La France au Sénégal et en Côte d’Ivoire

(1946-1980)

Waly D. Mame Diarra Gueye (*)
Maître ès Sciences historiques

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Après la Seconde Guerre mondiale, la France tient à moderniser son empire colonial afin de favoriser une renaissance hégémonique. Conjointement, au lendemain des indépendances, le système d’aide au développement est utilisé par la France dans ses anciennes colonies. Ainsi de 1946 à 1980, au Sénégal et en Côte d’Ivoire l’aide de l’État français connait des transitions allant du colonialisme à la coopération post-coloniale. L’aide est ainsi passée d’un outil d’encadrement de la colonie à un instrument stratégique de coopération. Face à cette situation, il devient important de montrer en quoi l’aide française reflète les intérêts croisés de la France et de ses anciennes colonies.

L’aide française dans le cadre colonial

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Dès 1946, le Fonds d’Investissement et de Développement Économique et Social (FIDES) a été mis en place dans les colonies françaises. Le FIDES sert ainsi à organiser de manière centralisée les dépenses du plan de développement. C’est ainsi une nouvelle optique française pour le développement dans les colonies après les indépendances. Dans le cadre de l’Union française, le fonds est utilisé pour la création d’infrastructures performantes telles que des hôpitaux, des routes, des ports et des écoles. Les leaders politiques du Sénégal accordaient un attachement notable au FIDES et à l’Union Française qui, pour eux, n’étaient pas tributaires de l’indépendance effective. En Côte d’Ivoire, le fonds contribua en grande partie à la poursuite de l’effort entamé depuis les années 1930, car il s’attacha à la réalisation des conditions nécessaires au développement dont l’essentiel furent le canal de Vridi et le port d’Abidjan. Ce canal, qui avait pour rôle de promouvoir l’essor d’Abidjan et achevé en 1950, a mobilisé 6 milliards de Fcfa. Entre 1946 et 1949, environ 1281 milliards ont été investis dans l’ensemble de l’Afrique occidentale française (AOF) via le FIDES. Le Sénégal a reçu près de 150 milliards et la Côte d’Ivoire environ 100 milliards.

Ainsi, au Sénégal comme en Côte d’Ivoire, l’amélioration des voies d’acheminement des produits, de la scolarisation, de l’hygiène et surtout de l’agriculture ont été mis en avant par le programme du FIDES. Il fallait investir pour éviter les troubles politiques notamment avec les effets de la Loi Gaston Defferre du 23 juin 1956, qui permettait au gouvernement français de lancer des réformes et à prendre des mesures spécifiques dans les territoires qui relevaient du ministère de la France d’outre-mer. Il s’agissait aussi de préparer leurs économies à l’intégration future à l’espace franc. De ce fait, le FIDES en 1949, va laisser la place au Fonds d’Équipement Rural et de Développement Économique et Social (FERDES). D’autres fonds suivront et le FIDES perdurera encore deux ans après l’accession à l’indépendance (1960 pour les deux pays).

Indépendance et naissance de la coopération bilatérale

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Le lien qui unit la France, le Sénégal et la Côte d’Ivoire n’est pas rompu avec les indépendances. Des accords de coopérations ont été signés et les deux pays africains conservent d’étroits liens avec la métropole. L’accord de coopération signé simultanément garantissait à la France le maintien de sa présence militaire et de son influence politique. En réalité, bien que la décolonisation et l’indépendance du Sénégal aient entraîné une réduction de l’espace géographique occupé par la base, sa fonction stratégique en tant que point d’appui en faisait un outil essentiel de la politique et de la stratégie militaire française en Afrique.

La même situation prévaut en Côte d’Ivoire. Félix Houphouët-Boigny, Président de la République ivoirienne de novembre 1960 à décembre 1993, était un allié des Français. Il a toujours prôné pour des relations privilégiées entre la France et son empire colonial, d’où son concept de Françafrique. La nouvelle Constitution ivoirienne est inspirée de celles françaises et américaines. Elle a donc un puissant exécutif et une Assemblée transformée en chambre d’enregistrement avec des députés favorables au Président et surveillés de près par le Parti démocratique de Côte d’Ivoire. C’est dans le cadre de sa coopération avec l’ancienne métropole que la Côte d’Ivoire a signé des traités ou accords bilatéraux avec la France. Cela implique que la France garde une présence militaire en Côte d’Ivoire avec des bases et troupes stationnées contribuant ainsi à la stabilité du régime d’Houphouët-Boigny.

