La lutte contre la radicalisation islamiste est-elle efficace ?
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Eric Stemmelen (*)
Commissaire divisionnaire honoraire de Police
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Alors que la question du radicalisme islamique est à nouveau au premier plan de l’actualité, l’auteur s’interroge sur l’efficacité des moyens mis en œuvre pour le contrer.
La radicalisation essentiellement musulmane est un phénomène politico-religieux concernant un individu ou un groupe qui adopte une forme violente d’action liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux qui conteste l’ordre établi sur les plans politiques, sociaux ou culturels.
L’Islam et ses tendances
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Le musulman pratiquant trouve dans le Coran de nombreux exemples d’une application stricte des préceptes non seulement religieux mais aussi dans la vie de tous les jours.
Le Coran (écrit en arabe « al-Qur’an ») est une succession de récits écrits en arabe par le 3ème calife Othman (assassiné en 656) regroupant les révélations de Mahomet et constituant un ensemble de règles de pensée et de conduite pour le croyant, tant sur le plan personnel que dans la vie sociale. Il peut ainsi savoir ce que Dieu veut de lui. C’est ainsi qu’ont émergé les notions de halal (ce qui est licite) et de haram (ce qui est illicite).
Le terme « muslim » signifie celui qui se soumet à la volonté de Dieu, étant par ailleurs précisé que l’islam signifie en arabe « la soumission » (al’islam).
Le 4ème calife, Ali, cousin de Mahomet et mari de sa fille Fatima, est assassiné en 661 date de la rupture entre les sunnites (la Sunna étant la loi coranique qui vise à imiter les actions du prophète et définit ainsi des normes obligatoires et des interdictions religieuses) et les chiites, littéralement les partisans ou les disciples d’Ali (origine arabe « schi’a » écrit dans le Coran). Ceux-ci prônent un islam rigoureux et le califat demeure réservé à la famille de Mohamed. Les chiites sont défaits en 680 à la bataille de Kerbala (en Irak actuel). Cet affrontement est devenu l’épisode fondateur du chiisme et est commémoré depuis par un pèlerinage annuel, souvent sanglant.
Les chiites représentent 10 % des musulmans soit 150 millions d’individus implantés essentiellement en Irak, au Liban, en Syrie et surtout en Iran où, en 1501, le schiisme devient religion d’Etat et le persan langue officielle. Le clergé d’Etat dispose, à sa tête, d’un ayatollah titulaire de tous les pouvoirs législatifs, administratifs et juridiques.
Dans les années 1980, le terrorisme qui frappe les pays occidentaux et particulièrement la France est l’œuvre des chiites iraniens et syriens, via le Hezbollah : La France perd 58 militaires en 1983 lors de l’attentat du Drakkar à Beyrouth suivi en 1985-1986 d’une dizaine d’attentats dont celui de la rue de Rennes à Paris (7 morts). La vague d’attentats islamistes chiites se termine avec la fin de la guerre Irak-Iran en 1988. Les années 1990 sont marquées par les attentats en France du GIA (groupe islamiste armé) alors que l’Algérie est plongée en pleine guerre civile. Depuis les années 2000, l’islamisme et le terrorisme des sunnites ne cessent de se développer.
L’imam chiite est le descendant d’Ali et est considéré comme infaillible alors que l’immam sunnite est seulement celui qui conduit la prière à la mosquée. C’est la différence majeure entre l’imam chiite qui tire son autorité directement de Dieu, détient le pouvoir spirituel et temporel, par rapport au califat sunnite.
Quant aux sunnites, ils représentent 90 % des musulmans soit 1 milliard d’individus qui se divisent en deux principaux courants : le wahhâbisme et le salafisme.
Le wahhâbisme, fondé par Al Wahhab au XVIIIème siècle en Arabie Saoudite, est un mouvement rigoriste qui veut retrouver l’Islam des origines bédouines. Les wahhabites prônent l’application stricte de la loi islamiste la Charia (littéralement « le chemin pour respecter la loi de Dieu »).
Le salafisme, pour sa part, découle du wahhabisme et fait référence à l’Islam des origines. Salaf se traduit d’ailleurs par « pieux prédécesseurs »
Le salafisme quiétiste défend la lutte armée uniquement défensive et accepte de composer avec les sociétés occidentales dès lors que celles-ci autorisent les pratiques rigoureuses comme la séparation entre les hommes et les femmes, les sacrifices, le port du niqab etc….).
Le salafisme djihadiste (djihad signifie l’effort mais aussi la lutte au départ intérieure pour se sanctifier) prône la lutte armée comme un devoir quand une terre dite musulmane est occupée ou attaquée. Ce salafisme récent, créé dans les années 1920, promu par les frères musulmans, a évolué depuis vers divers groupes terroristes dont les plus connus sont Al Qaida, Boko Haram, Daesh, Al Nosra etc….).
