Pyongyang préfère la Russie
à la Chine
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Pierre Houste (*)
Bachelor en Relations internationales
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Dans un contexte géopolitique tendu, la Russie, isolée après son invasion de l’Ukraine, se rapproche de la Corée du Nord pour des soutiens mutuels. Ce partenariat, motivé par des besoins militaires et économiques, inquiète la Chine, qui craint une perturbation de ses intérêts en Asie du Nord-Est.
Le rapprochement entre la Russie et la Corée du Nord
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Avec la guerre en Ukraine, de nombreux pays proches de Moscou n’ont pas exprimé de soutien clair à la Russie, comme l’Iran ou la Chine, en tout cas officiellement. En effet, seulement cinq pays ont refusé de condamner l’invasion russe de l’Ukraine lors du vote de l’assemblée générale de l’ONU lors du vote du 7 mars 2022. Parmi ses cinq pays, on trouve la Corée du Nord, état qui a toujours été très proche des régimes autoritaires de la région, comme la Chine et la Russie.
Afin de pouvoir mener efficacement sa guerre contre Kiev, Moscou a besoin d’aide extérieure. De plus, après les sanctions mises en place par les pays occidentaux en 2022, la Russie se voit dans l’obligation de trouver de nouveaux débouchés pour son économie. La Chine, alliée de longue date du Kremlin, veut garder une position officiellement neutre afin de continuer à commercer avec les États-Unis et leurs alliés. Des livraisons d’armes chinoises à la Russie dans le cadre de la guerre en Ukraine sont donc exclues. C’est dans ce contexte que les relations russo-nord-coréennes ont commencé à se réchauffer.
Du point de vue de la Corée du Nord, une alliance avec la Russie permettrait de briser la dépendance économique envers la Chine. En effet, plus de 90% du commerce international nord-coréen passe par la frontière chinoise. Il est important de souligner que depuis la mise en place de sanctions contre le régime nord-coréen, suite au développement de son programme nucléaire, Pékin fournit la quasi-totalité du pétrole et de la nourriture dont Pyongyang a besoin.
Une des caractéristiques du nouveau rapprochement Corée du Nord-Russie est l’envoi de soldats nord-coréens sur le front ukrainien, qu’on estime à 11 000. Ceci constitue une première dans le conflit, qui constituait, jusqu’à l’année dernière, un affrontement entre soldats russes et ukrainiens uniquement.
À l’automne 2024, Vladimir Poutine a invité Kim Jong Un au Forum économique de l’Extrême-Orient Russe. La Russie montrait ainsi une volonté de coopérer plus en profondeur avec Pyongyang et d’étendre son influence en Asie du Nord-Est, réduite à néant après la chute de l’URSS. Cette rencontre a été suivie, le 29 mars 2024, par un veto russe au Conseil de Sécurité de l’ONU sur un renouvellement des sanctions envers la Corée du Nord. Le 27 juin 2024, Poutine s’est rendu dans la capitale nord-coréenne afin de signer un accord d’assistance mutuelle en cas d’agression, étendant ainsi le partenariat déjà existant entre les deux pays.
Les conséquences d’un tel rapprochement sur la stratégie chinoise en Asie du Nord-Est
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La Chine a représenté, depuis la guerre froide, un allié essentiel à la survie du régime nord-coréen. Cette relation s’est intensifiée depuis la chute de l’URSS, et la disparition du principal partenaire commercial de la Corée du Nord. Le régime des Kim a donc dû s’appuyer exclusivement sur Pékin afin de subvenir à ses besoins.
Du point de vue de la Chine, Pyongyang est un allié encombrant et imprévisible qu’il faut maintenir stable. En effet, la politique étrangère belliqueuse de la Corée du Nord et la possible éruption d’un conflit dont le petit pays serait à l’origine aurait un impact désastreux sur la Chine et sa politique étrangère.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, Xi Jinping fonde le futur de son pays en tant que puissance d’envergure mondiale sur l’économie plutôt que sur son armée. Le projet des « Nouvelles Routes de la Soie » est une constituante fondamentale de cette stratégie. Pour qu’un maximum de pays acceptent l’installation d’infrastructures chinoises sur son territoire, il faut que la Chine ait une réputation de pays stable et fiable. Des efforts ont été fait dans ce sens envers la Corée du Sud, le Japon et même les Etats-Unis, où ont été exportées 500 milliards de dollars de marchandises en 2023 selon le bureau national des statistiques de Chine. C’est ainsi que, le même jour que la rencontre entre Vladimir Poutine et Kim Jong Un à Pyongyang, des responsables chinois étaient en visite à Séoul.
