Sport et violences urbaines
en boucle

Pascal Le Pautremat (*)
Rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF

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En 2008, l’historien Yvan Gastaut, spécialiste de l’histoire de l’immigration en France et dans le monde méditerranéen, mais aussi de l’histoire du sport et du football en particulier, signait un article intitulé « Le sport comme révélateur des ambiguïtés du processus d’intégration des populations immigrées » dans la revue Sociétés contemporaines (dont la thématique globale portait sur « L’intégration par le sport », 2008/1 n° 69 ; éd. Presses de Sciences Po. 188 pages).

L’universitaire y analyse les troubles survenus lors du match France-Algérie, au Stade de France, le 6 octobre 2001. En effet, ce match, qui réunissait près de 80 000 spectateurs, fut entaché de divers incidents. Un nombre conséquent de spectateurs algériens sifflèrent la « Marseillaise » avant que plusieurs centaines d’entre eux n’envahissent les pelouses du stade, certains scandant même des « Vive Ben Laden ».

Yvan Gastaut, dans son étude scrupuleusement documentée, estime alors que « le match est d’ores et déjà considéré par les historiens comme un événement politique autour du lien entre la ‘question de l’immigration’ et le sentiment d’identité nationale qui fait débat depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République ».

Il souligne le tiraillement de la société française, comme des milieux politiques, quant à la lecture de l’événement. Certains mettent en accusation des jeunes immigrés mal intégrés – des « sauvageons » comme les avait définis en 1998, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur – colporteurs d’une insécurité en roule libre, tandis que d’autres insistent sur le tiraillement de jeunes entre deux cultures de référence et expliquent les incivilités constatées lors – et en marge – du match, par la bêtise et l’inconscience.

Toujours est-il qu’un sondage IPSOS, effectué les 12 et 13 octobre 2001, concluait que 56 % des personnes interrogées considéraient les événements survenus au Stade de France comme « des incidents graves car ils témoignent des difficultés d’intégration d’une partie de la population française d’origine musulmane »

Cette rencontre agitée fut loin d’être un cas isolé puisque la « Marseille » fut à nouveau conspuée quelques mois plus tard, le 11 mai 2002, cette fois lors de la finale de la Coupe de France de football (Lorient-Bastia) devant un Jacques Chirac, furieux, au point de quitter momentanément la tribune officielle du Stade de France.

Près de 23 ans plus tard, finalement, en marge de la Coupe d’Europe et de la victoire du Club du Paris Saint-Germain contre l’Inter Milan, le 31 mai dernier, à Munich, la situation en France est la même…mais en pire, compte tenu de la dégradation de la situation socio-économique dans notre pays. Le bilan, établi les jours suivants, faisait état de 2 morts et de 563 interpellations dont 491 à Paris, parmi lesquelles 307 gardes à vue. Un tiers des gardés à vue était composé de mineurs. Côté des forces de l’ordre, on comptait 22 blessés, sachant que 5 400 policiers et gendarmes étaient mobilisés pour, en principe, endiguer les dérives …

Lors de la réception des joueurs à l’Elysée, le dimanche 1er juin, Emmanuel Macron scandait : « Rien ne peut justifier ce qu’il s’est passé ces dernières heures […] Nous poursuivrons, nous punirons, on sera implacables ». Pourtant la triste réalité est là et se répète. On peut retenir l’exemple du match PSG Arsenal, lors de la finale de la Ligue des Champions, le 7 mai 2025 qui se solda, lui aussi, par de nombreux cas de violence aux abords du Parc des Prince, où la rencontre se tenait, et sur les Champs Elysées.

Notons que pour la saison 2024/2025, 64 rencontres de football professionnel, selon les données communiquées par le ministère de l’Intérieur, ont été émaillées d’incidents graves (bagarres, agressions, violence contre les forces de l’ordre, etc), entraînant plus de 700 interpellations, soit une hausse de 41% par rapport à la saison 2023-2024. Lors de cette dernière, il fallut déployer environ 48 000 fonctionnaires de police pour assurer la sécurité lors des rencontres de football (+ 6 % par rapport à la saison précédente).

 

Au gré des années, les « sauvageons », mineurs multirécidivistes, auraient-ils laissé la place à des « barbares », pour reprendre le terme employé notamment par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, même s’il est utilisé par bien d’autres depuis des années ? Face à ces postures, les courants dits de gauche sont très critiques et même choqués par une telle sémantique.

