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LE CANAL DE SUEZ
Un passage maritime stratégique vulnérable…
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Suite à l’échouage le 23 mars 2021, du porte-conteneurs Ever Given de 200 000 tonnes, le canal de Suez, voie maritime névralgique entre l’Europe et l’Asie par où transite près de 12% du commerce maritime mondial, a été fermé à la navigation pendant six jours. Près de 400 navires se sont trouvés bloqués dans le canal, dans le Grand Lac Amer, ou immobilisés devant Port-Saïd, au nord, et Suez, au sud.
Des navires militaires de toutes nationalités empruntent aussi le canal de Suez dans les deux sens. Pour les marines de l’OTAN, de la France opérant dans le golfe arabo-persique, ainsi que pour les bâtiments de la force navale européenne (Eunavfor) de l’opération « Atalante » (lutte contre l’insécurité dans le golfe d’Aden et l’océan Indien), il s’agit d’un passage stratégique.
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Explications de Joseph Le Gall,
Ancien officier de renseignement
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Le canal de Suez, en quelques chiffres
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Le canal, à niveau, c’est-à-dire sans écluses (contrairement à celui de Panama), mesure 162 km, entre Port Saïd (côté Méditerranée) et Suez (côté Mer Rouge) et 193 km en tenant compte des chenaux d’accès. Il comporte deux sections principales : Port Saïd – Ismaïlia ( 78,5 km) et Ismaïlia – Suez / Port Tawfiq (83,6 km). Selon les zones, sa largeur entre berges est de l’ordre de 300 à 360 m, mais sa largeur navigable varie de 150 à 260 m, tandis que sa profondeur varie de 14,5 à 23,5 m. Le siège administratif de l’Autorité du Canal de Suez (ACS) se trouve à Ismaïlia sur les rives du Lac Timsah.
Le canal voit transiter chaque année plus de 18 000 navires transportant plus d’un milliard de tonnes de marchandises, représentant en moyenne une cinquantaine de navires par jour.
Son fonctionnement
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La traversée du Canal se fait obligatoirement par convois : deux convois dans le sens nord-sud (Southbound), un seul dans le sens sud-nord (Northbound). Des zones de mouillage sont aménagées aux deux extrémités du Canal pour permettre aux navires de jeter l’ancre en attendant d’intégrer un convoi. La durée de transit varie de 12 à 16 h, en tenant compte des temps de mouillage pour le croisement des convois ; la vitesse de transit est de 6 à 9 nds (11 à 16 km/h).
Dans le sens N-S (Northbound), le premier convoi composé de trois groupes de navires commence son transit, de façon échelonnée, entre 1 h et 5 h du matin jusqu’aux Lacs Amer. Sur ordre de l’autorité du canal (ASC), le convoi se remet en route, dans un ordre déterminé : navires militaires, gaziers, p porte-conteneurs, porte-barges, VLCC ( très gros pétroliers), autres navires. Le premier navire de ce convoi N-S doit gérer sa vitesse de façon à croiser au niveau d’El Kabrit le dernier navire du convoi montant.
Le deuxième convoi quitte Port Saïd entre 7h et 9h du matin. Ne sont pas autorisés dans ce convoi les navires transportant des cargaisons dangereuses (certains tankers, méthaniers, chimiquiers, etc.), ainsi que les navires de guerre. Si nécessaire, les navires de ce deuxième convoi peuvent s’amarrer à un endroit situé au km 60 et continuer ensuite leur route après le passage du dernier navire du convoi S-N
Dans le sens S-N (Southbound), l’unique convoi démarre vers 6 h du matin (heure locale) au km 160 du Canal. Il comporte deux groupes de navires : le groupe A comprend les navires militaires, les porte-conteneurs de 3ème et 4ème générations, les navires porte-barges, les LPG (gaz de pétrole liquéfié) et LNG (méthaniers), les chimiquiers, enfin les VLCC et gros vraquiers à fort tirant d’eau ; le groupe B comprend tous les autres cargos et navires mouillés dans leurs zones réservées du Golfe de Suez.
La présence à bord d’un ou de plusieurs pilotes est obligatoire pour tous les navires en transit dans le Canal. Ces pilotes sont dégagés de toute responsabilité, les capitaines des navires étant seuls responsables en cas de dommages ou accidents résultant d’un incident de navigation. Leur seule fonction est de donner des conseils de navigation. Ils ne touchent à aucun appareil. Le capitaine (ou son second) doivent rester à la passerelle tout le temps du transit, de même que les timoniers.
