FORCES ET FAIBLESSES
D’ISRAËL

du Club des Vingt (*)

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Au cours de la période récente, la situation intérieure d’Israël s’est sensiblement modifiée menant à une grave crise susceptible même de remettre en cause les valeurs sur lesquelles il a été fondé. Cependant Israël s’est affirmé en tant que puissance régionale et même comme un acteur à part entière de la vie internationale.

1. Israël n’est plus ce qu’il était

Après l’effondrement de l’URSS, plus d’un million de Russes et d’Ukrainiens –étrangers au monde arabe- ont émigré en Israël. D’autre part, le développement de l’intégrisme religieux a donné une influence croissante aux partis ultra-orthodoxes devenus indispensables pour la formation des gouvernements. Enfin les courants extrémistes sont apparus en Cisjordanie parmi des colons entendant y défendre leur présence.

Aussi, après Rabin et Peres, l’ambition d’Israël est devenue peu à peu moins de s’intégrer pacifiquement parmi les pays de la région que d’y affirmer sa singularité jusqu’à se déclarer dernièrement « Etat juif ».

Les partis de gauche, le Meretz et le parti travailliste, ont connu un déclin rapide au fur et à mesure que s’enlisait le processus de paix engagé par le Président Clinton. Quant aux partis arabes, ils sont trop divisés pour avoir un poids correspondant à l’importance de la communauté.

Compte tenu des poursuites dont il est l’objet, il n’est pas sûr de Benjamin Netanyahou restera Premier Ministre après les élections de septembre, mais son successeur mènerait la même politique. En effet, la dérive vers la droite et l’extrême droite de la politique intérieure d’Israël semble irréversible car elle correspond à l’évolution de la société. Elle comporte des mesures de contrôle, des juges, notamment ceux de la Cour Suprême et la soumission des ONG à des contraintes en matière de droits de l’homme. Ainsi s’érode le caractère démocratique d’Israël.

2. Israël invulnérable ?

2.1 
Sur le plan sécuritaire, l’ordre règne. L’efficacité combinée de Tsahal et des services de renseignement a quasiment fait disparaître le risque terroriste d’origine palestinienne. Après les  deux Intifada du début des années 1990, puis des années 2000, les attaques terroristes sont rares le plus souvent à caractère inorganisé et le fait d’« amateurs ». Les menaces encore sensibles sont périphériques et limités. Elles viennent essentiellement de Gaza avec le Hamas et le Djihad islamique et aussi du Liban avec le Hezbollah.

Dans cette situation, le gouvernement de Tel-Aviv estime qu’il aurait tout à perdre d’une véritable négociation avec les Palestiniens. Au demeurant, leurs principales revendications sont inacceptables à ses yeux, notamment la création d’un Etat avec Jérusalem comme capitale, le gel, voire l’évacuation des colonies de peuplement et le droit au retour.

Qu’ils soient de droite ou de gauche, les gouvernements successifs n’ont cessé de fragmenter la Cisjordanie. Le territoire de Jérusalem a été étendu. De nouvelles implantations illégales ont été encouragées. A cela s’ajoutent des zones interdisant toute présence palestinienne (zones militaires et state lands). Enfin la construction du mur de séparation à l’Est de l’ancienne Ligne verte a permis de grignoter les territoires palestiniens. Certains partis israéliens évoquent même l’éventualité d’une annexion progressive de la Cisjordanie, ce qui impliquerait la persistance d’un régime d’occupation. Plus de la moitié de la Cisjordanie est déjà sous le contrôle des autorités israéliennes. Il n’y a plus de continuité territoriale entre le sud et le nord de la Cisjordanie. Ainsi tout est fait pour rendre pratiquement impossible la constitution d’un Etat palestinien. Il est plus que probable que le « deal » du siècle du gendre du Président Trump, Jared Kushner, ne mentionnera pas la possibilité de créer un Etat palestinien.

Le processus enclenché par les accords d’Oslo de 1993 est mort, il n’y a d’ailleurs plus de véritable pression internationale pour qu’il en soit tenu compte.

2.2 Sur le plan économique, Israël est devenu le pays le plus développé, le plus puissant et le plus dynamique de la région. Bénéficiant d’une forte croissance, supérieure à la moyenne Ocde et à celle des pays de la zone ANMO, le PIB israélien est supérieur à celui cumulé de ses cinq voisins (Egypte, Liban, Jordanie, Syrie, Territoires palestiniens). Avec un taux de chômage très faible (moins de 4 %), une inflation limitée à 1 % et un excédent de balance courante et de balance de paiements  tels que les avoirs extérieurs sont de l’ordre de 120 Mds/$, le pays connait une prospérité économique et financière, mais avec des inégalités sociales importantes. Il est d’autre part très tourné vers les hautes technologies, y compris à caractère militaire, et il est devenu un acteur principal sur le marché du gaz en Méditerranée orientale.

