Algérie et Russie :
Jeux d’influence

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.Ewen Le Moy (*)
Journaliste stagiaire à ESPRITSURCOUF

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Si, après l’agression de l’Ukraine, la Russie est perçue par l’Occident comme un pays dangereux et impérialiste et a été sévèrement condamnée par l’ONU, d’autres Etats, à l’inverse, lui montre de la bienveillance, en particulier sur le continent africain. L’auteur s’est attaché à l’Algérie, qui vient de fêter le 60eme anniversaire de l’établissement de ses relations diplomatiques avec Moscou.

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Lors des récents votes à l’ONU, les résolutions condamnant l’agression russe en Ukraine n’ont pas recueilli l’unanimité. Plus particulièrement, lorsqu’il s’est agi de suspendre la fédération de Russie du Conseil des Droits de l’Homme, 24 pays ont refusé la sanction. Nombre d’entre eux appartiennent au continent africain, dont l’Algérie. Historiquement, l’Algérie et la Russie entretiennent des liens depuis la guerre d’indépendance algérienne, et sont partenaires dans le domaine militaire. Un partenariat qui semble prendre de l’ampleur ces temps-ci.

Le 16 août 2021, dans le cadre d’un entraînement, le « Smolny », navire école de la marine russe, s’est amarré dans le port d’Alger, évènement rarissime. Mais surtout, les armées algériennes et russes préparent pour la première fois des exercices militaires conjoints. C’est le média russe Sputnik qui nous l’apprend. Ces manœuvres, qui auront lieu en novembre prochain, consisteront en des mouvements tactiques de recherche et de destruction de groupes terroristes. 80 militaires russes seront déployés sur la base de Hammaguir, au sud-ouest de l’Algérie.

L’armée algérienne équipée à la russe

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On peut dire que l’année 2006  a marqué une nouvelle étape dans la coopération entre les deux États, quand Vladimir Poutine a effectué une visite officielle à Alger. C’était la première fois depuis plus de 30 ans qu’un dirigeant de Moscou se rendait en Algérie. Lors de cette visite, la discussion a tourné autour de la dette algérienne, qui a été en partie annulée. En échange d’une commande d’armement de  29 avions Mig-29 SMT fulcrum, ainsi que six avions biplaces Mig-29UB,  38 systèmes antiaériens Pantsir-S1, et le remplacement des bombardiers Su-24 par des Su-34.

 

Depuis 2014, les liens avec l’industrie militaire russe se renforcent. Alger a passé commande  d’un second escadron de Mig-29M2, de missiles anti-aériens S-300 VM et S-400 Triumph, et deux sous-marins de la classe « kilo » (l’Algérie en possède déjà quatre). Il est clair que l’Algérie acquiert  du matériel de plus en plus sophistiqué auprès de la Russie, ce qui la rend technologiquement plus dépendante de Moscou.

D’après le rapport du congrès américain intitulé “Russian Arms Sales and Defense Industry”  l’Algérie fait partie des plus gros clients de la Russie en termes d’armement. Elle se classe 3ème importateur d’armes russes après la Chine et l’Inde. Sur la période 2016-2020 Alger a représenté 15% des ventes d’armes russes. Ainsi l’armée algérienne, qui dispose du plus gros  budget militaire d’Afrique, affirme sa puissance à travers l’armement russe.

La formation des chefs

 

On ne peut nier le rôle qu’a joué l’URSS dans le domaine sécuritaire de l’Algérie et dans la formation de ses élites. Lors de l’Hirak, ce mouvement de contestation populaire qui a éclaté à la suite de l’annonce d’un cinquième mandat du président Bouteflika, Ahmed Gaïd Salah est apparu comme le nouvel homme fort du régime. Il avait été formé  à l’académie militaire d’artillerie de Vystrel. Tout comme le plus haut gradé de l’armée algérienne, le Général Benali Benali. Un certain nombre d’officiers, encore en activité, ont appris leur métier en URSS,  ils ont intégré un logiciel soviétique. Ce qui permet à la Russie de Poutine de créer une relation particulière avec les décideurs militaires algériens, dont on connait l’influence dans la vie politique.

Cette influence de la Russie s’est manifestée lors de la visite du Président par intérim, Abdelkader Bensalah, à Moscou. Il a déclaré au président russe, devant les caméras, “Si j’ai demandé à vous rencontrer, c’est pour vous rassurer sur la situation en Algérie, qui est maîtrisée, et vous informez que nous sommes capables de dépasser cette conjoncture”. Autrement dit : « ne vous inquiétez pas, tout fonctionne comme avant ». L’arrivée du nouveau président Tebboune n’a pas changé cette influence russe dans le domaine sécuritaire.

Les données sécuritaires

 

L’Algérie se sent menacée par l’instabilité de ses États voisins, que ce soit le Mali ou la Libye.  La réforme constitutionnelle de 2020, via l’article 91 sur les prérogatives du président, donne pour la première fois à l’Algérie la possibilité d’une intervention militaire en dehors de ses frontières.

 Elle se trouve remarquablement placée pour devenir, avec la fin de l’opération Barkhane, un acteur déterminant dans le  nord du Mali. De plus, Alger  aurait facilité le déploiement de la force Wagner à Bamako. En autorisant le survol de son espace aérien aux avions russes, pendant qu’elle fermait l’espace aux avions français. L’ambassadeur russe Igor Beliaev réaffirme à Alger le rôle clef de l’Algérie dans cet espace géographique qu’est la bande sahélienne.

Vers l’ouest, l’affaire du Sahara occidental a rebondi. On se souvient que le Rio de Oro, une ancienne colonie espagnole, a été annexée par le Maroc, contre à la volonté des indépendantistes soutenus par l’Algérie. Le sort de ce territoire, appelé désormais Sahara occidental, encombre depuis des décennies les relations internationales et maintient sous tension Alger et Rabat. 

Le Maroc a édifié sur la frontière du Sahara occidental un mur se sable pour tenir à distance les combattants du Polisario  réfugiés en Algérie (Le Polisario est l’organisation politique du peuple Sahraoui). Photo United Nations

Or voilà que l’administration Trump y a reconnu la souveraineté marocaine, une reconnaissance non remise en cause par le gouvernement Biden. Aussitôt, la Russie a fait savoir lors de sa déclaration du 12 décembre 2020 du ministère des Affaires étrangères   qu’elle n’acceptait pas la décision des États-unis. Et lorsque l’Espagne rejoint à son tour le parti marocain, la Russie ne manque pas de confirmer sa position. En  déclarant par la voix de son ambassadeur, sur la chaine Al- Narah, « l’Espagne à une responsabilité historique envers le peuple sahraoui, qui est d’achever le processus de décolonisation ». 

En définitive, le partenariat entre l’Algérie et la Russie permet à Alger  de garder son rang de grande puissance militaire sur le continent africain, de continuer à peser en Afrique du Nord, et de mettre une certaine pression sur ses partenaires européens. La Russie quant à elle  est assurée d’avoir un allié dans la région, un allié qui lui permet d’assurer son emprise sur le continent africain.  

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(*) Ewen  Le Moy est titulaire d’une licence d’histoire, et d’une licence d’anthropologie à l’université de Bretagne occidentale. Il poursuit actuellement son cursus au sein du Master Conflictualités et Médiation de l’Université Catholique de L’Ouest, où il a pu réaliser un mémoire sur les relations russo-algérienne. Journaliste stagiaire chez ESPRITSURCOUF


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