Un conflit dans la région interromprait les relations économiques que Pékin entretient avec ses voisins. Or, la Russie, puissance actuellement en guerre, ne montre aucune volonté de modérer son effort de guerre et présente un politique étrangère anti-occidentale bien plus forte que celle de la Chine. De plus, et en échange de la vente d’obus et de missiles nord-coréens, les Russes ont fourni une assistance à la Corée du Nord pour son programme spatial.
Ainsi, à cause du réchauffement des relations russo-nord coréennes, que Moscou refuse d’appeler une alliance, Pyongyang est plus susceptible de déclencher un conflit contre son voisin du Sud.
Nous pouvons voir cela dans la montée des tensions récentes entre les deux Corées. Cela s’est notamment trduit par l’envoi de ballons remplis de déchets en Corée du Sud et la diffusion de musique de propagande en direction de la Corée du Nord. Si une guerre ouverte venait à se produire, les Etats-Unis et leurs alliés de la région fourniraient sûrement un soutien à la Corée du Sud que ce soit sous forme de sanctions envers la Corée du Nord, la Chine et/ou la Russie ou bien par la livraison d’armes ou de financements à Séoul. Quoi qu’il en soit, une montée des tensions, peu importe son origine, serait catastrophique pour la politique étrangère chinoise, qui nécessite de maintenir des relations stables avec l’Occident.
L’impossibilité d’un axe Pyongyang-Moscou
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Comme nous l’avons vu, la Russie et la Corée du Nord ont signé un pacte d’assistance mutuelle en cas d’agression le 27 juin 2024 , lors de la visite de Vladimir Poutine à Pyongyang. Ainsi, si un conflit venait à se déclencher entre les deux Corées, Moscou se verrait dans l’obligation de prêter assistance à la Corée du Nord, chose qu’elle ne peut pas se permettre étant donné son implication en Ukraine. En effet, il est difficile d’imaginer l’armée russe se battre sur un front supplémentaire en Extrême-Orient, au vu des progrès qu’elle peine à réaliser en Ukraine de manière significative dans des délais brefs.
À cette question s’ajoute celle des armes nucléaires. Depuis 2006, la Corée du Nord possède officiellement des armes nucléaires, ce qui menace grandement la stabilité de la région. Tout comme la Chine, la Russie n’a aucun intérêt à voir Pyongyang développer une stratégie de dissuasion nucléaire efficace. C’est pour cela que Moscou a voté pour l’élargissement des sanctions envers la Corée du Nord en décembre 2017 à travers le Conseil de Sécurité de l’ONU.
La Corée du Sud représentait, avant l’invasion de l’Ukraine, un partenaire crucial pour le développement économique de la Russie asiatique. En 2018, le commerce entre les deux pays s’élevait à 24,8 milliards de dollars, une somme non négligeable. Les investissements sud-coréens en Extrême-Orient russe sont d’une importance capitale pour le Kremlin.
Depuis plusieurs années, la Russie a opéré un pivot vers l’Asie face à l’élargissement de l’Union Européenne et de l’OTAN. Cette stratégie est loin d’être en phase avec la réalité économique russe. L’Extrême-Orient russe est une région sous-peuplée et globalement plus pauvre que la Russie européenne.
La Corée du Sud voulant étendre son influence économique dans la région, la Russie est un partenaire incontournable pour le pays. C’est ainsi que Moon Jae-in, président coréen de 2017 à 2022 a encouragé un rapprochement avec Moscou en inaugurant la « politique des 9 ponts ». Cette politique regroupe neuf domaines de coopération avec le plus grand pays du monde, dont l’importation de plus de gaz naturel liquéfié russe, l’exploitation de la route commerciale en Arctique ou encore la création d’une grille énergétique reliant la Russie, la Corée du Sud, le Japon, la Chine et la Mongolie. Si cette relation semblait prometteuse il y a 6 ans, la guerre en Ukraine et l’envoi de soldats nord-coréens dans l’oblast de Koursk, territoire russe en partie conquis par l’Ukraine, a mis fin à cette politique. Comme nous le voyons depuis maintenant 2 ans, un rapprochement trop prononcé entre Moscou et Pyongyang envenimerait cette relation indispensable pour la Russie asiatique et laisserait la Chine seule étendre son influence économique dans la région.
Il est donc nécessaire de nuancer la possibilité d’une alliance complète entre la Russie et la Corée du Nord étant donné les liens que Moscou entretient avec la Corée du Sud et l’instabilité que cela provoquerait dans la région, ce qui jouerait en défaveur des intérêts russes.
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(*) Pierre Houste est étudiant à l’ILERI en 2e année de bachelor en relations internationales, sur le campus de Paris. Il publie chaque mois une newsletter résumant l’actualité internationale sur son compte LinkedIn et souhaite devenir journaliste dans un média d’actualité internationale. |
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