Peuples autochtones,
damnés de leurs propres terres
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Pascal Le Pautremat (*)
Rédacteur en chef d’Espritsurcouf
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Il est des peuples dont on ne parle pas – ou si peu – à l’heure où toutes les attentions convergent vers Donald Trump et que les géostratégies de captation des terres et sous-sols n’ont jamais été aussi incisives, selon les facéties de chefs d’Etat ou des conseils d’administration de multinationales.
Ainsi, de manière intercontinentale, les peuples autochtones se meurent, inscrits dans des dynamiques de survie, après avoir été décimés et déportés, souvent en moins de deux siècles. Pour les survivants, l’acculturation fut imposée, en se pliant à une christianisation forcée pour les plus jeunes, brisant ainsi le lien avec leurs coutumes ancestrales.
Les pays ou espaces géographiques de référence ne manquent pas. Brésil, Bornéo, Australie, Canada, Etats-Unis où les Amérindiens ont subi une politique structurellement axée sur l’extermination et la paupérisation, via le massacre des bisons en une décennie (cf « The Slaughter of the Bison and Reversal of Fortunes on the Great Plains », Donn Feir, Rob Gillezeau et Maggie Jones, NBER, août 2022, in The Review of Economic Studies).
En Amérique latine, et particulièrement en Amazonie, l’avidité de l’agro-industrie, les ravages de l’exploitation minière – notamment illégale – et du trafic de drogue, d’or et de bois dévorent les derniers espaces naturels, et les peuples autochtones qui, encore, ici ou là, subsistent coûte que coûte.
Au Brésil, la Fondation nationale des peuples indigènes (Funai) se charge d’y protéger les droits des derniers peuples autochtones. Le Brésil a adopté, en 1987, une politique proscrivant tout contact avec les populations premières, afin de les préserver de toute propagation épidémique. Officiellement, 800 zones sont référencées comme « terres indigèns » soit près de 14% du territoire brésilien, mettant ainsi à l’abri leurs habitants, autant que la faune et la flore, de toute exploitation économique à caractère minier ou agro-pastoral. Pour autant, l’arrivée des colons portugais, il y a plus d’un demi-millénaire, y a conduit à l’effondrement de près de 99% des populations indigènes.
À Bornéo, les Dayaks – 4 millions de personnes réparties en 400 ethnies distinctes – paient le prix fort face aux multinationales, indonésiennes notamment, qui y ravagent les forêts pour en leur bois, mais aussi pour étendre la production d’’huile de palme, les plantations d’hévéas pour le caoutchouc et favoriser l’extraction minière.
En Australie, les Aborigènes, dont l’existence territoriale est avérée depuis 60 00 ans, ont été victimes d’un véritable processus génocidaire et leurs terres spoliées. C’est seulement en 1967 qu’ils ont obtenu un statut de « citoyen australien ». Leur communauté ne compte plus qu’un million de personnes, soit 3,8 % de la population australienne. Aujourd’hui encore, le racisme dont ils sont victimes est glaçant. Le courant suprémaciste blanc ou, plus globalement le racisme ordinaire en font toujours des victimes récurrentes. Il y a deux ans, un référendum constitutionnel fut organisé, le 14 octobre 2023, à propos d’un projet d’amendement à la Constitution australienne de 1901 visant à accorder une place particulière des Aborigènes au Parlement comme auprès du gouvernement fédéral, via la mise en place d’un conseil consultatif. Celui-ci était destiné à émettre des avis par rapport aux lois et aux politiques publiques susceptibles d’affecter les Aborigènes. Le « Non » remporta plus de 60% des suffrages exprimés. À l’inverse, 39,94% des voix étaient favorables à cet amendement, pour un taux de participation établi à 89,95%.
Dix jours plus tard, dans une lettre ouverte, des chefs aborigènes se sont adressé au gouvernement pour regretter qu’on ne reconnaisse pas leur peuple et qu’on ne leur accorde que des droits restreints, qualifiant même la posture majoritaire d’épouvantable et mesquine : « La vérité, c’est que les Australiens dans leur majorité ont commis un acte honteux, sciemment ou non, et qu’il n’y a rien de positif à en retirer ». Aujourd’hui, les Aborigènes constituent un peuple qui se meure littéralement, avec une moyenne de durée de vie inférieure de 8 ans à celle d’un Australien d’origine occidentale, minés par la misère et l’exclusion. Près d’un quart des Aborigènes vivent sous le seuil de pauvreté et ils représentent près de 28% de la population carcérale.
En 1997, le gouvernement travailliste avait édité un rapport de 700 pages qui relatait la politique du pire dont ils furent victimes, rappelant le sort des Amérindiens durant la période évoquée. Ainsi, des années 1880 aux années 1960, entre 40 000 et 100 000 enfants aborigènes, retirés à leurs parents, ont été placés de force dans des orphelinats ou dans des familles blanches,
En octobre 2024, à Canberra, Charles III, alors en visite au Parlement australien, fut interpelé par une sénatrice, indépendante depuis 2023, Lidia Thorpe, accusant la Grande-Bretagne d’avoir provoqué un génocide contre les Aborigènes : « Vous n’êtes pas notre roi, rendez-nous nos terres. […] Vous avez commis un génocide contre notre peuple. […] Rendez-nous ce que vous nous avez volé : nos os, nos crânes, notre peuple. Vous avez détruit nos terres. Donnez-nous un traité. Nous voulons un traité dans ce pays ».
