TOULON : LE PRESIDENT REPOND A L’ANCIEN CEMA

SANS PRIORITÉ NI AMBITION…

Richard Labévière
Rédacteur en chef 

Vendredi dernier, le président de la République a présenté ses vœux aux armées depuis le porte-hélicoptères – Dixmude[1] – en rade de Toulon. Sa priorité était de rétablir la relation avec nos armées – relation passablement secouée après la démission estivale du CEMA, le général Pierre de Villiers. De fait, il a tenté de répondre – point par point – à l’ancien CEMA sur le registre « gros sous », mais sans vraiment afficher de priorités, de véritables ambitions, ni de dessein stratégique

Pour bien afficher qu’il a décidé « d’arrêter la lente érosion de nos capacités militaires », il revoit sa copie sur le plan des moyens en affirmant vouloir poursuivre « un effort budgétaire inédit », afin d’atteindre les 2 % de PIB en 2025. Ainsi, il confirme l’augmentation du budget 2018 à 34,2 milliards d’euros (+ 1,8 md, puis 1,7 md chaque année jusqu’en 2022). Et, il annonce une marche sévère de 3 milliards d’euros en 2023 pour tenir le cap, c’est-à-dire un an après la prochaine élection présidentielle…

Assurément, le président « fait le job », et plutôt bien : une France forte capable d’assurer sa sécurité dans un monde incertain, de défendre ses intérêts et de participer à la résolution des crises internationales, etc, etc. Il enchaîne sur l’incompressible nécessité d’un outil de défense « complet » et « complémentaire » de notre diplomatie avec nos aides au développement dans une approche globale d’un monde global. Là, il y aurait beaucoup à dire, d’autant que nos aides publiques au développement sont en baisse constante depuis une vingtaine d’années et que notre diplomatie et outils diplomatiques connaissent la même déshérence aux mêmes rythme et temporalité… 

Après avoir dit aux familles de nos morts et blessés au champ d’honneur ce qu’il fallait dire, le Président cogne (et il a raison, mais ce n’est pas très sûr que cela soit très efficace) nos industries et industriels de défense (trop chers et pas toujours dans le sens des intérêts du pays). Dans cet état d’esprit, il veut afficher un « regard neuf », rompre avec les idées convenues et les mauvaises habitudes. Dont acte ! Il protège ses arrières en soulignant à plusieurs reprises que la prochaine loi de programmation militaire (LPM) ne pourra pas tout faire – tout et tout de suite, s’entend ! Et au passage, il prend l’exemple du PA-2 (notre deuxième porte-avions) – sans annoncer qu’il y renonce mais comme un exemple de ce qui ne pourra pas être pris en compte par la prochaine LPM. Bien comprendre : le PA-2 n’est pas enterré, mais repoussé…  

Contrairement aux commentaires pressés de la presse, ces quelques mots sur le PA-2 ont aussitôt alimenté nombre de malentendus et Fake News ! Or, ces quelques mots « ne signifient ni un enterrement, ni un renoncement au PA-2, mais contribuent davantage à une mise en perspective des priorités de la prochaine LPM qui doit clairement établir qu’on ne peut pas répondre à toutes les sollicitations stratégiques en même temps. Par ailleurs, et indépendamment du court-terme, la permanence à la mer du Groupe aéronaval demeure une priorité stratégique du président de la République », nous explique-t-on à l’Elysée.

Cela dit, et comme à son habitude, le Président communique bien, c’est-à-dire sur le mode du « je vous ai compris ». Son discours de Toulon répond point par point aux raisons ayant amené le général Pierre de Villiers à démissionner l’été dernier. Autrement dit : on bouche les trous, on comble les retards, on fait dans le court et l’urgence. De la posture initiale d’homothétie négative (saupoudrage indifférencié d’austérité), on passe à celle d’une homothétie positive (ajustement quantitatifs indifférencié). Donc – et le général Pierre de Villiers peut en être fier/sa démission aura au moins servit à cela ! – le budget de la défense va augmenter, mais quelle est l’ambition ? Quel est le cap ? Quelles sont les priorités stratégiques ? Quel est le grand dessein ? Quel est le souffle ?