Un passage maritime stratégique pour les marines de l’OTAN
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Plusieurs bâtiments de la marine française et de l’US Navy empruntent régulièrement le canal de Suez dans les deux sens. A titre d’exemple, on peut citer récemment côté français, dans le sens Méditerranée vers la mer Rouge :
- Le 25 février 2021 : le Porte-hélicoptères amphibie (PHA) Tonnerre et la Frégate de type La Fayette (FLF) Surcouf dans le cadre la mission « Jeanne d’Arc 21 », du Groupe école d’application des officiers de Marine (GEAOM).
- Le 5 mars : la Frégate multi-missions (FREMM) Provence comme bâtiment précurseur du Groupe aéronaval (GAN) formant la Task Force 473 (TF 473) *.
- Le 6 mars, le GAN, avec sur l’avant du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle, la frégate égyptienne El Fateh et la Frégate de défense aérienne (FDA) Chevalier Paul. A l’arrière du porte- avions, la frégate belge Léopold Ier et le Bâtiment de commandement et de ravitaillement (BCR) Var. Le groupe aéronaval est entré en mer Rouge en fin de journée.
* La présence française en mer Rouge et en océan Indien, associée à celle de ses partenaires, dans cette zone stratégique vise à y préserver la libre circulation. Avec ses capteurs multiples, le GAN contribue à la stabilisation et à la sécurisation, mais aussi à la constitution d’une capacité française d’appréciation autonome de situation dans cette région. Cette première phase visait à préparer l’intégration du GAN dans l’Opération CHAMMAL, volet français de l’opération INHERENT RESOLVE (OIR) de lutte contre le terrorisme islamiste. La Task Force 473 renforcera ainsi, depuis le golfe Arabo-persique, les moyens français déjà déployés dans la zone.
Côté américain, certaines sources laissent entendre que le groupe aéronaval américain formé autour du porte-avions USS Dwight D. Eisenhower (CVN-69), actuellement en Méditerranée, pourrait lui aussi transiter prochainement par le canal de Suez afin de gagner le Moyen-Orient (information non confirmée par l’US Navy).
On peut signaler aussi le passage le 9 mai 2019, d’une importante Task Force américaine composée du porte-avions nucléaire USS Abraham Lincoln (CVN 72) de 99 790 tonnes, du croiseur lance-missiles USS Leyte Gulf (CG 55), des destroyers USS Bainbridge (DDG-96), USS Mason (DDG-87), USS Nitze (DDG-94), accompagnés de la frégate espagnole Méndez Núñez.
Une voie maritime vulnérable…
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Avec le détroit d’Ormuz situé entre l’Iran et Oman, le détroit de Bab el-Mandeb situé entre le Yémen et Djibouti, le détroit de Malacca situé entre l’île indonésienne de Sumatra et la péninsule malaise, les détroits turcs du Bosphore et des Dardanelles et le canal de Panama, le canal de Suez fait partie des six détroits et passages vulnérables pour la navigation.
Concernant le canal de Suez, les risques sont doubles : le premier concerne un éventuel accident de navigation, à l’instar de l’Ever Given), le second, plus grave, est représenté par la menace terroriste, le groupe État islamique (EI) étant présent dans le Sinaï, à l’est du canal. Pour tenir compte de cette menace, les équipages sont au « Poste de combat » durant le transit afin de pouvoir réagir à une éventuelle attaque…
Dans le cas présent, l’immobilisation de près de 400 navires à fait craindre de possibles actes de piraterie. Certains armateurs ayant même sollicité l’aide de la marine américaine pour protéger leurs navires.
Enfin, on ne peut que s’interroger sur les conséquences que
pourraient avoir, aux plans de la sécurité et de la sûreté, une éventuelle
immobilisation dans le canal de Suez durant plusieurs jours d’un porte-avions nucléaire (américain ou français). Un tel événement ne manquerait pas de susciter de nombreuses réactions…
Légende Photos :
Bâtiments de l’US Navy, intégrés dans un convoi, en transit dans le canal (US Navy)
Carte du canal de Suez (DR)
Sources :
Françoise Massard (marinemarchande.net)
defense.gouv.fr/marine/
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