2.3 Sur le plan diplomatique, jamais la position d’Israël n’a été aussi bonne. Alors que plusieurs présidents américains, en particulier Clinton ou Obama, ont essayé de jouer « les honest brokers » pour résoudre le problème palestinien, le Président Trump laisse le champ libre au premier ministre israélien et prend lui-même des mesures telles que le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, la fermeture de la représentation palestinienne à Washington, la reconnaissance de la souveraineté d’Israël sur le Golan et il se tait devant l’extension rapide des colonies de peuplement.

D’autre part, Israël poursuit avec succès une politique très active en direction de l’Afrique, de l’Asie (Inde, Chine), de l’Amérique latine (Brésil) et de l’Europe. Benjamin Netanyahou s’emploie avec succès à diviser l’Union Européenne en établissant des relations amicales avec des « démocratures », aux traditions antisémites, comme la Pologne ou la Hongrie. Des liens, parfois étroits, ont été noués avec un certain nombre de pays arabes du Golfe. Enfin l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis sont devenus des pays amis avec lesquels une coopération, notamment dans le domaine du renseignement, s’est développée.

Reste l’obsession pour Israël d’une menace iranienne qui est devenue sa première préoccupation. L’affrontement entre Téhéran et Tel-Aviv se poursuit depuis des années. Il s’agit d’abord d’une guerre de l’ombre : sabotage d’installations suspectes, cyber-attaque dans les installations nucléaires, assassinat de scientifiques, soutien politique et financier aux minorités ethniques –kurdes, baloutches- et aux opposants politiques, etc. Mais en même temps le conflit prend peu à peu un caractère plus dangereux : intervention militaire d’Israël au Liban contre le Hezbollah, ainsi qu’en Syrie, actions iraniennes contre des bâtiments étrangers dans le détroit d’Ormuz.

3. Quel avenir ?

Jamais sans doute la situation d’Israël dans la région na-t-elle semblé aussi favorable. Mais elle tient pour beaucoup à des éléments qui sont fragiles. Aussi l’avenir d’Israël est-il moins assuré qu’il ne paraît l’être.

En l’absence de la solution des deux Etats, il y aura toujours un problème palestinien. Ceux-ci n’accepteraient pas, ni les Israéliens d’ailleurs, leur insertion dans Etat unique où ils seraient inévitablement soumis à un régime d’apartheid. D’un autre côté, les générations succédant aux générations, les Palestiniens accepteront de moins en moins de demeurer comme des réfugiés de l’Histoire au statut indéfini. L’alternative sera entre une violence accrue ou la dispersion progressive d’un nombre croissant de Palestiniens en quête d’avenirs individuels (certains Israéliens voudraient même leur expulsion). Ces « exilés » constitueront peu à peu des ferments de troubles dans la région. Au reste, les régimes des pays du Golfe, voire celui d l’Egypte, pourront tôt ou tard changer sans que leurs successeurs aient la même attitude vis-à-vis d’Israël. A cette pression de l’extérieur pourrait s’ajouter celle de l’intérieur eu égard au dynamisme démographique des Arabes eux-mêmes.

4. Position française

Malgré sa forte position traditionnelle au Moyen-Orient, la capacité d’action de la France peut y paraître actuellement faible. Mais elle ne saurait se désintéresser de l’avenir d’une région essentielle pour la paix dans le monde. Le rôle de la France et des pays, notamment européens, qui voudront se joindre à elle, peut être important.

Plusieurs protagonistes et leurs alliés définissent leur politique non pas en fonction de la réalité mais à partir d’a priori et de vues à court terme. Dans la situation d’incertitude actuelle, il est donc plus que jamais nécessaire d’affirmer et de rappeler un certain nombre de principes :

  • Attachement à la sécurité d’Israël et à la lutte contre le terrorisme.
  • Engagement de la France dans la lutte contre l’antisémitisme et l’islamophobie de même que toute forme de racisme.
  • Attachement à la solution des deux Etats, seule capable d’assurer, sur le long terme, la sécurité d’Israël.
  • Respect des droits de l’homme et condamnation de tout ce qui pourrait apparaître comme étant des mesures discriminantes, voire d’apartheid, contre les Palestiniens sous occupation.
  • Mise en garde contre la tentation de l’annexion de la Cisjordanie voire de l’expulsion des populations arabes.
  • Condamnation des violences pouvant affecter les populations civiles.

    Refuser ces principes est ne pas vouloir voir la situation telle qu’elle est. Quoi que d’aucuns puissent prétendre parmi les protagonistes et leurs alliés, toute formule qui ne serait pas fondée sur ces principes conduirait nécessairement à des déferlements de violence allant tôt ou tard jusqu’à menacer l’avenir même des protagonistes.

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