LA DIRECTION GENERALE
DE LA SECURITE EXTERIEURE
(DGSE)
Capitaine de frégate (H) Joseph Le Gall*
Dans ce numéro 55 suite de l’étude « Le Renseignement et le Terrorisme »
Dans le n°48, nous avons présenté : la vidéo de la conférence de Pierre Molins, Procureur de la République de Paris, prononcée au lundi de l’IHEDN le 12 février 2018.
Dans le n°52 : un HUMEURS de Jean François Clair et un FOCUS sur la CNRLT
Dans le n°53 : la DRM par le général Claude Ascensi
Dans le n° 54 : La DRSD
Par décret du 2 avril 1982, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) a succédé au Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE). Service de renseignement extérieur, placé sous l’autorité du ministre des armées, la DGSE travaille au quotidien pour l’ensemble des hautes autorités de l’État.
* Joseph Le GALL, ancien officier de la Sûreté navale (DSM/DPSD : 1970/1997), a travaillé au profit du SDECE, au Havre, entre 1970 et 1974, dans le cadre de la surveillance des navires du pacte de Varsovie.
L’histoire du service
L’histoire de la DGSE s’inscrit dans la continuité de celle des services de renseignement qui l’ont précédée.
C’est en 1940, alors en exil à Londres, que le général de Gaulle crée le service de renseignement de la France Libre qui deviendra, en 1942, le Bureau central de renseignement et d’action (BCRA).
A partir de 1942, le BCRA devient l’une des plus importantes administrations de la France Libre, assurant seul – avec l’aide de ses homologues britanniques – l’ensemble des liaisons entre le territoire national et l’autorité centrale dirigée par le général de Gaulle depuis Londres puis Alger. Il joue ainsi un rôle majeur dans l’unification de la Résistance française sous l’égide de l’homme du 18 juin et contribue largement à ce que la France soit reconnue comme l’un des acteurs de la victoire.
Photo dédicacée du général de Gaulle, « Au BCRA, en toute confiance ! 15/12/42 », signée C. de Gaulle (Archives DGSE)
À partir de 1943, dans le cadre de la stratégie alliée de libération de l’Asie, le général de Gaulle décide la reconquête de la péninsule indochinoise. Le BCRA puis la Direction générale des études et des recherches (DGER), son successeur en 1945, sont chargés des actions de recherche du renseignement ainsi que des opérations clandestines contre les forces d’occupation japonaises. Le Service est implanté à cet effet sur deux théâtres d’opérations, en Inde et Chine.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’Indochine (1946-1954) s’exercera sur l’un des terrains de bataille les plus brûlants de la guerre froide. Par un décret du 4 janvier 1946, la DGER est remplacée par le Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage (SDECE ). Pour faire face à la guerre subversive conduite par le Việt Minh et ses soutiens du bloc de l’Est et de la Chine, le Service crée le 28 février 1947, un poste à Saïgon. Le 7 mai 1954, la chute du camp retranché de Diên Biên Phu annonce la fin de la guerre conventionnelle.
Robert Maloubier, dit « Bob »: agent célèbre du SDECE
Robert Maloubier a marqué le service « Action » du SDECE. Agent secret, résistant et parachutiste pendant la Seconde Guerre mondiale, au service de la Couronne britannique au sein du fameux Special Operations Executive, il rejoint la DGER en 1946. Ensuite, au sein du SDECE, il met son expérience à profit pour la formation du service « Action » et créer les nageurs de combat. Titulaire de nombreuses décorations françaises et britanniques, il est décédé le 20 avril 2015, à l’âge de 92 ans.
En octobre 1954, en Algérie, le bureau politique du comité révolutionnaire algérien crée le Front de libération nationale (FLN) et appelle à la rébellion contre la France. Celle-ci est déclenchée le 1er novembre par une série d’attentats contre les Européens résidant en Algérie. Les unités militaires sur place sont renforcées. Un groupement de marche du 11ème bataillon de choc s’installe en Algérie et la question algérienne devient prioritaire pour l’ensemble des services de renseignement et de sécurité français.