Revenons sur la volonté confirmée du Président d’un modèle d’armée « complet ». Il confirme – fort heureusement – la sanctuarisation de notre dissuasion nucléaire, dans sa composante aérienne et celle de la Force Atlantique en soulignant sa « permanence ». Il est clair que sans la « permanence » à la mer de nos SNLE, notre dissuasion ne serait qu’un poisson de papier. Ce concept de « permanence » est fondamental pour l’ensemble de nos choix stratégiques, et tout particulièrement pour la défense de notre espace maritime – dont les élites politiques et administratives se félicitent quotidiennement qu’il soit le deuxième au monde. Une fois qu’on a dit cela que fait-on ? Les mêmes communicants sont alors beaucoup moins loquaces et on ne peut que les renvoyer au document de référence : le rapport des sénateurs Jeanny Lorgeoux et André Trillard de juillet 2012[2].

Cela dit, la « permanence » à la mer demeure bien le concept majeur de toute espèce de stratégie maritime d’un pays comme le notre qui n’a renoncé, ni à sa souveraineté, son rayonnement, ni à ses ambitions. Cette impératif catégorique de la permanence à la mer repose sur un triptyque : permanence à la mer d’un SNLE ; permanence de nos capacités amphibies (trois porte-hélicoptères BPC) permettant de débarquer et d’embarquer dans tous les points du monde ; enfin permanence du Groupe aéronaval… Et c’est sur ce dernier point que les derniers propos du Président sont source de bien des malentendus.

Aujourd’hui, cette dernière permanence n’est pas assurée, puisque notre seul porte-avions, le Charles de Gaulle doit effectuer – régulièrement – des séjours au bassin pour entretiens et modernisations[3]. Depuis son entrée en fonction en 2001, le Charles et son Groupe aéronaval ont effectué plus d’un million de kilomètres autour de la planète pour défendre la sécurité et les intérêts de la France. Comprenant cette nécessité d’une permanence à la mer de notre Groupe aéronaval – durant la campagne de la dernière élection présidentielle -, Emmanuel Macron, comme ses concurrents François Fillon, Marine le Pen, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, s’était prononcé pour un lancement rapide des études préalables à la construction d’un deuxième porte-avions (PA-2).

L’équation de la permanence à la mer de notre Groupe aéronaval induit, non seulement le remplacement du Charles (à l’horizon 2030), mais aussi la nécessité de la mise en service d’un sister-ship – bâtiment jumeau – (sur le modèle Foch-Clémenceau), ce qui revient à considérer la mise en chantier d’un deuxième et/aussi d’un troisième porte-avions. Et qu’on ne vienne pas réduire cette équation à la contrainte des coûts, une enveloppe dégressive de trois à deux milliards d’euros, sans parler des gains en matière de recherche, de sous-traitance et d’apports à notre filière aérospatiale !

Alors, deuxième et troisième porte-avions ! Mais de quoi parle-t-on ? Un officier général de l’armée de terre et ami de l’auteur de ces lignes lui tient régulièrement à peu près ce langage : à quoi servent tes porte-avions alors qu’on peut louer des plateformes aériennes partout dans le monde ? Et d’ajouter avec ses certitudes tout à fait terriennes : la bataille de Midway est terminée !

Sur le premier point, il n’est pas difficile de comprendre que l’installation d’une base aérienne française – hors de nos frontières – comporte plusieurs contraintes : celle des coûts directs et induits n’est pas toujours bien évaluée et finit toujours par créer de désagréables surprises avant d’exploser en vol, c’est le cas de le dire ! Les coût politiques sont, aussi souvent très mal évalués, minorés, voire niés. Faire décoller des avions français, pour bombarder Dae’ch, depuis une plateforme jordanienne induit aussi une signification politique lourde : alliée des Etats-Unis et d’Israël, la Jordanie entretient aussi des rapports complexes avec la confrérie des Frères musulmans – référence idéologique centrale des jihadistes contemporains. On pourrait prendre d’autres exemple en Asie centrale et ailleurs.

