Moyen- Orient) quant au pétrole dont une partie de l’Europe est ou devient dépendante (par exemple les gisements en mer du nord s’épuisent).
Enfin que ces pays soient à l’écoute des intérêts américains dans tous les domaines économiques, scientifiques et militaires.
Or, les Etats-Unis, comme ils l’avaient déjà fait avec l’avion F16 en son temps, viennent de ruiner le secteur de l’aéronautique militaire européenne, pour au moins quarante ans, avec leur avion F35 dont on dit qu’il n’est que marginalement supérieur au Rafale et même au Typhoon quand toutes leurs fonctionnalités seront développées (standard F4 qui sera développé à partir de 2019, pour le Rafale et intégration plus poussée en matière de combat air-sol pour le Typhoon).
Ils ruinent aussi la défense balistique européenne que seules défendent la France et, dans un moindre mesure, l’Italie (programme SAMP).
De même, l’élection d’un Président des Etats-Unis comme Monsieur Trump, outre son instabilité dans ses décisions, montre surtout qu’une partie importante, voire majoritaire, de l’électorat américain ne se sent concernée que par la posture « America first » dans tous domaines y compris et surtout commercial, que l’Europe est un simple marché, important certes mais pour lequel il n’est pas évident d’envoyer les « boys » se faire tuer et que les intérêts essentiels sont maintenant marginalement encore au Moyen Orient mais surtout et principalement, en Extrême Orient.
Il faut souligner que depuis la création de l’OTAN, la seule fois où le fameux article 5 qui permet à un membre attaqué de requérir l’aide militaire de tous les autres membres n’a été invoqué que par les seuls Etats-Unis en 2001 après l’attaque des Twin Towers : n’y a-t-il pas là une réflexion à mener ? L’Amérique « mourir pur Danzig » eut on dit il n’y a guère.
Dans le même sens, ne doit-on pas réfléchir au développement des industries informatiques nées des besoins de la défense américaine (l’Arpanet) qui se sont développées au point d’interdire tout développement concurrent et que seules les autorités judiciaires américaines font plier, et encore avec difficulté, qui se nomment Google, Amazon, Facebook, Microsoft, Apple, YouTube, Twitter entre autres ? Et que l’Europe cherche à discipliner ou à encadrer alors que leur avance scientifique et technique jointe à un marché financier aguerri écrase la concurrence ?
N’est-il pas significatif que leurs concurrents les plus dangereux soient chinois : Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi (surnommés les BATX) dont la capitalisation boursière (Bloomberg) était de 523 milliards de dollars en 2016, puissants sur le marché intérieur chinois et réduisant la part des sociétés américaines mais qui ne cachent pas qu’ils ont les moyens techniques, financiers et humains d’aller sur le marché international et de leur tailler des croupières.
Les Américains sont très conscients que leur principal ennemi est la Chine qui possède la deuxième position quant à la détention de leur dette extérieure et qui est actuellement la deuxième puissance militaire mondiale et qui vise à être la première puissance économique et militaire du monde en 2049.
On le voit, l’Europe n’intéresse les dirigeants américains actuels que comme marché économique, militaire, civil, technique et scientifique sans doute encore important par le nombre de sa population et de son pouvoir d’achat, d’une part, et que, d’autre part, cette Europe reste le moyen militaire le plus adéquat pour faire face à la Russie avec un soutien limité en forces américaines sur ce théâtre voire sur celui du Moyen Orient.
Reste quand même le problème du terrorisme mondial, notamment en Afrique : là, l’expertise européenne est recherchée mais l’appoint américain reste indispensable sur le plan technique (utilisation de drones armés dans la zone moyen orientale par exemple, moyens informatiques de pointe quant à la surveillance des moyens de communication et à la surveillance satellitaire, apport de gros avions de transport et de ravitaillement)
Il n’en reste pas moins que les Etats-Unis sont décidés à prendre pied en Afrique et qu’ils restent, pour l’instant, relativement discrets, profitant de l’expertise européenne, essentiellement française d’ailleurs, mais intervenant sur le plan du financement et de la formation des troupes africaines.
Il en est de même au Moyen Orient où les moyens français, notamment spéciaux, sont appréciés mais dont l’intervention est reste dépendante des moyens américains en partie pour la France et totalement pour les autres pays européens.
Il est plus que temps que l’Europe réagisse sinon elle va rester un simple marché économique, scientifique et militaire pour les Etats-Unis, couvrant, à peu de frais pour eux, ce théâtre d’opérations face à la menace russe et ouvrant le marché africain.
Autrement dit, l’Europe restera un supplétif américain.
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