En clair, on ne fait que voir se répéter les mêmes certitudes, les mêmes oppositions alors que les maux ne font que s’amplifier, dans une réalité où la violence se banalise et, pire, devient un mode d’expression.

Les dérives comportementales, les hystéries collectives usent du pillage et de la destruction comme de l’opposition violente aux forces de l’ordre, et en font des vecteurs existentiels.

En réalité, ce nihilisme est une véritable tragédie qui témoigne d’une incapacité collective à avoir pu éviter une telle situation.

On pourrait dresser un long et fastidieux inventaire des experts les plus connus, qu’il s’agisse de sociologues, politologues, psychologues, philosophes : toutes et tous auraient des éléments d’explication pertinents, recevables, qui, cumulés, permettent évidemment de déterminer les raisons et motivations exactes de telles exactions.

Mais si l’on veut être pragmatique, on ne peut plus dorénavant s’inscrire dans des temps longs, en souhaitant le meilleur au gré de réformes promises mais finalement bancales : vers plus d’autorité que les libertaires conspueront sans doute ? Vers plus de social dont certains dénonceront l’aspect démagogique et décalé ?

Sur le terrain – dans la rue, sur les boulevards, dans les quartiers – le temps n’est plus à la patience et à l’expectative. Des actes sont attendus et souhaités.

 

On sait qu’insuffler du civisme, ranimer les convictions citoyennes, est impératif ; véritable ordre du jour portés par plusieurs ministères. Mais face à ceux qui sont en rupture avec le système régalien, le jeu est faussé et la cause bien fastidieuse à porter.

 

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Le 259ème numéro d’Espritsurcouf insiste donc sur ce contraste récurrent entre logique régalienne de maintien de l’ordre et inadéquation des réponses adoptées face à une insécurité ancrée, qui exaspère tant elle perdure.

Cette réalité, évidemment, n’échappe donc pas à Xavier Raufer dont le regard analytique pointe les contradictions systémiques – ou systématique ? – interministérielles, face à une criminalité forte et polymorphe : « Ministres éclipses, criminels acharnés » (rubrique HUMEURS).

Laure Fanjeau, de son côté, met en lumière les forces de l’ordre dont la posture complexe, en corrélation avec le cadre juridique en vigueur, est au cœur d’une certaine problématique socio-politique, face à une délinquance de plus en plus adepte de l’extrême violence : « Les Forces de l’ordre », (Rubrique LU, VU ET ENTENDU POUR VOUS).

Dans un tout autre domaine, Pierre Houste nous rappelle combien autour du conflit russo-ukrainien se joue des positions géostratégiques spécifiques pour les pays asiatiques, en l’occurrence pour la Corée du Nord et ses interrelations avec la Chine : « Pyongyang préfère la Russie à la Chine » (rubrique GEOPOLITIQUE).

En prenant un peu de distance avec les questions d’actualité, nous vous proposons un retour sur la politique de la France en Afrique de l’ouest dans les premières décennies suivant 1945, à travers l’étude que lui consacre Waly D. Mame Diarra Gueye : « Le jeu d’influence français au Sénégal et en Côte d’Ivoire de 1946 à 1980 » (rubrique HISTOIRE)

Vous trouverez également le nouveau SEMAPHORE d’André Dulou avec un thème accordé à la « Coercition légitime ».

Enfin, côté édition, nous mettons en avant l’ouvrage de Sylvie Bermann qui étudie l’évolution des relations sino-russes. Sylvie Bermann fut respectivement ambassadrice de France à Pékin (2011) puis à Londres (2014) et enfin à Moscou (2017). Elle est, aujourd’hui, présidente du conseil d’administration de l’IHEDN. Dans son livre, elle relate l’histoire tumultueuse des rapports entre les deux pays, autour de frontières à préserver, d’espaces à élargir, notamment sous les tsars dont Catherine II, et depuis le milieu du XXe siècle, et de liens politico-diplomatiques et économiques assez variables et finalement inégaux : même si, depuis peu, on fait état d’un partenariat stratégique entre les deux grandes puissances. Sylvie Bermann, L’Ours et le Dragon Russie-Chine : Histoire d’une amitié sans limites ? Ed. Tallandier, coll. Essais, 288 pages. (Rubrique LIVRES).

 

Bonne lecture

Pascal Le Pautremat

 

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(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF.
Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF.