France/Afrique,
le Passé au Présent
l
Paul Charles (*)
Etudiant en Science politique (L3) -UCO
L
*
« Une France en difficulté face à un Passé qui la rattrape »
.
La récente complication des relations diplomatiques entre la France et ses anciennes colonies inspire l’auteur qui dresse un état de la situation qui constitue, en soi, un sujet à polémiques au cœur du monde politique.
Dans sa diplomatie, la France doit agir en étant restreinte par le boulet de forçat qu’est son passé colonial. Face à la honte, au regret et aux accusations, elle est confrontée à un choix draconien : le repentir ou la fermeté. Payer de son argent le prix des erreurs d’un régime différent ne plaît évidemment pas à une France qui tente de moderniser son image tout en se montrant solide sur l’échiquier international. Certes, quelques pas discrets avancent dans la bonne direction, mais de grands bonds en arrière font parfois sursauter commentateurs et responsables politiques tant ils manquent d’adresse.
Un discours qui n’a pas brillé par sa mesure…
.
Lors de son discours aux ambassadeurs de 2025, le président français Emmanuel Macron a évoqué la réorganisation des troupes françaises en Afrique, face à des enjeux en mouvement. Il a mis un point d’honneur à défendre la fierté française, en expliquant que la France n’avait pas été chassée de l’Afrique mais qu’elle était au contraire à l’origine de cette décision. Selon lui, la France était alors restée silencieuse par politesse, pour rester correcte. Doit-on donc déduire de cette prise de parole théâtrale qu’il ne souhaite plus être poli ? Il faut croire que la politesse se perd quand « on a oublié de nous dire merci »… Au-delà des paroles, c’est le ton qui blesse. Macron s’élève en rabaissant les dirigeants africains, « qui n’ont pas eu le courage vis-à-vis de leurs opinions publiques de le porter« .
Cette condescendance n’est pas passée inaperçue sur le continent africain. Le gouvernement tchadien a d’ailleurs publiquement relevé cette « attitude méprisante à l’égard de l’Afrique et des Africains« . Le premier ministre sénégalais, quant à lui, a rappelé que la France était bien souvent à l’origine de l’instabilité, comme ce fut le cas en Libye. Au Burkina Faso, le chef de la junte Ibrahim Traoré a critiqué une mentalité coloniale et insultante vis-à-vis de « tous les africains » et invite ces derniers à oser se débarrasser des impérialistes.
Un sursaut africain au ton nationaliste
.
Bien que Paris entretienne de bonnes relations avec certains pays, sa diplomatie subit tout de même un vent de souverainisme et d’anti-impérialisme populiste, qui ferme les yeux sur les bons côtés de la présence militaire française en Afrique. L’ex-ambassadeur au Mali et au Sénégal, Nicolas Normand, rappelle d’ailleurs que « Dans le Tchad, la réaction surprend un peu, car le président Déby et son père doivent à la France quasiment leur existence en tant que chef d’État« . En effet, malgré son attitude dédaigneuse, Macron a raison sur le fait que certains pays n’ont pas eu le courage de remercier la présence française, simplement car cela irait à l’encontre de leurs intérêts et objectifs souverainistes. Puisque le nouveau nationalisme est à tendance souverainiste et panafricaine, l’union des nations, dans leur rejet de la France, apparaît comme une nécessité. Ce n’est d’ailleurs pas un rejet complet, mais simplement un écartement sur les questions liées à l’indépendance et à l’identité.
Les conséquences pour la France
.
Cette agitation diplomatique est néfaste pour la France, puisqu’elle révèle l’affaiblissement de sa capacité de projection militaire. C’est d’ailleurs particulièrement important dans le cas de l’Afrique, historiquement liée à la France et où ses forces armées étaient conséquentes ; ce qui avait valu à la France le surnom de « Gendarme de l’Afrique » et lui avait permis de faire valoir une certaine expertise dans la gestion des crises africaines, reconnue à Bruxelles. Ce revirement est la preuve que la France n’a pas réussi sa décolonisation de manière harmonieuse, à l’inverse du Royaume-Uni, mais aussi qu’elle a échoué à protéger sa grandeur, son pouvoir.
Au-delà de l’importance diplomatique, si l’on se concentre sur les intérêts pratiques, la France perd peu en retirant ses troupes et bases militaires en Afrique. Elle perd des points d’appuis, utiles en cas de crises uniquement, qui « apparaissent comme un héritage néocolonial » selon l’expert en relations internationales Thierry Vircoulon. De plus, les intérêts militaires français se sont lentement déplacés vers le Moyen-Orient, l’Asie du Sud-Est et plus récemment l’Europe de l’Est. De même, pour les intérêts économiques, qui ne représentent plus une raison suffisante pour conserver une présence militaire renforcée, mis à part à Djibouti.
Des relations franco-algériennes sans espoir ?
.
En Algérie, la rhétorique politique anti-française développée par le FLN après la décolonisation reste une variable importante de l’opinion publique algérien vis-à-vis de son voisin et ancien colon. Les relations s’étaient améliorées sous la présidence de François Hollande, notamment à travers la lutte commune contre le terrorisme et la mise en place d’instance de communication bilatérales. D’autre part, l’Algérie avait remarqué la volonté d’avancée mémorielle dont faisait preuve Emmanuel Macron, notamment en commandant à l’historien Benjamin Stora un rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, en juillet 2020, dont les recommandations serviront « la réconciliation entre les peuples français et algériens« .
Cependant, cette amélioration passagère n’a pas survécu aux changements subis par les paysages politiques des deux pays. Alors que l’Algérie relance son discours anti-français, la France de Macron penche vers une politique migratoire d’extrême-droite en réduisant le nombre de visas attribués et en accélérant le renvoi des étrangers sous OQTF. Petit à petit, la France se met à critiquer la « réécriture de l’histoire » et le caractère anti-français des politiques algériens, dans le but de redorer son image de grande puissance qui ne reconnaît pas ses erreurs, comme lorsque Retailleau déclare qu’”Aucune douleur de l’Histoire n’autorise un pays à offenser la France » face au Sénat. En outre, les deux pays s’ingèrent dans les affaires politiques intérieures de leur voisin pour appuyer leur propos par la critique, ce qui déplaît de chaque côté.
Peut-on espérer une amélioration des relations, bien qu’elles aient disparues dans bien des domaines ? Probablement pas. Au-delà des questions mémorielles et historiques, certaines problématiques actuelles s’ajoutent aux tensions. Le soutien français sur la scène internationale au plan marocain sur la question du Sahara Occidental pose problème. L’incarcération de Boualem Sansal, écrivain français vivant en Algérie et critique du régime, est aussi critiquée par la France. Une chose est sûre, lorsque Bruno Retailleau écrit qu’il souhaite des relations « normalisées » avec l’Algérie, soit « une relation d’égal à égal, sans arrière-pensée, dépourvue de cette idée d’un droit de tirage perpétuel sur la mémoire pour reprocher à la France les événements passés« , il fait moins un pas vers l’Algérie que devant cette dernière, en plaçant la France comme victime de cette relation toxique.
![]() |
(*) Paul Charles est étudiant en 3èmeannée de sciences politiques à l’Université Catholique de l’Ouest (campus de Nantes). Il s’oriente vers le journalisme politique international. |
Laisser un commentaire