Les frères musulmans, fondés par l’instituteur égyptien El Banna en 1928, en réaction au pouvoir politique et économique des Occidentaux en Egypte, ont pour objectif la création d’un Etat islamique transnational appliquant la Charia. Dans les années 1950, échouant à s’implanter dans l’Egypte de Nasser, Saïd Ramadan (père de Tarik Ramadan) le nouveau leader des Frères Musulmans s’implante alors en Europe avec l’aide de l’Arabie Saoudite puis de la Turquie. On assite alors à l’émergence des mouvements officiels dont le plus connu, en France, est l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF).
Le takfirisme (takfir signifiant anathème, excommunication) est un groupe dissident des frères musulmans qui prône la mise à mort de tous ceux qui sont opposés à un islam pur. Le takfirisme est le fondement idéologique du GIA en Algérie.
L’implantation du fondamentalisme musulman en Europe et en France en particulier
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Les fondamentalistes musulmans de plus en plus nombreux en France, refusent les évolutions de l’islam et en restent à la lecture non évolutive du Coran et des Hadiths. Ces derniers sont les récits des actes, conduites et paroles de Mahomet qui servent à établir les règles juridiques codifiant la conduite personnelle et qui organisent la vie au quotidien. Les 5 piliers de l’Islam sont ainsi tirés d’un hadith qui précise : « l’Islam repose sur 5 choses : (la profession de foi, la prière 5 fois par jour, le jeune du ramadan, la dîme et le pèlerinage à La Mecque) ».
Ces fondamentalistes suivent aveuglément ce que dit l’immam surtout si celui-ci est un islamiste. Il y a donc incompatibilité entre les valeurs d’une république laïque qui prône les principes de liberté, égalité et fraternité et les valeurs d’une religion élevées au plan du sacré et donc nécessairement supérieure aux lois des hommes d’autant que l’Islam comme d’autres religions donnent un espoir de et vie après la mort ce que bien évidemment la laïcité républicaine ne peut offrir.
Les fondamentalistes défendent l’idée des quartiers des banlieues françaises placés sous la loi de l’Islam car ils estiment que les musulmans hors des terres d’islam doivent avoir les mêmes exigences que les musulmans en terre d’Islam. Les notions démocratiques de « vivre ensemble », d’intégration ou d’assimilation ne sont tout simplement pas compatibles, pour eux, avec une conception rigoriste de l’Islam qui n’est pas seulement une vision religieuse mais un ensemble de lois qui régissent la vie des personnes.
La lutte contre la radicalisation islamiste est-elle efficace ?
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La radicalisation essentiellement musulmane est un phénomène politico-religieux concernant un individu ou un groupe qui adopte une forme violente d’action liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux qui conteste l’ordre établi sur les plans politiques, sociaux ou culturels.
Depuis des années, sous l’influence d’une idéologie rigoriste sunnite encouragée par les pays du Golfe notamment le Qatar et l’Arabie Saoudite et plus récemment la Turquie, de nombreux musulmans en France se radicalisent. Et certains sont suivis pour radicalisation à caractère terroriste.
Il est difficile voire impossible de savoir combien de musulmans sont radicalisés en France. On peut toutefois estimer leur nombre à 100 000 personnes qui évidemment ne sont pas tous des terroristes mais dont font partie tous les terroristes avérés ou potentiels.
La France compte environ 22 000 individus inscrits au FSPRT (fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste) dont environ 20% concernent des ressortissants étrangers.
En pratique, il y a environ 9 000 fiches actives au FSPRT. Or pour effectuer une réelle surveillance physique, il faut environ 20 policiers pour 1 suspect ce qui nécessiterait de recruter des dizaines de milliers de fonctionnaires à la DGSI (Direction générale de la Sécurité Intérieure).
Et encore, faudrait-il les former !
La situation en France, malgré les efforts remarquables des services de renseignement, est très inquiétante d’autant que les derniers sondages d’opinion laissent à penser que la fracture entre les partisans de la République et ceux prônant un islam supérieur aux valeurs de celle-ci ne va aller qu’en s’aggravant.
Selon un sondage IFOP de novembre 2020, 75% des Français de confession musulmane sont favorables au port de signes religieux ostensibles. Mais ce qui est le plus notable c’est l’opinion des jeunes musulmans de moins de 25 ans : 57 % considèrent que la charia, la loi islamique qui régit tous les aspects de la vie personnelle et en société, est supérieure aux lois de la République. C’est 10 % de plus en 5 ans.
Les sondages d’opinion estiment le nombre de musulmans à plus de 6 000 000 en France, chiffre en constante augmentation à cause de l’immigration importante en provenance des pays musulmans notamment des pays du Maghreb.
