Les impacts de l’accord entre le MERCOSUR et l’Union européenne

Eloïse Herbreteau (*)
Etudiante en en 3ème année de licence de sciences politiques

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En établissant un pont économique entre deux blocs représentant 25 % du PIB mondial, l’accord UE-Mercosur ambitionne de redessiner les échanges commerciaux transatlantiques, tout en confrontant l’Union à ses contradictions entre commerce et climat.

L’alliance économique Mercosur (Mercado Común del Sur), créée par le Traité d’Ascension le 26 mars 1991, est constituée de l’Argentine, du Brésil, de l’Uruguay, du Paraguay et depuis 2023 de la Bolivie (non incluse dans l’accord). Depuis 1999, l’Union européenne et le Mercosur négocient un accord d’association ayant deux objectifs : le développement des relations commerciales et la promotion de la coopération et du dialogue politique entre les deux parties. Un accord a été conclu le 28 juin 2019 et des négociations ont continué en vue de l’ajout d’un protocole centré sur le développement durable issue des accords de Paris.

L’accord de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur, signé le 6 décembre 2024, après de longues négociations, soulève de nombreuses interrogations quant à ses impacts économiques, diplomatiques et environnementaux. En quoi cet accord va-t-il renforcer la compétitivité des économies de l’UE et du Mercosur dans un contexte de commerce mondial en constante évolution ?

Le défi majeur est donc de concilier la stimulation des échanges commerciaux et des investissements avec le respect des engagements environnementaux. L’UE doit s’assurer que le Mercosur met en place des politiques visant à lutter contre la déforestation, améliorer les pratiques agricoles et réduire les émissions de gaz à effet de serre, tout en respectant ses propres normes de durabilité. Ce contexte économique et environnemental crée un cadre de négociation complexe, où l’équilibre entre intérêts commerciaux et préoccupations écologiques sera déterminant pour l’avenir de l’accord.

Le renforcement de la compétitivité économique entre l’Union européenne et le Mercosur

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Le Mercosur s’engage à éliminer 91 % des droits de douane sur les produits européens, tandis que l’Union européenne supprimera 92 % des droits de douane sur les produits en provenance d’Amérique du Sud. Cela devrait permettre à l’UE d’accéder plus facilement à un marché de plus de 260 millions de consommateurs, avec des secteurs stratégiques tels que l’agriculture, l’automobile, et les technologies en pleine expansion. De son côté, le Mercosur, qui représente un cinquième de l’économie mondiale et 750 millions de personnes, bénéficie de l’accès au marché européen de 450 millions de consommateurs, ce qui offre de nouvelles opportunités pour ses exportations agricoles, notamment du soja, de la viande et du sucre.

Cet accord devrait également stimuler les investissements directs étrangers (IDE), avec des prévisions de croissance de l’investissement dans les infrastructures et les technologies de l’ordre de 10 à 15 % dans les prochaines années. Nous pouvons prendre le cas de la France pour mieux comprendre l’impact de cet accord : pour elle, les exportations de biens vers le Mercosur représentent 5,56 milliards d’euros. L’accord permettra de réaliser d’importantes économies sur les droits de douane, d’ouvrir le marché des services du Mercosur aux entreprises françaises. À titre d’exemple, les exportations françaises vers le Mercosur dans les secteurs des machines et équipements électriques représentent environ 1,2 milliard d’euros et soutiennent près de 234 000 emplois. Au niveau du matériel de transport, les exportations françaises vers le Mercosur représentent 1,76 milliard d’euros et 378 000 emplois en France. Cependant, l’accord prévoit aussi la protection des produits et boissons sous appellation géographique français tels que certains fromages, vins, beurres …

L’Union européenne bénéficiera aussi de certains avantages : des exportations supplémentaires et de nombreux produits sous appellation dans les pays du Mercosur.

Le risque concurrentiel en Europe est dans les esprits. Aussi, la commission européenne a-t-elle négocié des quotas alimentaires. Dans le cadre de l’accord UE-Mercosur, l’Union européenne autorisera ainsi l’entrée de 99 000 tonnes de viande bovine avec un droit de 7,5%, soit environ 1,6% de sa production totale, et des exportations actuelles du Mercosur représentant 200 000 tonnes. Par ailleurs, 180 000 tonnes de volaille entreront sans droits de douane, représentant 1,4% de la production européenne.

