Cent camions pour l’Ukraine
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Philippe Goujon (*)
Maire du 15° arrondissement de Paris
L’auteur occupe un poste d’où il peut piloter des actions d’aide humanitaire pour l’Ukraine et, légitimement, souhaite le faire savoir. Mais au-delà de la rhétorique politique, transparait dans son texte une sincérité, une sorte de ferveur. Il admire la résistance des populations ukrainiennes, tout autant que les mouvements compatissants et généreux de ses administrés. L’aide humanitaire est un des aspects du conflit négligé par les grands médias.
L’équilibre précaire de la fin de l’ère soviétique, prophétisé par Francis Fukuyama comme une « fin de l’Histoire » a été renversé, voilà un an, par l’avancée des chars russes en Ukraine.
Vladimir Poutine a déclaré la guerre non seulement à l’Ukraine, s’appuyant sur un mépris qui n’est pas sans rappeler les stéréotypes de la période impériale, puis soviétique, mais aussi au monde libre, réveillant les démons de la guerre, endormis depuis longtemps, faisant revivre ainsi l’empire du mal. Il nous remet en mémoire la phrase de l’apprenti dictateur dans La ferme des animaux, de George Orwell, « voilà notre vrai ennemi, l’être humain. »
Le monde entier a alors vu ressurgir des images qui semblaient appartenir au passé, avec des bombardements aveugles, des civils torturés, des corps d’homme, de femmes et quelquefois d’enfants jetés dans la terre des charniers, et, fait nouveau et terrifiant, la menace nucléaire, que nul encore n’avait osé brandir aussi explicitement. Les noms de Marioupol et de Boutcha rejoignent désormais ceux des villes martyres de Guernica et d’Oradour. Tortures, viols, exécutions sommaires, frappes aériennes sur des civils : chaque jour, l’Armée russe fait preuve d’une terrifiante brutalité.
Émotion commune
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Face à elle, l’opinion publique s’est rassemblée autour des Ukrainiens et de leur président, Volodymyr Zelenski. Une solidarité humaine exceptionnelle s’est emparée de toute l’Europe en faveur d’un peuple-courage qui refuse de se soumettre et cherche à s’émanciper d’une tutelle de plusieurs siècles, dont Voltaire, déjà, disait que « les Moscovites le gouvernaient en esclave ».
Cette émotion commune s’est naturellement transmise au plus haut niveau, celui des États, par des accords de soutien. Le transfert d’éléments de nos arsenaux fait régulièrement la une de l’actualité, mais on ne saurait ignorer toute l’aide humanitaire indispensable à un pays engagé dans une guerre totale.
Nous savons les besoins gigantesques émanant de villes rasées, sur un front qui s’étire sur des centaines de kilomètres avec des millions de déplacés. Grenier à blé de l’occident, l’Ukraine a été, durant un temps, menacé de famine.
L’aide humanitaire repose principalement sur l’action de l’État, qui peut s’appuyer sur les moyens incomparables de son administration, et notamment du Centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. La France, à l’instar d’autres pays européens et des États-Unis, a d’ailleurs été un contributeur de premier ordre, avec 2,7 milliards d’euros d’aide humanitaire, et a accueilli 100 000 réfugiés, dont 20 000 enfants inscrits dans nos écoles, tout en organisant douze couloirs humanitaires permettant l’évacuation des civils des villes assiégées.
Son action, elle l’a aussi portée au niveau international avec sa participation au vaste plan d’aide de l’Union européenne, qui a acté trois plans successifs d’un montant total de 18 milliards d’euros pour la seule aide humanitaire.
Élans populaires
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Plus encore que l’action de l’État et des institutions internationales, l’une des manifestations les plus inattendues de ce conflit a été la mobilisation de toutes les sphères de notre société, collectivités locales, associations, entreprises, écoles et particuliers, en faveur du peuple ukrainien qui force l’admiration par son courage.
Maire du 15e, et complémentairement à l’aide dispensée par la Mairie de Paris, j’ai souhaité prendre part à cet élan en appuyant l’action de deux associations du 15e – « Safe » et « Fondemos » – pour acheminer des camions dans la ville d’Oujgorod, en Ukraine, où est localisé le « Comité d’aide médicale Ukraine », chargé de la répartition des denrées sur place.
Le partenariat avec cette organisation non-gouvernementale nous a permis de répondre directement aux besoins du terrain : médicaments, matériel médical, nourriture, lait infantile, produits d’hygiène, couches, tablettes de décontamination d’eau, couvertures et vêtements, entre autres.
Durant des mois, nous avons vu affluer des dons de particuliers et d’entreprises. D’autres Mairies se sont jointes à notre collecte, notamment celles du 7ème et du 17ème. Je crois que jamais auparavant les valeurs d’entraide et de solidarité ne s’étaient exprimées avec autant d’éclat et de générosité face à l’injustice de la guerre.
L’engagement associatif a mobilisé plus de 400 bénévoles pour faire convoyer jusqu’à vingt-quatre tonnes de denrées par camion. Le 100ème camion est parti de la Mairie du 15e en janvier, en présence de l’ambassade d’Ukraine, et le 101e est programmé pour le jour anniversaire de l’offensive russe.
Complémentairement à cette collecte, la Mairie du 15e a organisé trois concerts caritatifs en ses murs, dont le dernier a vu se produire le célèbre groupe ukrainien TNMK, originaire de Kharkiv. Ces concerts ont permis de recueillir des dizaines de milliers d’euros utilisés pour l’achat de générateurs électriques et de matériel médical.
Lors d’une crise d’une telle ampleur, l’action d’une collectivité locale ne saurait se limiter à répondre aux besoins sur place. Fidèles à la tradition d’accueil de la France, premier pays à avoir établi le droit d’asile, l’État, la Ville, la Mairie du 15ème et les associations humanitaires ont organisé l’accueil des réfugiés. Le centre d’accueil du Parc des Expositions a hébergé des contingents successifs jusqu’à 500 réfugiés par jour, démunis de tout et encore souvent apeurés, qui transitaient avant de trouver des hébergements pérennes.
Début février, je me suis rendu à Kiyv, où j’ai pu rencontrer son maire héroïque, Vitali Klitschko, qui a déclaré, alors que les Russes se trouvaient aux portes de la ville, qu’il la défendrait les armes à la main. Avec ses immeubles bombardés, la ville porte les stigmates de cette guerre. Lors d’une visite d’école, j’ai pu voir des enfants en classe qui tentaient de se construire malgré le conflit. J’ai alors mesuré la détermination de tout un peuple.
Sur place les besoins demeurent. Un accord de partenariat a été signé entre le 15e et Pechersk, arrondissement central de Kiyv. Personne, sans doute, n’aurait imaginé, voilà un an, la résistance héroïque des Ukrainiens.
Le destin des Ukrainiens dépend désormais aussi de notre propre résilience. Jamais nous ne devrons nous résoudre à délaisser ceux qui se battent pour notre liberté commune.
(*) Philippe Goujon, ancien parlementaire, a siégé au Sénat de 2004 à 2007, et à l’Assemblée Nationale de 2007 à 2017. Il assure actuellement son 3° mandat de maire du 15° arrondissement de Paris. En février, à la demande du Président Volodymyr Zelenski, il s’est vu remettre l’Ordre du Mérite ukrainien par S.E. Omelchenko Vadym, ambassadeur d’Ukraine en France. |
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