En d’autres termes, ce sont plus de 2 000 000 de citoyens français qui sont plus ou moins en rupture avec la République et ses principes et qui sont le terreau de la radicalisation islamique.
Pour lutter contre la radicalisation, le gouvernement a élaboré, en février 2018, un plan national de prévention de la radicalisation piloté par le CIPDR (comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation) qui a retenu 60 mesures pour réorienter la politique de prévention en mobilisant et coordonnant les services de l’Etat, des collectivités territoriales et la société civile ; et cela en tenant compte des retours d’expérience du terrain.
Ce plan fait suite aux différents échecs des expériences passées dont l’exemple le plus significatif est celui du premier centre de prévention et d’insertion à la citoyenneté ouvert (après les attentats de 2015) en juillet 2016 dans l’Indre-et-Loire sur le site de Pontourny et fermé en 2017. Les raisons invoquées faisaient état de différences de conception entre les formateurs issus des milieux de la Défense privilégiant l’autorité et ceux issus des travailleurs sociaux privilégiant l’écoute et l’accompagnement sans oublier que sur les 22 personnes prises en charge (dont une moitié de mineurs) aucune n’a poursuivi le programme envisagé jusqu’à son terme.
Sauf à prendre les mêmes mesures qui ont cours dans les pays autoritaires comme la Chine ou le Japon, qui consistent à forcer l’individu à renoncer à ses idées par des procédés s’apparentant au lavage de cerveau, il est quasiment certain que les mesures de déradicalisation échoueront.
Le problème de la radicalisation en prison, lieu fermé, est essentiel et on peut s’étonner que l’administration pénitentiaire et donc les gouvernements successifs aient été incapables d’endiguer ce phénomène. Or la radicalisation en prison concerne des délinquants de confession musulmane qui ont des contacts entre eux et avec l’extérieur. La solution est assez simple mais jamais mise en œuvre : elle consiste à d’une part isoler systématiquement les détenus et réglementer les signes extérieurs distinctifs (système pileux, tenue vestimentaire…). Mais pour cela, il faut changer les lois et règlements et surtout avoir une volonté politique sans équivoque ce qui n’est actuellement pas le cas.
Des dizaines de terroristes sortent chaque année des prisons françaises ; s’ajoutent les nombreux détenus de droit commun radicalisés en prison. Actuellement, on dénombre 400 terroristes derrière les verrous et 2 000 prisonniers suivis pour radicalisation (15% de ces derniers se sont radicalisés en prison).
Les profils sont bien connus : ce sont des délinquants de droit commun souvent condamnés pour des actes de violence qui sont de confession musulmane. Les détenus musulmans sont 6 fois plus nombreux que les autres eu égard en proportion de la population française se disant de confession musulmane ainsi que l’indiquait Jack Lang, président de l’Institut du Monde Arabe dans un courrier du 18 novembre 2014 adressé à Manuel Valls alors Premier Ministre : « […] on estime qu’en moyenne les détenus de culture musulmane représentent près des deux-tiers de la population carcérale… »
Pour éviter toute polémique, il faudrait réintroduire dans le droit positif les statistiques ethniques, sociales, religieuses interdites par la loi informatique et libertés de 1978 de façon à avoir une vue objective de la situation sur l’emploi, le logement et la délinquance et la criminalité…
La radicalisation de nombreux Français de confession musulmane est un problème majeur qui se pose et qui se posera de plus en plus à la société française. La loi religieuse étant considérée par au moins 2 000 000 de citoyens français comme supérieure aux lois de la République nécessite un investissement des pouvoirs publics considérable pour éviter le séparatisme qui gangrène déjà 1 000 quartiers dans nos villes.
De plus, ce phénomène est intimement lié à la criminalité et à la délinquance et aboutit chaque jour à imposer aux autres citoyens la loi du plus fort, au détriment des lois de la République.
La reconquête républicaine ne se fera pas sans problème et demandera une volonté politique sans faille ; mais le doute est permis sur ce dernier point !
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(*) Eric Stemmelen, commissaire divisionnaire honoraire, a effectué sa carrière en France et à l’étranger. En France, d’abord à la direction centrale de la police judiciaire, puis dans les organismes de formation et enfin au service des voyages officiels. Responsable de la sécurité des sommets internationaux et des conférences internationales, chargé de la protection rapprochée des Chefs d’Etat et de Gouvernements étrangers, il a été mis comme expert à la disposition du ministère des affaires étrangères, pour la sécurité des ambassades françaises, de leur personnel et des communautés françaises dans de nombreuses capitales (Beyrouth, Kaboul, Brazzaville, Pristina, entre autres). Diplômé de l’Académie Nationale du FBI, de la 7ème promotion de l’IHESI, il est aujourd’hui consultant et expert dans les domaines de la Sécurité (au Conseil de l’Europe, par exemple). |
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