Protéger l’Amazonie :
Lula, entre promesses et réalité

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Titouan Colongue Bourgeois (*)
Etudiant en Sciences politiques
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Six mois après son investiture, le président Luiz Inácio Lula da Silva tient-il ses promesses, en matière d’écologie ? Mérite-t-il la confiance des indigènes d’Amazonie quant à la préservation de la forêt ? Après de grandes envolées  écologiques lors de sa campagne, Lula a-t-il commencé à mettre en place les mesures nécessaires ? L’auteur apporte ici des réponses.

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La majeure partie de la forêt vierge amazonienne, la plus grande forêt au monde, d’une superficie de 6,7 millions de km², se trouve au Brésil. L’Amazonie est un des poumons de notre planète, un élément essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique, et elle abrite 10 % de la biodiversité mondiale

Son exploitation n’a jamais cessé depuis l’arrivée des Portugais au Brésil en 1500. Elle est une gigantesque réserve de bois, mais également de terres arables à défricher pour le secteur agroalimentaire. Le saccage s’est largement accéléré à partir des années 70, malgré une alerte lancée par le Club de Rome en 1972. La quasi-totalité de la déforestation pratiquée pendant la fin du XXe siècle est dûe à l’élevage, favorisé par le commerce de la viande et du cuir. En 1995, 91% des terres issues de la déforestation étaient utilisé pour l’élevage bovin.

L’Amazonie souffre aussi de la ruée des chercheurs d’or. L’orpaillage illégal a pour conséquence une pollution des terres et des rivières due à l’utilisation de mercure, ce qui est catastrophique pour les peuples autochtones. Début 2023, le nombre d’orpailleurs illégaux sur les terres du peuple Yanomami était estimé à 20,000 individus (la population de l’ethnie est estimée, elle, à 30 000 personnes).

La forêt est constamment détruite, que ce soit par les mains de l’homme, ou que ce soit par les incendies engendrés par le réchauffement climatique. En 2019 par exemple, les feux ont augmenté de 60% en comparaison des 3 années précédentes et ont détruit 906 000 hectares. L’activité humaine est quant à elle responsable, sur cette même année, de la déforestation de 1,5 millions d’hectares.

La déforestation est observée en permanence par les satellites de l’Institut National de Recherches Spatiales. Cette image date de 2019, année où la forêt amazonienne aurait perdu 10 000 km². Photo Mato Grosso State Communication  Department.

La nuisance de Bolsonaro
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Avec la chute de la dictature militaire et le retour de la démocratie, en 1985, la question de la protection de l’Amazonie a infusé la sphère politique brésilienne. Promulguée en 1988, la Constitution toujours en vigueur affirme la responsabilité de l’État brésilien en matière de protection environnementale. Le Brésil a donc accompagné la prise de conscience de la problématique climatique à l’échelle mondiale depuis les années 90. Durant ses deux premiers mandats  de président de la République, de 20033 à 2011, Luiz  Inacio  Lula, va, réussir à freiner l’exploitation de l’Amazonie, mais sans vraiment l’arrêter.

Ses successeures vont plus ou moins continuer sa politique, mais en 2016, Jair Bolsonaro est élu président du Brésil. Candidat d’extrême droite, il va se démarquer et laisser libre cours, et même encourager à l’exploitation de la forêt (75% de plus en comparaison de la décennie précédente 2008-2018).  Il va également laisser le champ libre aux orpailleurs. Ce dédain vis-à-vis de l’Amazonie va lui valoir un jugement sévère de l’opinion publique internationale.

Dès son investiture, Bolsonaro a amputé le ministère de l’environnement, en supprimant sa responsabilité dans la lutte contre la déforestation, les incendies et la désertification. Il a également supprimé sa prérogative pour la politique nationale et les négociations internationales relatives au changement climatique, et coupé les budgets des organismes en charge de la protection de l’Amazonie. Il a aussi  affaibli et décrédibilisé la Fondation Nationale pour l’Indien (FUNAI), principale institution de défense des droits autochtones, en mettant à sa tête un ancien général de l’armée.

Le retour de Lula
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Après des accusations de corruption, à tort ou à raison, Lula est incarcérée en 2018 et est libéré en 2019. La prochaine élection étant en 2022, Lula va se préparer et redorer son image, en se positionnant fortement en faveur de la protection de l’Amazonie et de ses habitants. En 2022, il fait de l’écologie le fer de lance et l’étendard de sa campagne électorale, et se positionne en ennemi farouche d’un président sortant décrier internationalement pour sa gestion de l’Amazonie.

Lula gagne les élections, de justesse, au second tour, le 30 octobre 2022, et prend ses fonctions le 1er janvier 2023. Pendant ce laps de temps entre les deux événements, Lula va mener une campagne internationale diplomatique afin de redorer l’image du Brésil ternie par Bolsonaro, et convaincre les pays occidentaux de la sûreté de ses promesses. Il prononce notamment un discours à la Cop 27 de Marrakech, où il se dit prêt à protéger coûte que coûte la forêt vierge amazonienne, et les peuples qui l’habitent. Au dernier recensement en 2010, le Brésil comptait quelques 800.000 autochtones habitant la forêt, contre 5 à 8 millions d’individus en 1500 (estimation de Carlos Fausto, anthropologue à l’université de Rio), et à peine 100.000 individus en 1950.

