LA PRÉSIDENCE
DE TOUS LES ESPOIRS

Jean-Claude Beaujour (*)
Avocat international, Vice-président France-Amériques


Jamais une passation de pouvoir aux Etats-Unis n’aura suscité autant de tensions et d’attentes, aussi bien au plan intérieur qu’au plan international. Contrairement à Barak Obama, dont l’arrivée au pouvoir avait soulevé une ferveur populaire, Joe Biden, 46° Président des Etats-Unis, n’a pas bénéficié de la même ambiance lors de sa cérémonie d’investiture. Sa route est encombrée d’embûches semées par des américains qui se disputent méchamment.
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En janvier 2009, et pour la première fois, le Presidential Inaugural Committee avait dû ouvrir au public la totalité du National Mall, ce parc qui va du Washington Monument au Capitole. C’était parce qu’une énorme foule souhaitait être présente à la cérémonie de prestation de serment de Barak Obama, 44° Président des Etats-Unis.  La semaine dernière, l’intronisation de Joe Biden a bien été une fête, mais une fête petite, solennelle, un peu ennuyeuse, sans chaleur populaire, sans exubérance, sans l’écho tonitruant de fanfares aujourd’hui masquées.

Il est vrai que la crise sanitaire empêchait elle seule tout rassemblement massif. Et puis les évènements survenus au Capitol le 6 janvier, et la décision de poster près de 25.000 soldats dans la ville, ont donné à la capitale des Etats-Unis l’aspect d’une ville en état de guerre, loin de l’image d’une cité manifestant sa joie.

Enfin, l’absence du président sortant Donald Trump ne pouvait que renforcer le caractère insolite de cette cérémonie, renforçant de fait le sentiment que l’Amérique était plus que jamais divisée. Certes, la polarisation de la société américaine ne résulte pas des quatre années passées à la Maison Blanche par Donald Trump. Mais elle est apparue à la face de l’ensemble des américains comme du reste du monde de manière explosive, avec la marche de quelques milliers d’hommes et de femmes, issus pour certains de mouvements d’extrême droite (« l’Alt-right »), adeptes d’actions violentes. Le monde entier ce 6 janvier 2021 a pu constater que l’une des plus grandes et anciennes démocraties du monde pouvait sérieusement être chahutée.

Joe Biden prête serment sur la bible. Capture d’écran JCCCIC

Cinq caps


C’est dans ce contexte que le 46e président des Etats-Unis a prêté serment le 20 janvier, à 12h00, en mettant l’accent, dans son premier discours officiel, sur cinq axes principaux. Tout d’abord, Joe Biden veut réunir ces deux Amériques qui ne se parlent plus et qui en arrivent à se considérer comme des ennemies. Cet objectif est d’autant plus nécessaire qu’il ne faut pas oublier les 74 millions de suffrages recueillis par le président sortant, qui a toujours contesté les résultats sortis des urnes au profit de Joe Biden.

Ensuite le nouveau président, très inspiré par le Dr King, souhaite tout mettre en œuvre pour rétablir la justice raciale. Il concède qu’entre l’idéal constitutionnel, qui pose que tous les hommes sont égaux, et la réalité quotidienne, il y a l’évidence de la division raciale aux Etats-Unis. Par ailleurs, Joe Biden veut aussi s’attaquer aussi bien à la gestion de la Covid 19 (laquelle a fait à ce jour plus de 450.000 décès aux États-Unis, soit plus de morts qu’au cours de la seconde guerre mondiale), qu’aux conséquences économiques et sociales qui en découlent. De même que la transition écologique et la mise en œuvre de l’Accord de Paris est une préoccupation du nouveau président qui a chargé John Kerry de la gestion de ce dossier. Enfin, le président veut que l’Amérique retrouve une place de leadership international.

On ne doute pas de la volonté de Joe Biden de s’attaquer à ces sujets. Pour autant, les maux dont souffre le pays depuis plusieurs décennies sont tels que l’on peut légitimement s’interroger sur ses chances de succès et, à tout le moins, identifier les obstacles qu’il aura à surmonter.

Obstacles


Il ne suffit pas de déclarer que l’on souhaite réunifier le pays pour qu’il en aille ains. Encore faudra-t-il convaincre les électeurs et les élus de l’importance vitale de faire exister cette autre Amérique. Le renforcement des extrêmes au cours des vingt dernières années, tant chez les Républicains que chez les Démocrates, ne peut que compliquer les prises de position consensuelles. La réélection de personnalités fortes chez les Démocrates, telle Alexandria Ocasio-Cortez, favorable à une forme de rupture avec le système existant (elle se réclame du socialisme démocratique) alors qu’elle a largement concouru au succès de Biden, est de fait une illustration du niveau d’exigence qu’aura l’aile gauche du parti vis-à-vis du nouveau président américain. Dans le même temps, la nouvelle Administration devra aussi parler et être entendue d’une partie de l’électorat de Donald Trump, qui est, rappelons-le, passé de 63 à 74 millions de voix.

