VERS
UNE EUROPE NOUVELLE ?
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Jean-Dominique Giuliani (*)
Président de la Fondation Robert Schuman
Compte tenu de l’actualité européenne, entre la nomination d’une nouvelle Commission européenne et la confirmation de la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE en janvier 2020, nous vous proposons un vibrant plaidoyer pour une Europe entreprenante. Une synthèse des réflexions de Jean-Dominique Giuliani, Président de la Fondation Robert Schuman, qui fait part de son point de vue sur la situation globale. On n’en attendait pas moins de l’auteur. Que le ciel, et surtout les dirigeants européens, l’écoutent. (La Rédaction).
ENTRE BESOIN D’AUDACE ET D’ENGAGEMENT DES NATIONS… AUTREMENT…
Après avoir élu la Présidente que lui proposaient les États membres, le 16 juillet dernier, le Parlement européen a donné, le 27 novembre, son accord à la nomination pour 5 ans d’une nouvelle Commission européenne de 27 membres. Cette dernière ne pourra certainement pas continuer à animer les institutions communes comme par le passé. D’importants et nombreux défis l’attendent : croissance économique, numérique, environnement, commerce, social. Il lui faudra bien sûr poursuivre et accélérer le travail entrepris, mais elle aura aussi une tâche herculéenne à réussir : favoriser l’ouverture d’une seconde phase de la construction communautaire.
Entre immobilisme et activisme
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L’Europe doit désormais prioritairement se tourner vers l’extérieur au lieu de continuer exclusivement à se préoccuper de manière « nombrilique » de ses problèmes internes.
L’extérieur, ce sont d’abord les citoyens; c’est aussi le grand large, le monde, la scène internationale. Apprendre à communiquer avec les Européens ; projeter les institutions communes dans l’avenir scientifique et technique et répondre aux demandes de sécurité en soutenant le renforcement de la défense de l’Europe ; réussir la réforme des règles de concurrence ; aller vers une véritable préférence européenne, qui peut susciter chez les citoyens une vraie fierté d’appartenance….tout cela est urgent.
S’il convient d’achever le marché intérieur (l’Union des marchés de capitaux et l’Union bancaire pour renforcer l’euro), se tourner vers le monde c’est peser de tout son poids sur la scène internationale en ne s’en remettant pas à d’autres pour défendre et promouvoir ses intérêts. C’est une chose que l’Europe doit encore apprendre !
Cela ne relève évidemment pas des seules compétences des institutions communes, et l’essentiel des efforts doit être accompli par les États. On mesure que ce n’est pas facile, entre l’immobilisme allemand et l’activisme français ! Force est de constater que les dirigeants européens ne font pas preuve d’une grande imagination ni d’un grand courage.
Une Commission à l’initiative ne doit donc pas se contenter de gérer l’acquis. Elle doit aider à imaginer l’avenir et le rendre possible. Elle peut s’adresser directement aux citoyens et doit revendiquer les succès des actions communes. Elle doit sortir de la « bulle bruxelloise », bien trop diplomatique et technique pour accompagner une véritable intégration politique. Elle doit abandonner le confort des seuls traités et de la règle de droit pour arpenter de nouveaux espaces d’innovation. Elle doit prendre des risques quitte à se mettre en danger. Elle doit se renouveler et explorer de nouvelles méthodes d’action.
Rien ne serait pire que de ne rien changer. Les Européens l’attendent. La relance du projet européen l’exige.
Le devoir des États
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6 mois après les élections, les institutions européennes sont donc en place. Parlement et Commission ont indiqué leurs priorités et leur engagement pour tenter de répondre aux fortes attentes des Européens. Mais qu’en est-il des États membres?Paralysés par des situations politiques intérieures difficiles, plus attentistes et peureux que jamais, sauront-ils saisir l’opportunité d’opinions publiques positives qui souhaitent des solutions efficaces à leurs angoisses ? Toutes les études montrent qu’elles sont prêtes à de vraies ruptures, c’est-à-dire des actions communes, pourvu que les résultats soient au rendez-vous.
Il est temps pour les gouvernements de cesser de confier à la diplomatie la conduite des affaires européennes, qui relèvent de la politique la plus pure et la plus noble.
L’Union européenne est entrée dans une nouvelle phase de son développement. Il ne s’agit plus prioritairement de décloisonner le continent. C’est fait, même s’il reste encore du travail. Il est question d’imposer l’Europe à sa vraie place, celle de son poids, dans un monde en plein bouleversement. Et cela ne peut se faire sans une forte volonté des états membres. Ce n’est plus de la technique, c’est de la politique !