L’UE ouvrira également son marché à 16 millions de tonnes de sucre en franchise de droits, soit 1,2% de sa consommation, 450 000 tonnes d’éthanol pour l’industrie chimique, et 60 000 tonnes de riz, représentant 2% de sa consommation. Ces mesures renforcent l’intégration des marchés entre les deux blocs. La Commission européenne s’est engagée à soutenir financièrement les secteurs, notamment par l’allocation de fonds d’urgence, au-delà des clauses de sauvegarde, en cas de grave perturbation du marché. Ils estiment à une réserve d’au moins 1 milliard d’euros qui sera intégrée au prochain cadre financier pluriannuel 2028-2034 de l’UE. L’accord pourrait aussi être un vecteur de croissance pour les PME européennes et sud-américaines, en favorisant leur accès à de nouveaux marchés et en stimulant l’innovation, notamment dans les secteurs de la technologie et de l’agriculture durable.

La politique douanière protectionniste mise en place par Donald Trump depuis son élection, marquée notamment par la guerre commerciale avec la Chine et l’augmentation des droits de douane sur l’acier et l’aluminium, a eu des conséquences immédiates sur les flux commerciaux mondiaux. Le chancelier allemand Friedrich Merz affirme que les droits de douane de Donald Trump sont dangereux pour l’économie mondiale. Ce repli des États-Unis a poussé plusieurs pays et blocs économiques à rechercher de nouveaux partenaires commerciaux plus stables et à diversifier leurs débouchés, afin de réduire leur dépendance à l’économie américaine. Dans ce contexte, l’Union européenne a intensifié ses efforts pour conclure des accords avec d’autres régions du monde, dont le Mercosur, afin de renforcer son influence économique à l’échelle globale. À moyen et long terme, si ce protectionnisme venait à perdurer, il pourrait consolider les alliances intercontinentales alternatives, notamment entre l’UE et l’Amérique du Sud, et accélérer la reconfiguration des chaînes de valeur mondiales. Pour le Mercosur, cela représenterait une opportunité stratégique de se positionner comme un acteur économique de plus en plus courtiser, tout en réduisant sa dépendance historique aux marchés nord-américains.

Impacts diplomatiques et géopolitiques de l’accord  
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Même si l’accord est surtout économique, les répercussions sont à la fois stratégiques et diplomatiques ; et cela de manière conséquente. L’accord permet en effet de solidifier les relations économiques entre l’UE et le Mercosur, en particulier avec des pays comme le Brésil et l’Argentine. Cela crée une plateforme de coopération renforcée, non seulement sur le plan commercial mais aussi sur des enjeux géopolitiques mondiaux, tels que les négociations climatiques et les droits de l’homme. Il ouvre le débat et des possibilités de conversations entre les chefs d’Etat.

L’accord pourrait renforcer l’influence géopolitique de l’UE en Amérique latine, en particulier face à une région qui cherche à se repositionner sur la scène mondiale, en dehors de l’ombre des États-Unis. Le Mercosur et les Etats-Unis ont des échanges économiques significatifs même si l’UE est plus importante. Les exportations du Mercosur vers les États-Unis s’élèvent à environ 34,5 milliards de dollars, principalement composées de produits agricoles (notamment le soja), de ressources minières et de produits manufacturés. En parallèle, les importations en provenance des États-Unis atteignent environ 25,7 milliards de dollars. Mais les États-Unis ont souvent adopté une approche unilatérale et protectionniste en matière de commerce international. L’accord UE-Mercosur représente une alternative attrayante pour les pays de la région qui cherchent à éviter les tensions commerciales avec les États-Unis et à accroître leur autonomie économique. Cela pourrait pousser certains pays du Mercosur à privilégier des partenariats commerciaux plus équilibrés, comme celui avec l’UE.

L’accord UE-Mercosur pourrait également remettre en question la domination de la Chine dans certaines économies latino-américaines, en offrant une alternative aux pays qui cherchent à diversifier leurs partenaires commerciaux en réponse à la montée en puissance de Pékin. En effet, la montée d’un marché européen-latino pourrait affaiblir, par conséquent, l’association des nations de l’Asie du Sud-Est. L’UE, en s’orientant davantage vers le Mercosur, pourrait faire perdre de l’influence à cette partie du monde.