Lors de son investiture, Lula affirme « Nous allons lutter pour la déforestation zéro en Amazonie » et promet que d’ici 2030, il n’y aura plus de déforestation en Amazonie, que ce soit pour cause d’incendies, d’orpaillage illégal, ou de besoins des industries de l’agroalimentaires et du bois.

Ce site d’orpaillage clandestin n’a pas été découvert en terres brésiliennes, mais en Guyane. Mêmes outils, mêmes procédés, même forêt. Photo MinArm.

Le concret après les promesses 
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Dès le 1er janvier 2023, le nouveau président Lula a signé plusieurs décrets pour la protection de la forêt, notamment un décret pour réactiver le Fonds pour l’Amazonie, organisme de récolte de dons crée en 2008. Ce Fonds pour l’Amazonie compte actuellement 550 millions d’euros, avec une participation à 90% de la Norvège, et des promesses de participation de la part des dirigeants britanniques et allemands. Il a aussi révoqué un décret autorisant l’exploitation minière dans les zones indigènes et protégées.

Le 24 janvier, Marina Silva, ministre de l’environnement, a reconnu auprès de l’AFP que la réalité environnementale du Brésil était « pire » que prévue. La situation dans le territoire indigène yanomami au début 2022 était très grave, avec une pollution des eaux et des sols, mais également une forte recrudescence de paludisme, accompagnée de famines.

Sur les 30.000 individus que compte le peuple Yanomami, le ministère brésilien de la Santé dénombre 11.530 cas de paludisme, et 570 enfants morts de malnutritions sur les quatre années précédentes. Au vu de cette situation, une grosse opération des services de santé militaires a été montée par le gouvernement pour protéger ce peuple.

Pourtant, lorsque l’on regarde la déforestation de l’Amazonie sur le mois de février, on atteint des records avec 291 km² dévastés, soit 46 % de plus qu’en février 2022. Alors pourquoi ?

Une capacité politique restreinte
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L’orpaillage n’est pas la principale cause de déforestation, les industries agroalimentaires ont un impact bien supérieur. Pendant le mandat de Bolsonaro, ces industries, déjà très influentes, notamment celles du bétail (JBS) et du soja (Cargill), ont bénéficié de l’assouplissement des contraintes pour le défrichage de terres amazoniennes, et surtout d’un certain laissez-faire du gouvernement en place, plus favorable au développement économique qu’a la protection de l’Amazonie. Ces grosses industries ont par ailleurs développé leurs lobbies, et elles ont acquis un poids politique plus fort qu’avant l’élection de Bolsonaro, en particulier au niveau du Congrès.

Lula se trouve dans une situation politique tendue, avec un appareil d’agences environnementales affaibli par les cinq années précédentes. Sa coalition de partis de gauche représente 225 députés sur 513, ce qui ne lui donne pas la majorité et le groupe d’opposition conservateur dispose de 171 députés. 17 députés indépendants, issus de partis centristes ou autres, mais non affiliés à l’un des deux camps, complètent les 513 députés du Congrès.

La marge de manœuvre politique de Lula est donc faible. Pour preuve, le texte de loi PL490 adopté mardi 30 mai 2023 par le Congrès brésilien. Cette loi, portée par l’agro-négoce et l’extrême droite, est une attaque directe sur le droit des peuples autochtones, puisqu’elle stipule que l’homologation de nouvelles réserves ne sera possible que sur des terres comprises  dans le territoire indigène tel qu’il était en 1988, lors de la promulgation de la constitution du pays. Elle ne prend pas en compte les déplacements forcés des indigènes.

Cette loi autorise par ailleurs l’exploitation économique des terres indigènes, et la possibilité d’entrer en contact avec des peuples isolés, sous prétexte d’« utilité publique ». Il existe en effet dans la forêt amazonienne des peuples autochtones isolés, qui n’ont quasiment jamais été en contact avec notre civilisation, et le risque est grand de détruire ou de dégrader les vestiges d’une autre civilisation.

Raoni Metuktire, un chef indigène connu pour son activisme international en faveur de la protection de son peuple et de son habitat, a d’ailleurs fait une tournée de 3 semaines en Europe pour récolter des fonds via son Association pour la Forêt Vierge (AFV), et alerter sur la situation critique de l’Amazonie et de ses habitants. Il cherche toujours de l’aide, malgré les grandes promesses de Lula, n’étant pas dupe de la subversion des personnalités politiques.

Les experts s’accordent à le dire, l’arrêt de l’exploitation de la forêt amazonienne est impératif. Lula a tenu certaines de ses promesses à court terme. Mais pour pouvoir atteindre ses objectifs à long terme, il va devoir trouver une manière de contourner le Congrès, ou faire des compromis. Son mandat ne sera pas de tout repos, et malgré ses grandes promesses, la déforestation zéro en 2030 parait pour l’instant bien incertaine.

Comme l’a dit un expert de WWF-Brésil : « Nous savons que le nouveau gouvernement s’est engagé à contrôler la déforestation, mais il faudra du temps pour voir des résultats concrets »

(*) Titouan Colongue Bourgeois, est étudiant en deuxième année de bachelor à l’ILERI Paris (Institut Libre des Relations Internationales et des Sciences Politiques). Il est actuellement en stage chez Espritcors@ire, au profit d’EspritSurcouf.


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