Les peuples autochtones ne représentent plus que 6 % environ de la population mondiale, soit 476 millions de personnes, mais 19 % des personnes qui (sur)vivent dans l’extrême pauvreté. Leur espérance de vie est de 20 ans inférieure à celle du reste de la population mondiale. Les autochtones sont lésés en matière d’accès à des installation d’assainissement, aux infrastructures basiques, et sont délaissés massivement par les services publics de leurs pays d’appartenance administrative.
On recense encore plus de 4 000 idiomes autochtones sur quelque 7 000 langues parlées dans le monde. Mais la moitié d’entre sont menacées d’extinction d’ici la fin du siècle.
Les prises de conscience semblent tout de même s’accentuer depuis ces trente dernières années mais avec une lenteur déconcertante. Ainsi, divers textes internationaux ont été adoptés à un rythme bien mou : la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en 2007 ; la Déclaration américaine sur les droits des peuples autochtones en 2016 ; l’Accord régional d’Escazú, en 2021, sur l’accès à l’information, la participation du public et la justice en matière d’environnement en Amérique latine et dans les Caraïbes…
Et il faut attendre novembre 2024 pour, qu’au cours de la COP26, 196 pays, réunis en Colombie, approuvent la création d’un groupe permanent de représentation des peuples autochtones au sein de la Convention des Nations unies sur la diversité ; au grand désarroi de la Russie et de l’Indonésie qui avaient tout fait pour bloquer l’étude de cette proposition. Le 26 octobre 2024, des peuples autochtones émanant de neuf Etats – Brésil, Colombie, Pérou, Bolivie, Equateur, Venezuela, Guyana, Guyane française et Suriname – ont même lancé le « G9 de l’Amazonie autochtone ».
Une pleine satisfaction pour ces derniers grands peuples premiers, soucieux d’être reconnus comme gardiens de la nature. En effet, alors qu’ils possèdent, occupent ou utilisent seulement un quart de la surface de la planète, les peuples autochtones protègent 80 % de la biodiversité mondiale.
Avec eux, les Hommes et les Femmes de bonne volonté, combattifs, refusant de subir davantage de destructions planétaires ont de quoi faire pour inverser la tendance. Pas après-demain… mais désormais.
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Entre nouveau et ancien monde, ce 255ème numéro d’Espritsurcouf ouvre le ban avec la plume de Vincent Gourvil dont les bouleversements en cours ne peuvent que susciter un regard tout en rétrospective et perspective, entre perplexité et stupéfaction devant la dégradation globale que nous vivons, observons et, finalement, subissons : « Nouveau monde, ancien logiciel » (rubrique HUMEURS).
Gérard Brachet, pour sa part, clôt son étude sur la politique spatiale de l’Europe en s’attachant, avec ce troisième et dernier volet, à faire un état des lieux des programmes dédiés à prévenir les menaces, depuis l’espace extra-atmosphérique : « Europe spatiale : les programmes de défense et de sécurité » (rubrique GEOPOLITIQUE).
Eloïse Herbreteau, quant à elle, fait le point sur les relations établies entre le Mercosur et l’Union européenne, dossier des plus sensibles en matière de stratégie économique, sur fond de quête de compromis en vertu du principe de libre-échange… : « Les impacts de l’accord entre le MERCOSUR et l’Union européenne » (rubrique GEOECONOMIE).
Pour sa part, André Dulou, vous a façonné un nouveau SEMAPHORE toujours aussi riche et dense, autour notamment de la problématique à fort résonance de l’« America first ». Cette maxime martelée aujourd’hui avec une violence inouïe par Donald Trump pourrait bien accentuer l’image d’une Amérique tuméfiée et minée par l’explosion des inégalités. Déjà, on sent poindre un vent sécessionniste dans certains États fédérés… Ainsi, la Californie, cinquième économie mondiale, prend ses distances avec la politique fédérale imposée pour proposer des négociations avec les pays tiers afin de ne pas subir, en rétorsion, des contre-offensives douanières.
Cette semaine, nous vous proposons une nouvelle rubrique « LU, VU ET ENTENDU …. POUR VOUS » élaborée par Laure Fanjeau,.
Elle vous propose en corrélation avec le thème des peuples autochtones du BILLET, une VIDÉO ainsi qu’un PODCAST sur les Inuits du grand nord canadien.
Elle présente également une mise à l’honneur des femmes dans l’espace qui, assurément, ont participé à l’Aventure spatiale. La Russie fut d’ailleurs le premier pays à envoyer une femme – Valentina Terechkova (née en 1937) – dans l’espace, le 16 juin 1963. Son vol dura 70 heures et 41 minutes. Elle fit, sur ce laps de temps, 48 tours de la Terre.
Elle souligne aussi la parution de l’ouvrage qu’Emmanuel Rondeau consacre aux trois frères d’Astier de la Vigerie dont l’engagement auprès du général de Gaulle, fut remarquable et distinctif d’une famille particulièrement combative face au nazisme. Fait unique, tous trois furent reconnus Compagnons de la Libération : Emmanuel Rondeau, Les Frères d’Astier de La Vigerie, Français libres. François, Henri et Emmanuel, Compagnons de la Libération. Paris, éd. Tallandier, 2025, 544 pages. (rubrique LIVRES).
Bonne lecture
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(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF. Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF. |
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