BREXIT : TRANSITION MODE D’EMPLOI
par Elvire Fabry,
Chercheuse senior
et Marco De Toffol
Assistant de recherche,
de l’Institut Jacques Delors
Ce Policy paper par Elvire Fabry, chercheuse senior à l’Institut Jacques Delors, et Marco de Toffol, assistant de recherche à l’Institut Jacques Delors, analyse les modalités de cette transition, qu’il s’agisse des aménagements de cette inconfortable asymétrie qui font encore débat (libre circulation des personnes, recours possibles du Royaume-Uni pour faire valoir ses intérêts, …) ou de certaines politiques qui devraient d’ores et déjà faire l’objet d’un accord post-Brexit sans attendre la fin de la transition (aviation civile, sanctuarisation de la contribution britannique au programme-cadre de l’UE de recherche et innovation, …). À cela s’ajoute l’enjeu de la transition à assurer pour tous les accords commerciaux signés par l’UE avec des pays tiers. De bilatérale, la négociation devient trilatérale. Enfin, d’une durée limitée et relativement simple à négocier si elle consiste essentiellement à maintenir le statu quo en attendant le futur régime de croisière des relations Royaume-Uni-UE, cette transition s’avèrerait plus épineuse et pourrait tout aussi bien devenir le purgatoire du Brexit s’il fallait envisager une transition longue.
On ne mesure néanmoins les enjeux qui se jouent pendant cette transition qu’en revenant au préalable sur le dilemme britannique et la complexité du choix que le Royaume-Uni doit faire sans plus tarder pour éviter une transition longue. Ce n’est qu’en fonction du degré de convergence réglementaire que Londres décidera de maintenir avec l’UE que les négociateurs pourront commencer à élaborer un accord post-Brexit et éviter le saut de la falaise encore possible en fin de transition.
INTRODUCTION
À mesure que l’on aborde les multiples enjeux du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, la complexité du Brexit apparaît chaque jour plus évidente. Sans compter les quelques 759 traités que Londres devra renégocier avec 168 pays dans le monde1, le Brexit permet de prendre la mesure du degré d’imbrication et d’interdépendance auquel sont parvenus le Royaume-Uni et tous les États de l’UE après un demi-siècle d’intégration, qu’il s’agisse des citoyens, des réseaux de recherche, de la sécurité alimentaire, des chaînes de valeur européennes, de la logistique des transports, du commerce intra-européen, etc., jusqu’à la coopération judiciaire et sécuritaire. Extraire le Royaume-Uni de l’UE est un défi technique et juridique. Mais le principal obstacle dans ces négociations bilatérales entre Londres et les 27 est politique et vient de la très lente infusion de la réalité du Brexit dans le débat britannique et de l’absence de vision claire des priorités du gouvernement de Theresa May, tant ambiguïtés et déclarations contradictoires des ministres et leaders politiques entretiennent des fictions sur les issues possibles du Brexit. La première de ces fictions est celle d’un soft Brexit. Chercher à en atténuer les effets négatifs ne signifie pas qu’un soft Brexit soit possible. Pour la première fois dans l’histoire de la construction européenne, il s’agit d’organiser non pas une convergence avec l’UE – par adhésion, association ou alignement réglementaire –, mais bien une divergence. Les Brexiters les plus convaincus espèrent à plus long terme en tirer des bénéfices pour le Royaume-Uni. Mais si la position officielle du gouvernement britannique2 demeure « de ne plus participer au marché unique ni à l’Union douanière à l’issue de la période de transition », le Brexit ne peut être que hard et le débat porte désormais sur les nuances de hard envisagées. Reste à déterminer quel sera le trade off de Londres entre une souveraineté britannique retrouvée et un accès perdu au marché unique. Soit les Britanniques divergent des standards européens, au bénéfice de leur autonomie juridique, en sacrifiant un accès privilégié au marché unique. Soit ils donnent la priorité à ce marché et alignent leurs standards et réglementations sur l’UE, en sacrifiant, de fait, leur autonomie juridique (tout en conservant des contrôles frontaliers) comme le font les pays membres de l’Espace économique européen. Les 27 ont clairement établi que le Royaume-Uni ne pourrait faire les deux. La déclaration du négociateur en chef pour l’UE 27, Michel Barnier, le 19 décembre 2017, précisant qu’ « il n’y aura de place pour les services financiers dans aucun accord post-Brexit » – enjeu décisif pour la City – appelle au réalisme et à sortir de « l’ambiguïté constructive » dans laquelle flotte le débat britannique. Plus les Britanniques gagneront en souveraineté nationale, plus le coût économique sera élevé. Inversement, plus ils chercheront à limiter le coût économique, plus ils devront s’aligner sur les règles européennes, sans pouvoir les influencer. Déterminer quel est le compromis politiquement acceptable et économiquement viable ne semble pouvoir se faire qu’au prix d’une longue maïeutique britannique entretenue par la recomposition de la scène politique interne. Cette complexité et ces hésitations ont conduit les deux parties à s’accorder sur la nécessité d’une période de transition pour parvenir à établir les termes des futures relations du Royaume-Uni et de l’UE. De durée limitée et relativement simple à négocier si elle consiste à maintenir le statu quo en attendant la mise au point du futur régime de croisière des relations Royaume-Uni-UE, cette transition s’avèrerait plus épineuse et pourrait tout aussi bien devenir le purgatoire du Brexit, s’il fallait envisager une transition longue.
CONCLUSION
Les entreprises semblent voir dans la perspective d’un accord de transition, à présent plus tangible, une étape constructive vers un accord post-Brexit évitant le cliff-edge et leur permettant d’éviter de recourir aux mesures d’urgence qu’elles doivent envisager pour faire face à cette éventualité.
À ce stade, on perçoit cependant aisément qu’une période de transition pourrait n’avoir pour effet que de repousser l’éventualité d’un tel risque. En voulant obtenir du gouvernement britannique qu’il clarifie d’ici octobre 2018 ses priorités pour l’accord de partenariat, les Vingt-Sept privilégient un séquençage des négociations qui vise à éviter que la transition ne s’éternise sur plusieurs années et ne maintienne le Royaume-Uni dans le purgatoire d’un Brexit qui le prive plus que jamais de souveraineté, ce qui devrait convenir au gouvernement de Theresa May. Mais la marge de négociation du Royaume-Uni est faible tant l’Union européenne est une construction juridique qui repose sur des principes. Si les Vingt-Sept travaillent à un retrait ordonné du Royaume-Uni, ils n’ont guère de prise sur les débats et tensions internes des partis politiques britanniques, qui constituent un aléa majeur dans la conduite du processus. Les conditions d’un accord de transition imposées par l’Union européenne restent difficiles à faire admettre par l’opinion publique britannique. La question reste ouverte de déterminer si la pression que les 27 exercent sur le gouvernement britannique permettra d’accélérer sa maïeutique interne ou contribuera à précipiter une crise politique de nature à accoucher de solutions pour l’instant indisponibles en raison des incompatibilités entre les lignes rouges des uns et des autres. Une solution au système d’équations qui gouverne le Brexit, pour l’instant introuvable, reste plus que jamais suspendue à l’issue de la crise politique britannique rampante actuelle. La période de transition peut reporter quelques échéances, mais elle ne suffira pas, en elle-même, à trancher les nœuds gordiens du Brexit. Le rendez-vous décisif sera désormais celui du vote par le Parlement britannique de l’accord de sortie et de transition. Un résultat actuellement incertain.
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