Toujours est-il que le porte-avions est l’arme – par excellence – de projection de puissance ; qu’elle permet la projection d’une base aérienne française partout dans le monde, en toute indépendance politique dans un contexte où l’évolution de la menace ne se réduit pas au spectre terroriste. La puissance de feu du porte-avions peut assurer l’entrée en premier sur un théâtre d’opération et renforcer la manœuvre terrestre sans augmenter l’empreinte au sol. Si on ne va pas rejouer de sitôt la bataille de Midway (même si, en matière stratégique, il faut rester prudent et modeste quant au retour de format qu’on croyait définitivement dépassés), il s’agit de bien prendre en compte « l’affirmation de puissances émergentes ou ré-émergentes dans la sphère navale », souligne le chercheur Jean-Sylvestre Mongrenier.

La situation internationale durable, les ambitions des puissances émergentes et ré-émergentes et la convergence de multiples lignes de crise confortent la modernité des porte-avions et de leur rôle de premier plan tenu dans les rapports de force internationaux. Si la Russie ne possède que le Kouznetsov, elle a mis en chantier une plateforme d’un tonnage de 100 000 tonnes. Compétiteur stratégique de l’Occident, la Chine pourrait, à terme, posséder quatre porte-avions. Soucieuse de contrecarrer son expansionnisme naval, l’Inde entend engager un porte-avions sur chacune de ses façades maritimes, obligeant le Pakistan à rentrer dans cette course. Le Brésil et l’Argentine, eux-aussi ont rouvert le dossier.

Dans ce contexte éloquent, pourquoi le PA-2 français reste-t-il maudit ? Une chose est sûre : « les p’tits voleurs de Bercy », comme les appelle Vincent Desportes, ainsi que les petits censeurs à la croix de bois – Jean-Claude Mallet, Cédric Lewandowski et les autres anciens de l’équipe d’Alain Richard – ont toujours été allergiques au PA-2, pour ne pas dire à tout ce qui flotte… Avant compétence, Arnaud Danjean vient de souligner dans sa Revue stratégique (dernièrement remise au Président) que l’axe Méditerranée/Mer Rouge/Océan Indien constitue l’une des matrices essentielles de la défense de notre pays. La bonne tenue de cette axe a, impérativement besoin d’une permanence à la mer de notre Groupe aéronaval.

In fine, il en va de l’autonomie stratégique de la France, de son rôle de « nation-cadre » et du rang qu’elle entend tenir dans un monde très incertain. Puissance détentrice du deuxième domaine maritime mondial, notre pays doit être à l’avant-pointe d’une Europe du grand large. A terme, et le Président le sait parfaitement, elle ne pourra l’être sans son PA-2 et un PA-3 en préparation. Notre défense et notre croissance commencent au large…

Bonne mer, bonne lecture et à la semaine prochaine.                

 

 

 

[1] Le Dixmude (L9015) est un bâtiment de projection et de commandement (BPC) de la Marine nationale française de la classe Mistral. C’est le 3e bâtiment de la classe Mistral, après le Mistral (L9013) et le Tonnerre (L9014). Il a été admis au service actif le 27 juillet 2012 et remplace le TCD Foudre (L9011). Une quatrième unité dont la date de construction n’a pas été fixée devrait remplacer le TCD Siroco (L 9012). Il peut être intégré soit au groupe aéronaval français, soit à force multinationale ou à des missions de maintien de la paix sous mandat des Natioins unies ou dans le cadre de l’Union européenne. Sa devise est « Sacrifiez-vous, Tenez ! », en hommage à la phrase de l’amiral Ronarc’h dont la brigade de fusiliers marins s’est sacrifiée à la bataille de Dixmude. La ville de Marseille est marraine de ce bâtiment depuis janvier 2017.

[2] Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans. Rapport d’information de MM. Jeanny Lorgeoux et André Trillard, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées – n° 674 (2011-2012) – 17 juillet 2012.

[3] Le Charles de Gaulle a ainsi été indisponible pendant trois ans et demi, sur les 16 années de service ; ce qui représente pour notre pays trois années sans les « 42 000 tonnes de diplomatie » du seul Groupe aéronaval de la Marine nationale.

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