Lors de la première quinzaine après l’indépendance (1960-1975), l’aide revêt un caractère technique et bilatéral. Au Sénégal, le secteur éducatif est renforcé promouvant la formation d’une élite intellectuelle. En Côte d’Ivoire, le projet agricole ambitieux de Félix Houphouët Boigny est appuyé. Cette situation entraînait une forte dépendance de part et d’autre mais elle fut assumée par les États africains fraichement souverains et en quête de stabilité. La France a ainsi, durant la décennie 1960-1970, accordé en moyenne 45% de son aide publique au développement des colonies. Le Sénégal et la Côte d’Ivoire ont fait partie des bénéficiaires. En effet, près de 1500 coopérants étaient en poste au Sénégal et aux alentours de 2000 en Côte d’Ivoire. Ils servaient notamment l’enseignement, l’agriculture et l’administration.

Remise en question et diversification de l’aide
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À partir des années 1970, la nature de l’aide change et évolue. En effet, les objectifs de développement des pays africains s’agrandissent ainsi que leur envie de souveraineté. La coopération française se tourne alors vers des objectifs de développement plus vastes. Entre 1980 et 1990, la Côte d’Ivoire connait des perturbations socio-politiques dont l’entière responsabilité fut attribuée à la France. Sa présence au cœur des problèmes africains fait ainsi de la France un enjeu central des politiques de ces pays. Cela se traduit ainsi par les sommets franco-africains, l’importante présence diplomatique, et les réseaux de défense et de gestion des conflits.

Pour se détacher du cercle colonial, le Sénégal met en place de nouveaux organismes au profit des sept nouvelles régions. Il s’agit de l’Office de la commercialisation agricole (OCA), des Centres régionaux d’assistance pour le développement du Sénégal (CREDS) et de la Banque Sénégalaise de développement (BSD), tous créés par le décret du 30 mai 1960. Débute alors l’ère des plans entre 1960 et 1979. Ces plans ont connu leurs limites. Celles-ci étaient d’une telle acuité que ni l’assistance technique, ni la coopération internationale n’ont pu régler le déséquilibre. Les politiques d’ajustement structurels sont ainsi proposées au Sénégal par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) « dans le but de réduire les déficits budgétaires, de stabiliser les économies nationales et d’encourager la croissance économique ». Le pays tend vers une autonomisation de l’économie, même si ses relations de coopération avec la France sont toujours présentes. Néanmoins, en 1975, au Sénégal, on dénombrait plus de 150 entreprises à capitaux concentrées à Saint-Louis, à Dakar er à Thiès. Il est également notée la gestion de plus de 50% des importations nationales par les entreprises françaises.

En Côte d’Ivoire, malgré le miracle ivoirien, l’instabilité économique était tout de même présente depuis les années 1980. Cela avait conduit à la mise en place des programmes de redressement économique et financier. D’où les politiques d’ajustement structurels (PAS). Les crises qui émergent au début des années 1990 invitent à s’interroger sur l’efficacité de ces plans qui ont été des réponses du FMI et de la BM pour résoudre ces dysfonctionnements économiques. Les économistes ivoiriens, eux-mêmes, remettent en question tant les hypothèses économiques que sociales et cela dans de nombreux domaines. L’enthousiasme que montrait la Banque mondiale concernant ces PAS entre 1985 et 1987 a dû être nuancé à la suite de l’effondrement économique que subit ce pays depuis 1988. L’ajustement structurel de 1990 a joué le rôle d’un « détonateur politique », perturbant le système du parti unique en Côte d’Ivoire. Cependant en 1980, 400 entreprises françaises se sont installées en Côte d’Ivoire et ce dans plusieurs secteurs clés comme les hydrocarbures et l’agro-industrie (Total, Elf, SIFCA, Société d’exploitation des bananes, etc.). La France représentait déjà 60% des investissements directs en Côte d’Ivoire en 1978.

Dans ces conditions, la France ajuste son rôle mais n’enlève rien de son influence historique.

L’aide française est passée d’un outil de gestion des colonies à un système de coopération entre 1946 et 1960. Elle a permis et facilitée l’influence de la France dans ses anciennes colonies. L’ancienne métropole accompagne ainsi étroitement mais inégalement ses anciennes colonies. En 1970, la construction de nations souveraines pousse les pays africains à demander plus d’autonomie créant ainsi une réorientation de l’aide vers des objectifs de développement vastes et concrets. Cette situation marque le début d’un rééquilibrage à la suite des critiques africaines et l’émergence de l’aide multilatérale. Avec la diversification des partenaires, l’aide devient plus conditionnée et transparente. Ainsi, sont ouverts, de nouveaux débats futurs sur la souveraineté économique et la redéfinition des relations franco-africaines.

(*) Waly dite Mame Diarra GUEYE, est Maître en Géopolitique, Relations internationales et stratégies. Titulaire d’un master en Sciences historiques au département d’Histoire et Civilisations de l’Université Assane Seck Ziguinchor (Sénégal), elle s’est spécialisée en Histoire économique. Son mémoire de master porte sur L’intervention de la France dans les politiques de développement au Sénégal et en Côte d’Ivoire (1946-2000

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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