S’enrichir ou mourir

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Pascal Le Pautremat  (*)
Rédacteur en chef d’Espritsurcouf
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Décidément, notre époque est pleine de cynisme, à la grande satisfaction du complexe militaro- industriel, mais au malheur des peuples. La technocratie des grandes capitales occidentales laissait entendre que la guerre en Ukraine serait courte. On constate qu’à l’inverse les hostilités semblent s’inscrire dans une effroyable durée …

Et l’on découvre ainsi que l’industrie de l’armement américaine s’installe dans une logique de production à moyen terme de munitions diverses, et notamment d’obus de gros calibre à destination de l’Ukraine. En octobre 2022, le Pentagone avait déjà informé que les Etats-Unis avaient fourni pas moins de 880 000 obus de 155 mm au régime ukrainien. D’autres commandes ont été signées depuis le début de l’année 2023, sachant que ce sont les sociétés américaines Northrop Grunman Systems Corp. et Global Military Products Inc. qui ont remporté le marché. Ainsi, deux nouvelles phases de production d’obus de 155 mm ont été lancées, pour un montant d’environ 1,5 milliard de dollars, avec des calendriers de livraisons qui s’étirent respectivement jusqu’en 2027 et début 2028.

Dans l’immédiat, il semblerait, d’après l’OTAN, que les livraisons de munitions ne soient pas suffisantes car, selon des estimations américaines, l’armée ukrainienne tire chaque jour 5 000 obus, soit 150 000 par mois. De son côté, la Russie tirerait près de 20 000 obus chaque jour, sur fond d’une économie de guerre reposant sur un maillage d’usines de production en activité constante, de jour comme de nuit…

Les fournisseurs occidentaux, en clair, ne pourraient soutenir la cadence des besoins de l’Ukraine en munitions et en équipements lourds.

Alors que l’OTAN réunit les pays membres pour souligner les limites capacitaires en matière de production d’armes et de munitions, l’Allemagne envisagerait d’installer directement en Ukraine une usine d’armement (gérée par le groupe Rheinmetall) dans la perspective de produire plusieurs centaines de chars de combat Panther… par an ! Preuve, là encore, d’une dynamique de guerre projetée sur des années ! Par ailleurs, comment peut-on imaginer un tel plan alors que l’usine serait immanquablement ciblée par les missiles russes qui s’appliqueraient à la neutraliser coûte que coûte ?

Sur le terrain, les morts ne cessent de s’accumuler dans les deux camps. On estime ainsi que plus de 130 000 Ukrainiens ont été tués dans les affrontements, contre 130 000 à 180 000 Russes, selon des sources…invérifiables. Une situation des plus consternantes, où ne souffle aucune dynamique diplomatique propice à une accalmie.

Ce mouvement d’installation dans la guerre est d’autant plus affligeant et déprimant que l’urgence de notre temps devrait porter plutôt sur les réalités socio-économiques et environnementales ; Renaud Girard tient à le souligner dans sa chronique pleine d’amertume que l’on partage (rubrique Humeurs).

Éric Stemmelen, pour sa part, nous propose le deuxième et dernier volet de son étude consacré à la situation sécuritaire de la France (rubrique Sécurité).

Hors Europe, la situation n’est pas plus rassurante. L’espace indopacifique est ainsi au cœur de  rivalités et Thaïs Rigaux nous montre combien la Nouvelle-Calédonie est source de convoitise, en se posant une question : le nickel est-il un poison ou une bénédiction (rubrique Economie) ?

De même, en Afrique pansahélienne, les enjeux géopolitiques sont en prise directe avec une pression djihadiste accentuée, tandis que les pays de la région semblent en pleine refonte de leur outil militaire, sur fond d’instabilité politique. Clémence Delachambre nous montre qu’en conséquence, les milices répondent aux urgences du moment (rubrique Géopolitique).

Dans la rubrique Livre, nous vous proposons « La guerre au féminin. Elles combattent pour la France », paru début mars aux éditions Tallandier. La journaliste Dorothée Olliéric dresse le portrait de plusieurs femmes, qu’elles soient pilote d’hélicoptère ou officier de renseignement, pilote de chasse ou commissaire aux armées, navigateur-timonier ou mécano dans l’armée de l’Air… Toutes, en tout cas, témoignent d’un sens profond de l’engagement au gré de parcours de vie riches et émouvants.

Dans la rubrique vidéo, nous présentons le dessous de cartes de la Turquie et de ses enjeux stratégiques avant les élections présidentielles du 14 mai prochain. Erdogan ou Kemal Kiliçdaroglu.

La revue d’actualité d’André Dulou, « les enjeux environnementaux de l’Indo-Pacifique » comme il se doit, vient clore ce nouveau numéro de notre revue Espritsurcouf qui, nous nous en réjouissons, accueille toujours plus de lecteurs de mois en mois. Merci pour votre soutien et votre intérêt.

Bonne lecture.

(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Conférencier et chargé de cours dans l’Enseignement Supérieur, il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF. Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF du 30 novembre 2020