LA GUERRE DU
NAGORNIÎ – KARABAKH

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Jean-Pierre Arrignon (*)
Historien

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Le Haut-Karabagh est une enclave montagneuse ethnique peuplée d’Arméniens, située au sud-ouest de l’Azerbaïdjan. Le 27 septembre, l’armée Azérie y a porté une attaque surprise, et le territoire s’est à nouveau embrasé. Il s’agit d’une vraie guerre, avec un risque certain d’internationalisation. Russes, turcs, iraniens et occidentaux ont des intérêts dans cette région, Ankara (Turquie) encourage Bakou (Azerbaïdjan), Moscou est liée par un traité militaire à Erevan (capitale de l’Arménie).
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La demande d’union du Haut-Karabakh avec l’Arménie s’est développée pacifiquement dès 1980, suite à la désintégration de l’Union soviétique. Le 26 février 1988, un million de personnes défile à Erevan et revendique le rattachement du Haut Karabagh à l’Arménie. Le Parlement de l’enclave vote le rattachement à l’Arménie. Un referendum confirme ce vœu à plus de 95%. Il en résulte une guerre violente marquée par des accusations réciproques de nettoyage ethnique.


La première guerre du Haut Karabagh

Cette guerre prend une ampleur particulière dans l’hiver 1992-93. L’existence de l‘Azerbaïdjan est menacée, entraînant des médiations internationales qui échouent. Au printemps 1993, les Arméniens occupent 9% du territoire azerbaïdjanais outre le Haut-Karabagh. Ce conflit d’une extrême violence fait plus de 30 000 morts, plus de 400 000 réfugiés arméniens fuyant l‘Azerbaïdjan et 800 000 réfugiés azéris d’Arménie et du Haut-Karabagh. Le pouvoir politique de l’Azerbaïdjan s’effondre. Le pays accepte le cessez le feu proposé par la Russie ; il est signé en mai 1994. Les Azerbaïdjanais se tournent alors vers un ancien membre du Politburo du Parti communiste de l’URSS, Heydar Allyev.

Il dirige le pays d’une main de fer, mais parvient à négocier un contrat en or avec l’industrie pétrolière. Il peut mener une politique de stabilisation du pays. Mais le problème du Haut-Karabagh n’est pas réglé. En 2003, Heydar Allyev renonce à solliciter un nouveau mandat. Son fils, Ilham Allyev, lui succède jusqu’à nos jours. Il mène une politique dictatoriale reposant sur un retour du nationalisme et le réarmement de l’armée, achetant du matériel de guerre à la Russie et Israël. Le Haut-Karabagh est  perçu par les Azéris comme la « ligne bleue des Vosges » en France, après 1870.

Ilham Allyev, président d’Azerbaïdjan, mène la guerre de reconquête.
Capture d’écran de la télévision de Bakou.

La seconde guerre


Elle éclate le 27 septembre 2020 pour ramener l’enclave du Haut-Karabagh, République auto-proclamée en 1991, et non reconnue par les organisations internationales, au sein de l’Azerbaïdjan. La guerre provoque les mobilisations générales des deux camps. Les combats sont d’une extrême violence, avec l’utilisation d’armes modernes et de drones. Les populations civiles ne sont pas protégées ; la capitale Stepanakert est bombardée.

De plus, le conflit s’internationalise avec l’arrivée de mercenaires djihadistes en provenance de Syrie : par exemple, les 300 hommes de la division Sultan Mourad, composée majoritairement de Turkmènes, soutenus par la Turquie et affiliés à l’armée de libération syrienne, déployés dès le 24 septembre 2020 (un déploiement confirmé par E. Macron).  L’Azerbaïdjan a le soutien de la Turquie, d’Israël et de la Hongrie. Pour cette dernière, son soutien se manifeste au nom de l’intégrité territoriale et de la souveraineté des Etats en tant que principe de droit public.

Aujourd’hui les risques d’internationalisation du conflit sont majeurs. Les appels de la communauté internationale à un cesser le feu immédiat se multiplient mais n’ont pas encore été effectifs malgré la concession du Premier ministre arménien d’accepter de négocier. Seule la Russie, qui est en contact avec les deux belligérants, semble en mesure de prendre des initiatives. Pourtant, l’Arménie se sent abandonnée par son allié russe. L’Union européenne, quant à elle, est plus proche de la position de la Hongrie.


Quelles leçons à tirer


Un premier constat s’impose : désormais les communautés internationales (ONU, Union européenne, etc.) ne reconnaissent plus les cessations territoriales unilatérales des régions (Haut-Karabagh) ou les rattachements à d’autres Etats (Crimée). Or ces « Etats » n’étant pas reconnus, nourrissent tous les nationalismes des Etas dont ils se sont séparés et qui n’ont qu’un seul objectif : reconquérir ces territoires perdus. Cela se traduit par des politiques de réarmement en vue de mener des guerres de reconquête à court, moyen ou long terme. La stratégie de la non-reconnaissance nourrit la guerre.

La cathédrale de Coucha, haut lieu symbolique pour les arméniens, est aujourd’hui éventrée, bombardée à deux reprises par les forces azéries.
Photo DR.

Il me semble urgent que les communautés internationales réfléchissent et prennent en compte le Décalogue de l’Acte final d’Helsinki, voté le 1e août 1975 pour régir les relations internationales : (1) égalité souveraine, respect des droits inhérents à la souveraineté – (2) non-recours à la menace ou à l’emploi de la force – (3) inviolabilité des frontières – (4) intégrité territoriale des Etats  – (5) règlement pacifique des différends – (6) non-intervention dans les affaires intérieures – (7) respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales y compris la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction – (8) égalité des droits des peuples et droit des peuples à disposer d’eux-mêmes – (9) coopération entre les États – (10) exécution de bonne foi des obligations assumées conformément au droit international.

Le Décalogue valide bien l’intégralité territoriale des Etats et l’inviolabilité des frontières, mais il reconnaît aussi le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (art. 8). Lorsqu’une volonté de quitter un ensemble est validé par un, voire plusieurs referendums à plus de 90%, il semble légitime que les communautés internationales puissent prendre en compte la volonté des peuples et acceptent de reconnaître ce fait en dotant ces nouveaux Etats d’une structure juridique particulière leur garantissant une paix sous protection internationale. Un partenariat international pour la Paix pourrait être une perspective à imaginer. Ce serait un moyen d’éviter que les Etats amputés ne voient la guerre comme le seul moyen de faire revenir ces régions sécessionnistes en leur sein.

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(*) Jean-Pierre Arrignon est professeur agrégé et docteur en Histoire. Il a enseigné à l’Université d’Artois et à l’Université de Poitiers, dont il a été doyen de la faculté des Sciences Humaines. En tant qu’historien, il est spécialiste du monde médiéval et de la Russie. Ses recherches portent sur le monde slave médiéval, mais son intérêt s’étend également à l’histoire de la Russie contemporaine. Il est docteur Honoris Causa de l’Université de Yaroslav, en Russie.
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