Le 4 juin 1955, le SDECE reçoit mission de mettre hors d’état de nuire l’organisation politico-militaire du FLN ; la 11ème demi-brigade parachutiste de choc (11ème DBPC) est créée. Cette unité, dont fait partie le 11ème bataillon de choc, est chargée d’exécuter les opérations spéciales montées par la direction du SDECE et de participer aux missions de recherche en renseignement opérationnel, planifiées par l’état-major. Le service « Action » va engager une guerre de l’ombre contre les soutiens étrangers du FLN, et les trafiquants d’armes qui fournissent la rébellion (voir encadré).
« Aux premiers jours de la guerre d’Algérie, les commandos de choc du SDECE reçoivent l’ordre de frapper la rébellion à la tête. Pendant huit ans, les hommes du légendaire service « Action » et de la 11ème demi-brigade parachutiste de choc vont mystifier l’ennemi…Ils parachutent leurs agents au-delà des frontières, de la Libye au Maroc…En Europe même, ils poursuivent leur guerre implacable. Des bateaux chargés de munitions sont sabotés…En Suisse, en Allemagne, en Espagne, des trafiquants d’armes, des responsables rebelles sont neutralisés. »
(Erwan Bergot « Commandos de choc en Algérie » – Grasset 1981)
En 1962, avec la fin de la guerre d’Algérie, le SDECE va désormais porter son effort sur les services secrets des pays de l’Est et l’espionnage industriel et militaire.
Le 26 août 1964, un nouveau décret fixe les attributions respectives de la DST (Direction de la surveillance du territoire) et du SDECE :
Le SDECE agit à l’étranger, pour détecter et contrôler « les activités d’espionnage et d’ingérence dirigées contre la France ou les intérêts français ». La DST lutte en France et dans les territoires français contre « les activités d’espionnage et d’ingérence des Puissances étrangères ».
Le 2 avril 1982, le SDECE est remplacé par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) dont la mission reste identique :
« Rechercher et exploiter les renseignements intéressant la sécurité de la France, ainsi que détecter et entraver, hors du territoire national, les activités d’espionnage dirigées contre les intérêts français afin d’en prévenir les conséquences. »
En 1985, le 11ème bataillon de choc est reconstitué pour être mis à la disposition du service action de la DGSE, sous le nom de 11ème régiment parachutiste de choc (11ème RPC) – (ndr : il sera dissous en 1993).
Le 18 novembre 1990, lors du sommet de la CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe), la guerre froide entre l’Est et l’Ouest est officiellement close. Désormais, les grands axes de recherche des services de renseignement et de sécurité concerneront le terrorisme international, l’intelligence économique, la prolifération d’armes de destruction massive et le crime organisé.
Àprès les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, les missions des différents services de renseignement et de sécurité vont se recentrer sur le terrorisme islamique.
La DGSE aujourd’hui
Organisation et fonctionnement
L’organisation interne de la DGSE est fixée dans l’arrêté du 21 décembre 2012. Placée sous l’autorité d’un directeur général, le service comprend cinq directions : Direction du renseignement, Direction des opérations, Direction de la stratégie, Direction technique, Direction de l’administration.
Monsieur Bernard Emié, diplomate, est directeur général de la sécurité extérieure depuis le 26 juin 2017.
La DGSE emploie 6 000 personnes (63% de civils et 37% de militaires) dans 22 domaines de compétence (exploitants du renseignement, officiers traitants, linguistes, exploitants des données de communication, ingénieurs des systèmes d’information et de la communication, crypto-mathématiciens, etc.).
Ses valeurs : Loyauté – Exigence – Discrétion – Adaptabilité (le système « LEDA »).
La DGSE est soumise au contrôle gouvernemental et à des contrôles spécifiques, internes et externes.
Missions et spécificités
Le champ d’action de la DGSE se situe essentiellement hors des frontières de notre pays. La DGSE y applique des méthodes clandestines de recherche du renseignement. Le secret des moyens employés et des objectifs poursuivis garantit la sécurité du service et de ses agents.
Sa mission est de rechercher à l’étranger des informations secrètes, intéressant la défense et la sécurité nationale (renseignement de crise, contre-terrorisme, contre-prolifération notamment).