Défis environnementaux et engagement durables  
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L’une des préoccupations majeures de l’accord UE-Mercosur réside dans la déforestation en Amazonie, en particulier au Brésil. Le bassin amazonien occupe près de 40% de la superficie de l’Amérique du Sud. En 2020, la déforestation en Amazonie brésilienne a atteint 11 088 km², soit une augmentation de 9,5 % par rapport à 2019. Ce chiffre est alarmant car il correspond à la plus grande perte de forêts en 12 ans. Les gouvernements européens ont exprimé leur inquiétude quant à la gestion des forêts tropicales et à la façon dont l’augmentation des exportations agricoles, comme le soja et la viande, pourrait aggraver la déforestation. Environ 80 % de la déforestation en Amazonie est liée à l’agriculture, principalement l’expansion des terres pour le soja et l’élevage. Cependant, selon le Bureau International du Travail (BIT), l’agriculture est l’un des secteurs les plus importants pour l’économie brésilienne, représentant environ 20 % du PIB et employant environ 15 % de la population active du pays. Au-delà de l’impact environnemental de la déforestation, il y a aussi un aspect social. Des communautés locales, notamment les populations autochtones, sont souvent les plus touchées par l’exploitation des terres.

Comme nous le savons, le rôle des multinationales est central car elles peuvent influencer les pratiques de déforestation. La question de leur traçabilité est donc pertinente. Pour apaiser ces préoccupations, l’accord prévoit des engagements spécifiques pour protéger les forêts et lutter contre la déforestation illégale. En effet, lors de la rédaction du pacte l’UE a introduit des engagements pour s’assurer que les produits importés ne soient pas liés à la déforestation illégale et l’accord stipule que les exportateurs doivent prouver la traçabilité des matières premières. L’accord prévoit la mise en place d’un comité de suivi pour superviser le respect des engagements environnementaux, y compris ceux relatifs à la déforestation, Par ailleurs, l’accord intègre les engagements de l’Accord de Paris sur le changement climatique, de sorte que le retrait d’un État signataire de cet accord peut entraîner la suspension des échanges économiques avec les autres parties. Cependant, l’un des défis de l’accord réside dans l’uniformisation des engagements car des pays tel que le Brésil pourrait rencontrer des difficultés à mettre en œuvre car même si le Brésil a signé les accords de Paris, en 2020, les émissions de gaz à effet de serre du pays ont augmenté de 9,6 % en raison de la déforestation et des incendies de forêt, ce qui montre l’écart entre les engagements et les actions sur le terrain.  

Néanmoins, au-delà des engagements environnementaux formellement établis, l’accord soulève d’importantes réserves d’ordre économique et social, notamment en ce qui concerne la concurrence agricole et les conditions de production, qui alimentent les critiques de plusieurs États membres et des acteurs du secteur agricole.

Le projet est contesté surtout par les agriculteurs qui sont contre la forte industrialisation de la viande bovine en argentine. La France, la Pologne, Pays-Bas, pays très agricoles, étaient contre à l’accord. Le Brésil, surnommé « ferme du monde », inquiète aussi. La concurrence de l’agriculture sud-américaine est vue comme déloyale. De plus, il y a des préoccupations sur les conditions de travail dans l’industrie de la viande en Argentine, cela pourrait se retrouver en désaccord avec l’accord.

 

L’accord UE-Mercosur marque néanmoins une étape importante dans les relations économiques et diplomatiques entre les deux blocs. Il renforce la compétitivité des économies en facilitant l’accès aux marchés et en stimulant les investissements. Toutefois, des défis géopolitiques et environnementaux demeurent, notamment à propos de la déforestation en Amazonie. L’UE a intégré des engagements pour limiter cet impact, mais leur mise en œuvre restera une étape-clé. Les tensions internes, particulièrement parmi les secteurs agricoles européens, devront aussi être gérées. Cet accord a un fort potentiel pour redéfinir les alliances commerciales mais son succès dépendra d’un équilibre entre développement économique et durabilité environnementale.

Eloïse Herbreteau (*) est étudiante à l’Université catholique de l’Ouest (campus de Nantes) en 3ème année de licence de sciences politiques, le parcours géopolitique et stratégie internationale. Elle se spécialise en relations internationales. Héloïse Herbeteau est actuellement en stage de fin de licence au sein de la revue Espritsurcouf.