Trois domaines au moins méritent un engagement résolu des gouvernements nationaux :
La sécurité et la défense. Ils doivent montrer leur détermination à défendre le continent, y compris au loin où nos intérêts sont en cause. Nos militaires le savent, qui travaillent déjà souvent ensemble sur le terrain et souffrent du manque de solidarités politiques au plus haut niveau.
L’investissement dans les technologies d’avenir exige un ambitieux budget […]. Il faut prendre des risques […] pour anticiper les technologies de demain, dans l’informatique, l’espace, le maritime, l’intelligence artificielle. Il en va de nos emplois.
La politique économique et monétaire exige une véritable Union continentale des marchés de capitaux, des règles bancaires et de l’épargne, source du financement de nos investissements. Elle appelle une révision complète et vraisemblablement la mise en commun de nos forces et de nos faiblesses. […].
Ce sont peut-être nos états membres qui sont en état de « mort cérébrale européenne. Ils ne brillent ni par leur audace ni par leur imagination !
La nouvelle législature européenne qui s’ouvre ne sera que combats d’arrière-garde et petites fâcheries, si une grande ambition, partagée par quelques états membres, portée et assumée par eux, ne vient pas offrir à l’Europe communautaire l’occasion de mobiliser toute son énergie vers l’avenir.
On attend donc de nos gouvernements qu’ils montrent l’exemple de coopérations concrètes. Toute initiative d’au moins deux états qui partagent leurs moyens dans un esprit européen ouvert aux autres pour affronter ces problématiques, déclenchera un mouvement nécessaire. Qu’ils montrent l’exemple et le train européen s’ébranlera. Sinon, il pourrait bien patiner longtemps sur ses rails.
Le Brexit, épreuve pour le nationalisme
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En donnant une majorité absolue aux conservateurs de Boris Johnson, les Britanniques ont confirmé leur vote du 23 juin 2016 en faveur d’une sortie de l’Union européenne. Elle aura lieu le 31 janvier 2020.
Considérée comme une amputation pour l’Europe et un mauvais calcul pour le Royaume-Uni, cette décision est beaucoup plus que cela ; elle constitue un test démocratique fondamental : le retour à la nation est-il la solution ?
Le principal argument des Brexiters était, en effet, de « reprendre le contrôle » de leur destin au nom de la souveraineté, forcément nationale.
En ce début agité de XXIème siècle, les peuples cherchent dans leur identité et leurs racines, un refuge aux vertiges et incertitudes du monde. Ils se tournent vers ce qui leur est le plus familier, la famille, la commune, la région ou la nation.
[…]
La véritable expérience qui attend les artisans du Brexit est bien celle-là : seront-ils en mesure de répondre aux fortes attentes des Britanniques qu’ils ont exacerbées?
L’État national qu’ils ont magnifié est-il encore capable, seul, de répondre aux demandes de sécurité et de prospérité de leurs électeurs, aux besoins économiques et sociaux du pays et plus simplement à l’intérêt général du Royaume ? Ou bien la complexité des problématiques à résoudre, l’interdépendance des économies et des sociétés, l’extraordinaire mobilité des personnes et des biens, exigent-elles des coopérations de plus en plus étroites, des régulations supranationales, des organisations multilatérales ?
(*) Jean-Dominique Giuliani
Président la Fondation Robert Schuman, centre de recherche de référence sur l’Union européenne et ses politiques.
Conseiller spécial à la Commission européenne (2008-2010), il a précédemment été Maître des Requêtes au Conseil d’État, directeur de cabinet du Président du Sénat M. René Monory (1992-1998) et directeur à la direction générale du groupe Taylor Nelson Sofres (1998-2001). En 2001, il fonde: J-DG.Com International Consultants qu’il préside.
Membre du Conseil de Surveillance d’Arte France (depuis 2009) et Président de l’ILERI (Institut Libre d’Étude des Relations Internationales) (depuis 2019).
Vous pouvez suivre Jean-Dominique Giuliani sur son site : https://www.jd-giuliani.eu/
La Fondation Robert Schuman, créée en 1991 et reconnue d’utilité publique, est le principal centre de recherches français sur l’Europe. Elle développe des études sur l’Union européenne et ses politiques et en promeut le contenu en France, en Europe et à l’étranger. Elle provoque, enrichit et stimule le débat européen par ses recherches, ses publications et l’organisation de conférences.
La Fondation Robert Schuman est répertoriée dans la rubrique THINKTANKS
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