Les plus violents électeurs de Trump à l’assaut du Capitole, le 6 janvier. Photo d’un participant saisie sur Facebook

L’Amérique est divisée car le pays est composé de communautés qui vivent désormais et plus que jamais entre elles en fonction de leur histoire, de leur religion, de leur résidence, de leur éduction ou encore de leur mode d’interaction sociale. Dès lors il semble presqu’impossible de réunir ces communautés alors qu’elles ont le sentiment que tout ce qui ne leur ressemble pas est néfaste. Ainsi, au-delà des déclarations, la nouvelle Administration, munie de tous les leviers possibles, devra donner un espoir réel pour chacun. Un sacré enjeu !

Si la nouvelle Administration veut réconcilier l’Amérique, elle devra redonner du sens au rêve américain,  lequel passe par une redéfinition de ce que sera l’Amérique des cinquante ans à venir. Cela intègre nécessairement la nécessité de lutter contre les inégalités sociales. Dans les deux Amériques, nombreux sont ceux qui considèrent, pour des raisons bien différentes (mondialisation, immigration, racisme), qu’ils sont les oubliés du système.  Parler aux deux Amériques, c’est faire en sorte de procurer un emploi au plus grand nombre, c’est parvenir à améliorer l’accès au système de santé, c’est être capable d’assurer une mixité géographique. En d’autres termes ce serait pour le gouvernement faire « la guerre à toutes les formes de pauvreté », au-delà même de ce qu’avait tenté de faire Johnson en 1964.

Par ailleurs, si les défis au plan domestique sont nombreux, ils le sont aussi au plan international. Chacun connait l’intérêt du nouveau président pour les sujets internationaux et la culture multilatéraliste des futurs acteurs de sa politique étrangère (Antony Blinken, John Kerry…), par opposition à la vision unilatéraliste de l’Administration sortante. Cela dit, la politique étrangère de Biden ne sera pas une simple copie de celle menée avant Donald Trump. Par exemple à l’égard de la Chine. Les déclarations du nouveau secrétaire d’Etat américain sur le dossier chinois montrent bien que les États-Unis ne changeront pas sur le fond.  

L’heure de vérité


Le nouveau président aura besoin de sa majorité au Congrès, ainsi que du soutien d’élus modérés du camp républicain. Au-delà, il aura besoin de toutes les parties prenantes, à commencer par tous acteurs du monde économique dont les grandes entreprises qui ont récemment tourné le dos à Donald Trump de façon très engagée et publique.

Nombreux sont ceux qui regrettent les tensions raciales, qui considèrent que l’ascenseur social fonctionne mal, ou encore qui ont été ulcérés par les évènements du Capitol début janvier. Pour autant, force est de rappeler que toute cette expression de la démocratie, aussi sincère soit-elle, ne règle en rien les problèmes de fond pesant sur le futur américain comme sur le futur international. C’est désormais l’heure de vérité qui sonne. En effet il s’agit de savoir ce que les parties prenantes à la construction de cette nouvelle Amérique seront capables d’apporter, rapidement, concrètement et avec sincérité.

Un échec de Biden représente un risque tangible pour la société américaine tout entière et un risque pour la démocratie, car il renforcera les extrémistes présents au Capitol le 6 janvier dernier, et pourrait durablement impacter notre futur collectif, par ailleurs très ébranlé par la crise de la Covid19 et par ses effets.

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(*) Jean-Claude Beaujour, Docteur en droit, diplômé de Harvard, est avocat au barreau de Paris. A ce titre, il a une pratique essentiellement orientée vers le règlement des litiges. Médiateur du CEDR (Center for Effective Dispute Resolution de Londres) et responsable de la commission médiation de l’ICC (International Chamber of Commerce). Jean Claude Beaujour est Vice-Président de France-Amériques et Board member de l’Institut européen de Berkeley university.
Il est l’auteur de l’ouvrage «
Et si la France gagnait la bataille de la mondialisation », Éditions Descartes, Paris 2013   Cet ouvrage est présenté dans la rubrique « LIVRES » du n°151 du 16 novembre 2020.

Bonne lecture et rendez-vous le 08 février 2021
avec le n°157

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