Glossaire criminologique à l’usage de l’infosphère « police-justice »

Xavier Raufer (*)
Criminologue

;

À l’inverse d’une communication ministérielle et journalistique réductrice, que déplore l’auteur, il s’agit, pour lui, de bien faire la distinction entre banditisme et mafias.

.

D’ABORD ceci : bien sûr, les critiques criminologiques ici formulées sont positives ; ne dénigrant pas, elles cherchent à améliorer des diagnostics, donc les traitements consécutifs. 

Par « Infosphère police-justice« , nous entendons l’hybridation des journalistes des médias d’information, en théorie spécialisés dans ces affaires, et des services de presse du ministère de l’Intérieur ; parfois aussi de la justice, d’où ils tirent l’essentiel  de ce qu’ils publient. 

On lit à présent une masse d’articles affolés… tel gang marseillais métastase hors de son territoire… passe du trafic de stupéfiants à « Mafia »… Voici peu, ces journalistes idolâtraient des sociologues-anars affirmant que du temps des Blousons noirs, c’était bien pire… Et les Apaches de la Belle Époque … Les écornifleurs médiévaux… Mais là, panique ! La France titube au bord de la « mexicanisation ». Vraiment ? En fait, non : l’actuelle explosion criminelle était prévisible et annoncée – dont ici, par le signataire. Une prévision permise par la criminologie, discipline sachant analyser, dé crypter les évolutions et réactions du Milieu criminel.  
;

Voici pourquoi et comment. 

.

Abordons ça d’en haut. D’abord, saisir et analyser tout phénomène, criminel ou autre, exige de l’appeler par son nom : dans tout échange humain et sur tout sujet précis, la nomination est cruciale. Même, la médecine, où la vie humaine est en jeu, lui consacre une discipline spéciale, la nosographie. Sur la nomination, essentiel préalable à tout acte humain, tout est dit dans cette citation : « Le nom fait faire con naissance… Nommer dévoile… Par la vertu de l’exhibition, les noms attestent leur souveraineté magistrale sur les choses » (Martin Heidegger, « Introduction à la métaphysique »). 

Donc d’abord, chers amis « Police-justice », ne confondons pas banditisme et mafias, deux phénomènes criminels incommensurables. 

Définition du crime organisé : Convention des Nations-Unies, criminalité transnationale organisée (Palerme, décembre 2000) – « Article 2 : l’expression ‘groupe criminel organisé’ désigne une structure de trois personnes ou plus, existant depuis un certain temps et agissant de concert pour commettre une ou des infractions graves, ou établies selon la présente convention, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou matériel ». Ça, c’est le cas du Milieu français ; à Marseille en plus virulent, ailleurs en France, à plus bas bruit. 

Une mafia n’a rien à voir : il n’y en a qu’une dizaine au monde et jamais, nulle part, un banal gang du type de ceux de Marseille n’a muté en mafia. La plus historique de toutes, Cosa nostra de Sicile, est ainsi définie par la justice italienne : « Société secrète dépourvue de statuts et de listes d’appartenance, disciplinée par des règles transmises oralement. Au sein de Cosa nostra, seule la parole donnée, la « parole d’honneur » en gage à vie ». La France ne compte aucune de ces durables « aristocraties criminelles » ; pas même en Corse. Les mafias sont en effet séculaires et en France, nul gang ou bande ne dépassa jamais la première génération. Enfin, dans le milieu criminel, on a une réputation ; les mafias, elles, ont une légende. 

Pourquoi souligner cela ? Par coquetterie de criminologue ? Du tout : mais mal nommer quoi que ce soit interdit de l’améliorer, le réparer ou le combattre. Retour à la médecine : si le praticien appelle « panaris » un cancer, ou l’inverse, qu’advient-il du patient ? 

Autre classique en criminologie, l’effet de déplacement : un gang passe d’une activité (trafic de drogue) à une autre (racket, proxénétisme). Exemple : dans une cité, un malfaiteur lance un trafic de stupéfiants, mais est vite imité. Proliférant aux alentours, selon la bonne vieille loi économique des rendements décroissants, les dealers se concurrencent. Vite, éclate une « guerre de territoire », avec bien sûr un gagnant et un perdant – obligé de changer de type de prédation ou de territoire. D’où, à terme, l’élargissement forcé à des vols de fret, vols violents de voiture, cambriolages, braquages à domicile, racket, proxénétisme, etc. 

Exactement ce qu’il advient à Marseille à présent : j’envoie mes équipes vers Montpellier, Avignon d’abord ; puis Rennes ou Bruxelles ; et j’initie d’autres prédations criminelles pour améliorer l’ordinaire – d’autant que comme tout conflit, la guerre de gangs coûte fort cher. Insistons : cette loi criminologique universelle affecte aussi bien le minime gang de quartier que le cartel mexicain le plus massif. 

Voici donc deux INVARIANTS criminels ; ils sont précieux car seuls, ils permettent de prévoir ; de concevoir des stratégies efficaces, préventives et répressives. Toujours ? Non bien sûr, mais fréquemment.  

Donc dans le cas présent, quel est notre diagnostic ? Ni surprise ni affolement ; ni « mafias » ou « cartels » ; bien plutôt, une direction policière ayant un peu participé au feu d’artifice propagandiste de l’ère Darmanin et tentant à présent de noyer le (banal) poisson criminel dans la (trouble) vase mafieuse.


(*) Xavier Raufer, criminologue, est directeur d’études au pôle sécurité-défense du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il est Professeur associé à l’institut de recherche sur le terrorisme de l’université Fu Dan à Shanghaï, en Chine, et au centre de lutte contre le terrorisme, la criminalité transnationale et la corruption de l’Université Georges Mason (Washington DC). Directeur de collection au CNRS-Editions, il est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la criminalité et au terrorisme, répertoriés dans la rubrique LIVREd’ESPRITSURCOUF.