En communiquant aux autorités les éléments ainsi recueillis et analysés, elle participe à leur prise de décision.
La DGSE est naturellement présente dans les zones de crise et quand les intérêts français sont en jeu. La DGSE est un service spécial, qui permet le maintien d’une présence, là où les canaux diplomatiques ne peuvent plus être utilisés.
Service de renseignement intégré, la DGSE maîtrise la totalité des modes de recueil de renseignement : sources humaines, capteurs techniques (interceptions électromagnétiques et imagerie satellitaire principalement), moyens opérationnels et exploitation des sources ouvertes. Elle obtient également des renseignements par le biais de coopérations avec d’autres services, français et étrangers. Enfin, la DGSE dispose d’une capacité d’entrave et d’action clandestine.
Deux défis majeurs
La lutte contre le terrorisme ainsi que la lutte contre la prolifération d’armes de destruction massives et de leurs vecteurs, devenues des enjeux de défense et de sécurité globaux, représentent deux défis majeurs de la DGSE. En effet, terrorisme et prolifération sont non seulement des facteurs de menace contre les intérêts français, mais également des générateurs d’instabilités régionales et de crises internationales. L’effet déstabilisateur de la prolifération et du terrorisme sur la sécurité internationale est d’autant plus important qu’ils se développent dans des zones de tension ou à partir de celles-ci.
Le 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont été frappés par quatre attentats-suicides menés par des membres d’Al-Qaïda qui avaient réussi à détourner quatre avions des lignes intérieures.
Ces attentats, les plus meurtriers de l’Histoire, ont fait près de 3000 morts et 6300 blessés.
D’où la question :
Comment les services de renseignement et de sécurité de la première puissance militaire mondiale ont pu ainsi être mis en échec ?
(Photo DR)
Le défi que représente la lutte contre le terrorisme, considéré comme une véritable menace stratégique, conduit la DGSE à adapter en permanence son dispositif en raison de la diversification des modes opératoires utilisés par les terroristes, de la diffusion des réseaux djihadistes, une mouvance complexe et évolutive, ainsi que de l’ampleur et de la multiplicité de leurs actions.
Egalement enjeu de sécurité global majeur et autre défi essentiel pour la DGSE, la lutte contre la prolifération implique notamment un suivi particulièrement rigoureux des programmes proliférants, des Etats qui les développent, ainsi que des pays ou des entités qui fournissent à ces derniers les technologies, les savoir-faire et les financements nécessaires.
Pour relever ces défis et prendre en compte ces risques qui nécessitent de développer sans relâche des capacités d’anticipation et de connaissance ainsi que des capacités d’adaptation et de réaction rapides, la DGSE assure une mission de recueil de renseignements et d’entrave des actions de prolifération dans les domaines nucléaire, balistique, chimique et biologique.
Ses cibles sont à la fois les États proliférants, qui développent des programmes d’armes de destruction massive, et les Etats proliférateurs, qui disséminent leurs technologies et leurs savoir-faire. Les réseaux d’acquisition, maillons indispensables entre proliférants et proliférateurs, font également l’objet d’un suivi attentif.
L’action de renseignement intervient tout au long du cycle de la prolifération : en amont (anticipation et détection des programmes par l’analyse d’indices variés), pendant la crise et dans la période de l’après-crise. En parallèle, La DGSE assure un suivi des réseaux de prolifération pouvant être au contact de mouvements terroristes. La conjonction potentielle entre terrorisme et armes de destruction massive représente une menace immédiate contre la sécurité de la France et de ses alliés. Dans ce cas précis, le recueil du renseignement et l’action d’entrave nécessitent une capacité de réaction très rapide, en fonction du niveau de la menace.
Analyse et combinaison des moyens
La DGSE est avant tout un organisme de recherche appliquée au domaine politique et sécuritaire extérieur. À travers les documents qu’elle produit et sa participation au processus de décision en matière de politique extérieure, la DGSE apporte une vision différente de la compréhension du monde. Elle enrichit un débat qui s’alimente des analyses diplomatiques, stratégiques, etc., réalisées par d’autres experts…
Les parties du monde où la DGSE est la plus présente sont naturellement d’abord les zones historiques d’intérêt français. Ses agents sont donc prioritairement actifs en Afrique, dans le monde arabe, en Europe centrale et balkanique ainsi qu’en Asie. Depuis quelques années cependant, la demande des autorités mandataires de la DGSE et ses propres préoccupations se sont conjuguées pour couvrir de manière plus intensive les zones de crises et les nouveaux espaces de non-droit qui leur sont souvent associés.
