La résolution du problème palestinien
ne peut plus être indéfiniment repoussée
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Renaud Girard
Journaliste
Au Proche-Orient, des extrémistes religieux ont encore fait dérailler le train si fragile de la paix.
Le 4 novembre 1995, des extrémistes juifs israéliens avaient assassiné en plein Tel-Aviv leur premier ministre Yitzhak Rabin, parce qu’il négociait l’établissement progressif d’un Etat palestinien indépendant, sur les territoires de la Cisjordanie et de Gaza. Le 7 octobre 2023, par leur attaque d’une violence inouïe contre Israël, les extrémistes arabes islamistes du Hamas ont cherché à faire dérailler le train des accords d’Abraham, qui allaient inclure l’Arabie saoudite dans ce processus d’échanges politiques, économiques, culturels, entre Israël et les pays arabes (Emirats arabes unis, Bahreïn, Soudan, Maroc, s’ajoutant à l’Egypte et à la Jordanie).
Les dirigeants du Hamas voyaient sans doute avec effroi les orchestres israéliens se produire à Dubaï ou à Abou Dhabi, au plus grand plaisir du public émirati. Plus de 150000 citoyens israéliens se sont rendus aux Emirats en 2022, preuve, s’il en fallait, qu’une cohabitation économique et culturelle harmonieuse entre Juifs et Arabes est tout à fait possible, et même mutuellement enrichissante.
Au Proche-Orient, la religion, au lieu de rester une affaire personnelle, intime, se mêle trop souvent de politique. Cela provoque des drames, car le caractère absolu des doctrines religieuses interdit tout compromis, alors que la politique est l’art de monter des compromis entre les hommes. Pour les extrémistes religieux juifs, on ne saurait abandonner la moindre parcelle de Terre promise, car elle a été donnée par Dieu à Moïse, pour le peuple juif. Pour les extrémistes religieux musulmans, tout territoire ayant appartenu au Dar-el-islam doit y rester indéfiniment – comme la Palestine, qui fut une province de l’empire ottoman pendant quatre siècles, avant de devenir un territoire sous mandat britannique de 1922 à 1948
La violence, la sauvagerie, dont ont usé les attaquants du Hamas n’a aucune chance de faire avancer l’idée de la nécessité d’un Etat palestinien, vivant pacifiquement aux côtés d’Israël. L’Histoire a montré que la société israélienne ne se laissait jamais intimider par la violence ou le fanatisme. Les Palestiniens se sont gravement trompés quand ils ont, au début du XXIème siècle, opté pour la culture de la kalachnikov, de préférence à une lutte non-violente à la Gandhi. Car, à cette époque, il y avait encore une grande partie de la population israélienne qui souhaitait leur donner des droits nationaux. Où, dans tout le Moyen-Orient, eut lieu la plus vaste manifestation d’indignation après les massacres des réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, commis à Beyrouth en septembre 1982 par une milice libanaise, sous l’œil indifférent de l’armée israélienne d’occupation ? A Tel-Aviv !
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Il est évident qu’Israël ne saurait se soumettre au Hamas et que nous, Français, devons être solidaires des Israéliens attaqués. 11 septembre, Bataclan, 7 octobre, même combat : ne jamais céder au terrorisme. A court terme, nous devons soutenir l’action militaire des Israéliens pour libérer leurs otages.
Mais, à moyen terme, il est tout aussi évident que la résolution du problème palestinien ne peut plus être indéfiniment repoussée. L’idéal de David Ben Gourion d’un Etat juif, démocratique, vivant en bonne intelligence avec ses voisins arabes, ne saurait s’accomplir si la droite israélienne persiste à s’opposer à la constitution d’un Etat palestinien viable. Car l’Etat hébreu est menacé, en son sein, par une bombe démographique arabe. On compte plus d’un million d’arabes de nationalité israélienne, plus de deux millions d’arabes palestiniens à Gaza, plus de trois millions en Cisjordanie. Sur le long terme, l’Etat juif est confronté à une situation intenable s’il s’obstine à vouloir contrôler, voire enfermer, une population arabe aussi importante.
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Quand, au Proche-Orient, déraille le train fragile de la paix, ce sont toujours les populations civiles qui en paient le plus lourd tribut. Ce sont des civils israéliens que les attaquants du Hamas ont tué ou pris en otages lors de leur raid meurtrier du 7 octobre. Dès demain, ce sont les civils palestiniens qui souffriront le plus durement, dans un Gaza assiégé, privé d’eau, de gaz, d’électricité, de nourriture. Dans les bombardements, ils n’auront nulle part où aller se réfugier.
Beaucoup d’Israéliens estiment que le futur Etat palestinien devrait se trouver en Transjordanie. Est-ce une idée bien réaliste, quand on sait qu’Amman n’y consent pas et que l’heure n’est plus aux déplacements massifs de populations, comme on en a connu dans l’Europe de 1945 ? Les forces de sécurité israéliennes ne sont pas le NKVD de Staline.
Le premier ministre Netanyahou devra calibrer très soigneusement sa riposte. Si elle est trop faible, Israël perdra son pouvoir de dissuasion. Si elle est trop forte, si elle fait un grand nombre de victimes collatérales, elle risque d’installer la haine pour longtemps : les gamins gazaouis qui auront perdu une mère ou une sœur dans les bombardements jureront de se venger un jour.
Lorsque Arafat et Rabin se serrèrent la main sur la pelouse de la Maison Blanche le 13 septembre 1993, je séjournais à Gaza, comme envoyé spécial du Figaro. Les télévisions diffusaient en direct la cérémonie de signature à Washington des accords qui avaient été secrètement négociés à Oslo. Une immense clameur s’éleva dans la ville, qu’occupait alors l’armée israélienne. Toute la population se précipita dans les rues, et je vis les adolescents palestiniens se jeter sur les soldats israéliens gardant les bâtiments publics, pour les embrasser. Ce soir-là, je crus vraiment qu’on approchait de la fin du conflit israélo-palestinien. J’étais gonflé d’espoir. Il est vrai que le leadership palestinien de l’époque (l’OLP d’Arafat) n’était pas islamiste et qu’il avait reconnu cinq ans auparavant le droit d’Israël à l’existence et renoncé au terrorisme. Ce qui n’est pas le cas du Hamas, mouvement issu des Frères musulmans.
L’espoir de paix en Palestine n’est donc aujourd’hui plus qu’une lueur, très loin à l’horizon. Mais ne nous faisons aucune illusion. On ne peut indéfiniment cacher sous le tapis les aspirations nationales d’un peuple. Elles finissent toujours pas resurgir. Et souvent de manière très violente.
Chronique internationale du Figaro du mardi 10 octobre 2023
(*) Renaud GIRARD, diplômé de l’Ecole Normale Supérieure et de l’ENA, est journaliste et a couvert la quasi-totalité des conflits de la planète depuis 1984. Il est éditorialiste de politique étrangère au Figaro depuis 2013. Auteur de sept livres consacrés aux affaires internationales, il a reçu de nombreuses distinctions, dont le prestigieux prix Bayeux des correspondants de guerre pour son reportage « l’OTAN dans le piège afghan à Kandahar ». Il est également professeur de stratégie internationale à Sciences-Po. |
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