La DGSE gère également en continu son réseau et sa présence dans l’espace mondial. Si le temps de crise exige qu’elle resserre son dispositif, les périodes de paix lui permettent d’élargir la gamme de ses sources et de sa couverture. Sa direction du renseignement se compose de secteurs consacrés à des zones géographiques ou attachés à des problématiques sécuritaires transfrontalières : monde arabe, Afrique, Europe, Asie, Amérique, prolifération, terrorisme, criminalité organisée et contre-espionnage.
Le traitement d’un renseignement, réalisé à Paris, est directement dépendant de la méthode utilisée pour son obtention. Il existe quatre grandes catégories de renseignement, obtenu par la recherche humaine, technique, opérationnelle ou via une coopération entre services…
La recherche humaine consiste à « solliciter » une personne ayant accès au renseignement…Le travail de recrutement d’une source est lent, répétitif, insistant, et éminemment subtil. Il met en jeu toutes les qualités de l’officier traitant (OT) qui doit faire preuve d’une finesse psychologique acérée dans son approche…Ce travail est réalisé en coordination avec la Centrale, à Paris, pour lequel un analyste spécialisé dans le secteur (géographique ou thématique) et un « officier recherche » vont guider l’officier traitant dans son travail…
La recherche opérationnelle, en revanche, ne s’attache pas à un matériel « humain ». Elle consiste à récupérer un document ou à piéger un système de communication. Elle oblige à l’intervention de spécialistes de l’action, rompus à la discrétion et aux technologies impliquées…
Troisième moyen, le plus lourd en termes d’investissement : le renseignement par moyens techniques…Faisceaux satellites, téléphonie mobile : bien qu’invisibles, ces signaux électromagnétiques circulant dans l’espace peuvent être interceptés…Les interceptions sont réalisées dans le cadre de la loi. Aux signaux électromagnétiques s’ajoute l’observation optique. Les satellites Hélios apportent à la DGSE, comme à la DRM, une capacité d’observation depuis l’espace, notamment utile dans la lutte contre la prolifération. L’ensemble de ces moyens recouvre des savoir-faire de très haute technicité (cryptologie, traitement du signal. Etc.)…
Coopération, recherche humaine, technique et opérationnelle vont devoir être orchestrées. C’est le rôle d’un spécialiste : l’analyste…
L’analyste dispose des quatre moyens de recherche qu’il combine pour recouper un renseignement, affiner, synthétiser les données qui lui parviennent et réorienter chaque capteur. À cet échelon comme à tous les autres niveaux, l’objectivité est la qualité qu’il s’agit de préserver…
Sous l’orientation de l’analyste, l’officier en poste agit comme un capteur humain qui balaye les structures, cherche celle qui sera utile, s’attarde sur certaines, se concentre sur d’autres. Une synergie s’instaure entre l’analyste et le poste à l’étranger…
Dernière étape de la circulation du renseignement : ses destinataires. L’interface avec les très hautes autorités de l’État est assurée par la Direction de la Stratégie de la DGSE, créée en 1989. Le type de demandes émises par les décideurs politiques peut aller de l’orientation générale au renseignement très précis, en passant par des éléments contextuels utiles à une administration. La DGSE précise : « Dans tous les cas, nous veillons à l’adaptation de la forme de notre production aux besoins du destinataire ».
Ce dossier a été réalisé à partir d’informations officielles provenant essentiellement de la DGSE, dont des extraits de l’article « l’Art du renseignement » publié dans Armées d’aujourd’hui, numéro de décembre 2002 – janvier 2003, accessible sur son site internet.
Autres sources : ministère des armées – service historique des armées et Revue historique des armées (RHA) .
(Photos : DGSE – Académie du Renseignement)
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